GENAPLE DE BELLEFONDS, FRANÇOIS, menuisier, praticien, geôlier, huissier, greffier intérimaire, notaire royal, commis du grand voyer, subdélégué de l’intendant, marguillier et seigneur, né vers 1643, fils de Claude Genaple et de Catherine Coursier, de Saint-Merri de Paris, décédé à Québec le 6 octobre 1709, inhumé le lendemain.
Genaple arriva vraisemblablement dans la colonie en 1664 ou peu avant. Il était alors menuisier. Il s’établit à Sillery, sur une terre de 2 arpents sur 60 acquise de Jacques Le Meilleur le 24 novembre 1665. Quelques mois plus tôt, le 7 août 1665, il avait signé un contrat de mariage avec Marie-Anne de La Porte, Parisienne comme lui, et l’avait épousée à Québec le 12 octobre. Deux des trois premiers enfants de Genaple furent baptisés à Sillery, et les six derniers à Québec, où le ménage semble s’être installé vers la fin de 1671 ou en 1672, tout en conservant, au moins jusqu’en 1678, la propriété de Sillery. Située sur la route de Saint-Michel, cette terre, qui comptait dix arpents en valeur en 1667, fut probablement exploitée par des fermiers à partir de 1672.
Genaple avait une certaine instruction. En laissant la culture de la terre pour aller vivre en ville, il espérait probablement se tailler une place dans le fonctionnarisme colonial. Il débuta modestement :le Il octobre 1673, Frontenac [Buade*], qui le protégeait, à ce qu’il semble, le nommait « huissier et sergent royal exploitant par tout le Canada ». Un an plus tard, le 5 novembre 1674, Genaple apparaissait, pour la première fois en qualité de praticien, devant le Conseil souverain. Il devint, vers le même temps, geôlier des prisons de Québec, charge qu’il occupait en tout cas le 25 juin 1675, et qui lui valut à l’occasion des désagréments dont nous reparlerons.
Si ses fonctions d’huissier, de geôlier et de praticien, alliées peut-être à l’exercice occasionnel de son métier de menuisier, lui permettaient de faire vivre tant bien que mal sa petite famille, Genaple resta toutefois à la recherche de quelque autre office qui fût un apport précieux à son revenu. À l’automne de 1673, la chance avait semblé lui sourire. Le notaire Romain Becquet*, décidé à démissionner, avait consenti à disposer de ses minutes en faveur de Genaple ; en conséquence, le 18 octobre 1673, Frontenac avait accordé à ce dernier une commission de « notaire royal garde nottes dans la jurisdiction de la ville de Quebecq » ; mais, dès le 21 novembre, il avait révoqué cette commission, par suite probablement de l’opposition de la Compagnie des Indes occidentales, soit qu’elle voulût se réserver le droit de nomination des notaires, soit qu’elle contestât le statut de notaire royal reconnu depuis Talon* aux notaires de la juridiction seigneuriale de Québec. En 1677, Genaple rencontra de nouveau une certaine opposition. Elle lui vint cette fois des huissiers du Conseil souverain, alors en guerre avec ceux de la Prévôté de Québec, et qui reprochaient à Genaple d’exercer deux fonctions incompatibles, celles d’huissier et de geôlier. La loi, en effet, interdisait ce cumul. Mais le Conseil souverain négligea de se prononcer sur cet aspect particulier du débat, et Genaple en fut quitte pour la peur. Ce ne fut que cinq ans plus tard – dix ans après son installation à Québec – que Genaple put enfin réaliser son ambition de devenir notaire : le 9 avril 1682, Becquet lui vendit ses minutes pour 500#, à condition qu’il fût reçu notaire avant la Toussaint ; l’intendant Jacques de Meulles le nomma notaire royal le 22 octobre, en remplacement de Becquet, mort à la fin d’avril.
Un peu avant 1685, certaines intrigues s’étaient nouées autour de Gilles Rageot*, à qui on voulait retirer sa charge de greffier de la Prévôté de Québec pour la donner à l’ambitieux Genaple. L’intendant de Meulles paraît avoir été l’instigateur de l’affaire. Ayant obtenu du roi une commission de greffier en blanc, c’est lui en tout cas qui y porta le nom de Genaple, le 10 mars 1685, en remplacement de Rageot « que ses Infirmitéz ont mis hors d’Estat de servir », prétendait-il. Rageot, il est vrai, « tombait du hault mal », mais cela ne l’avait point empêché de remplir ses fonctions depuis 1666, alors ‘qu’il souffrait déjà de cette maladie. Le greffiier évincé porta sa cause devant le Conseil souverain qui, après avoir reçu Genaple en son office, se ravisa et décida d’écrire au roi en faveur de Rageot. En attendant les ordres de la cour, le conseil voulut que les registres et les archives de la prévôté fussent déposés dans une armoire à deux serrures, dont Rageot eût une clé et Genaple l’autre, et que le premier continuât d’écrire les expéditions de sa main cependant que Genaple les signerait, Rageot touchant les trois quarts des émoluments et Genaple le quart seulement, pour « droit de signature ». Ce jugement à la Salomon fut exécuté jusqu’au 24 septembre 1686, jour où Rageot fut réintégré dans ses fonctions, par suite d’une nouvelle commission signée par le roi le 24 (ou 29) mai précédent, et qui annulait du même coup celle de Genaple.
À partir de 1690 au moins et jusqu’à sa mort, Genaple fut commis du grand voyer en Nouvelle-France. L’importance administrative de cette fonction était d’autant plus grande que le titulaire de la voirie, Pierre Robinau de Bécancour, brillait souvent par ses absences prolongées. En 1695, Genaple était marguillier de la fabrique de Québec, et marguillier en charge en 1701. Le 16 mai 1706, enfin, il fut nommé subdélégué de l’intendant Antoine-Denis Raudot « pour terminer », en l’absence de ce dernier, « les affaires qui pourront survenir dans la Comp.ie de la Colonie en ce pays ». Marguillier en charge, subdélégué de l’intendant, voilà qui pouvait enfin donner quelque prestige à cet homme qui, menuisier à son arrivée dans la colonie, fut toute sa vie geôlier des prisons de Québec, et qui n’avait guère rempli que des tâches relativement obscures ou ne conférant – tel le notariat – aucun droit aux honneurs dont on était si friand à l’époque. Le 25 février 1690, il est vrai, notre geôlier avait acquis, après l’avoir sollicité de Frontenac, le titre enviable de seigneur des Longues-Vues, une terre située à la rivière Saint-Jean, en Acadie. Cette concession avec droits de justice resta inexploitée, semble-t-il, Genaple se contentant de sa qualité, nouvelle et un peu gratuite, de seigneur.
En 1692, Genaple s’était distingué en soulevant devant le Conseil souverain la question des inventaires. Réglée depuis longtemps en France, cette ‘question n’avait fait l’objet, dans la colonie, d’aucune réglementation. Aussi les lieutenants généraux et les procureurs du roi des trois juridictions royales s’arrogeaient-ils le droit de faire des inventaires. Genaple, qui connaissait ses auteurs – il possédait, de fait, un certain nombre d’ouvrages de droit –, s’appuyant sur la jurisprudence française, adressa une requête au conseil. « Dez l’an 1317, disait-il, il fut statué Et ordonné par Edit du Roy que les Nores. seulement pourroient faire Inventaires et partages de biens, Avec défenses A tous Officiers de Justice d’y proceder. » Après un long historique, Genaple concluait qu’il n’y a que les inventaires et les partages qui sont « ordonnéz par sentence contradictoire aprez contestation en cause Et sans fraude [qui appartiennent] au juge [...], Et lors qu’il [est] question d’Aubeine, desherence &t biens Vacans. » Genaple demandait en conséquence que seuls les notaires fussent autorisés à faire les inventaires et les partages, sauf dans les cas d’exception prévus par la législation française. Cette requête bien documentée ne reçut point de réponse. Il fallut attendre jusqu’en 1708 avant que le conseil ne décidât que les inventaires seraient faits « concurremment » par les lieutenants généraux et les notaires « suivant qu’ils en seront Requis ».
Genaple eut beau occuper, dans la seconde moitié de sa carrière, des fonctions de quelque importance, on a néanmoins le sentiment qu’il resta toujours geôlier avant tout. Il habitait avec sa famille dans les prisons du palais, et cela seul était suffisant, à la longue, pour altérer son caractère et le marquer profondément. Sa tâche, du reste, était ingrate : plusieurs fois il fut réprimandé par le Conseil souverain pour avoir laissé s’échapper des prisonniers ; il eut, par ailleurs, des démêlés avec les officiers de justice, en particulier avec Louis-Théandre Chartier* de Lotbinière dans l’affaire de La Corruble [Bouge]. L’atmosphère dans laquelle il vivait quotidiennement, les difficultés qu’il éprouva à s’imposer dans le fonctionnarisme québécois, les nombreux échecs qu’il essuya, parmi lesquels les évasions n’étaient pas les moindres, tout cela aigrit l’ex-menuisier, d’autant qu’il se trouva impuissant à garder dans la bonne voie son fils Jean-François, qui s’attira quelques mauvaises affaires et séjourna même en prison. L’amertume de Genaple le fit tomber, à l’occasion, dans des excès de langage, en 1685 et en 1701 en particulier, alors qu’il manqua de respect au gouverneur général. Il fut contraint, dans les deux cas, de faire amende honorable devant le conseil et de présenter ses excuses au gouverneur.
À la mort de Genaple, survenue le 6 octobre 1709, sa veuve hérita de ses minutes. Elle pouvait, selon l’usage, en délivrer des copies, contre rémunération. Ni cette activité occasionnelle ni son métier de sage-femme ne pouvaient cependant assurer son existence, car Genaple ne lui avait laissé que « peu de Bien ». Aussi obtint-elle de l’intendant Jacques Raudot, le 26 janvier 1710, de succéder à son mari comme concierge des prisons du palais, son fils Joseph, « qui demeure avec elle dans lesd. prisons », acceptant de la cautionner. Elle épousa René Hubert le 22 novembre 1711, à Québec, où elle fut inhumée le 28 juin 1718.
AJQ, Greffe de Pierre Duquet, 7 août 1665 ; Greffe de Michel Fillion, 24 nov. 1665 ; Greffe de François Genaple, 1682–1709 ; Greffe de Gilles Rageot, 9 avril 1682.— AQ, NF, Coll. de pièces jud. et not., 174, 2 606 ; NF, Ins. Cons. sup., II : 44v.s., 52, 92v.s., 108 ; NF, Ins. de la Prév. de Québec, I : 260, 261, 264, 445 ; NF, Ord. des int., I : 46 ; IV : 7v.s.— Aveu et dénombrement de la seigneurie de Sillery pour les Révérends Pères Jésuites (1678), RAPQ, 1943–44 : 15.— Correspondance de Vaudreuil, RAPQ, 1942–43 : 402.— Jug. et délib., I-IV, passim.— Ord. comm. (P.-G. Roy), I : 151s., 153s., 155s. ; II : 9–11, 92.— Pièces et documents relatifs à la tenure seigneuriale, [II] : 396s.— Recensements du Canada, 1666 (RAPQ) ; 1667 et 1681 (Sulte).— A. Roy, Inv. greffes not., VII : 1–192.— P.-G. Roy, Inv. concessions, IV : 44.— Gareau, La Prévôté de Québec, RAPQ, 1943–44 : 112.— Les notaires au Canada, RAPQ, 1921–22 : 25s.— Tanguay, Dictionnaire, I : 262.— Vachon, Inv. critique des notaires royaux, RHAF, IX (1955–56) : 432s.— J.-E. Roy, Histoire du notariat, I : passim.— P.-G. Roy, Toutes petites choses du régime français (2 vol., Québec, 1944), I : 122s., 210s.— Vachon, Histoire du notariat, 22s., 39.— La bibliothèque de François Genaple, BRH, XLIV (1938) : 143.— La discipline d’autrefois, BRH, XXXVII (1931) : 352s.
André Vachon, « GENAPLE DE BELLEFONDS, FRANÇOIS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/genaple_de_bellefonds_francois_2F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/genaple_de_bellefonds_francois_2F.html |
Auteur de l'article: | André Vachon |
Titre de l'article: | GENAPLE DE BELLEFONDS, FRANÇOIS |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1969 |
Année de la révision: | 1991 |
Date de consultation: | 2 déc. 2024 |