ESPIET DE PENSENS, JACQUES D’, écuyer, officier dans les troupes de la marine en Acadie, à Plaisance (Placentia), et à l’île Royale (île du Cap-Breton), membre du Conseil supérieur de l’île Royale, lieutenant de roi et commandant de l’île Saint-Jean (île du Prince-Édouard), chevalier de Saint-Louis ; né à Aignan, dans le diocèse d’Auch ; mort en France en 1737.

La longue carrière de Jacques de Pensens en Amérique du Nord débuta à Plaisance où il fut nommé enseigne le 1er mai 1698. En 1705, il fut promu aide-major et s’installa à Port-Royal (Annapolis Royal, N.-É.). Le séjour de Pensens en Acadie ne dura que quelques années mais on se rend compte, d’après la suite des événements, qu’il sut cependant gagner le respect et l’affection des Acadiens. Il revint à Plaisance au cours de l’été de 1708 et, pendant l’hiver de 1708–1709, prit part, sous les ordres de Saint-Ovide de Brouillan [Monbeton*], à l’expédition contre le fort anglais de Saint-Jean que commandait Thomas Lloyd. Charlevoix* note que Pensens joua un rôle important pendant l’attaque et fut le premier à pénétrer dans le fort.

Le traité d’Utrecht devait mettre fin, en 1713, aux hostilités entre la France et l’Angleterre, mais il accordait à l’Angleterre Terre-Neuve et l’Acadie. La garnison et les colons de Plaisance se préparèrent à partir pour l’île du Cap-Breton, où serait fondée une nouvelle colonie. Pensens, promu au grade de lieutenant en 1712, était au nombre des officiers qui signèrent l’acte de prise de possession de l’île par les Français. Comme on espérait bien que les Acadiens viendraient s’installer à l’île Royale pendant l’été de 1714, Pensens et Louis Denys* de La Ronde se rendirent en Acadie pour tenter de persuader les Acadiens de les suivre. Pensens promit à tous ceux qui iraient vivre à l’île Royale les rations d’une année. Mais cela ne servit à rien. Les Anglais s’ingénièrent à multiplier les obstacles et il n’y eut pas de départ massif des habitants.

En 1715, Pensens qui avait été promu capitaine un an plus tôt, fut nommé commandant de Port-Toulouse (St. Peters, N.-É.), l’une des trois places fortes de l’île Royale. Le commissaire-ordonnateur, Pierre-Auguste de Soubras, insista auprès de Pensens sur l’importance de faire venir des Acadiens dans la région, l’un des rares endroits qui se prêtaient bien à l’exploitation agricole. Pensens passa les dix années qui suivirent en garnison à Louisbourg ou à Port-Toulouse. Il alla passer une année de permission en France en 1718, et ce séjour servit fort bien ses intérêts : on lui accorda la croix de chevalier de Saint-Louis et l’année suivante François-Marie de Goutin* et lui furent nommés conseillers titulaires du Conseil supérieur de Louisbourg, avec un traitement annuel de 300. Pensens remplit cette fonction jusqu’à sa nomination au poste de lieutenant de roi à l’île Saint-Jean en 1733. Au cours de cette période, il fut chargé de deux missions à Canseau (Canso) ; en 1720 il enquêta sur les difficultés qui surgissaient entre pêcheurs français et anglais dans la région [V. Smart et Hiriberry] ; en 1728, il y retourna afin de rencontrer le lieutenant-gouverneur, Lawrence Armstrong.

La dernière partie de la carrière de Pensens commença en 1725, lorsqu’il fut chargé de préparer la prise de possession de l’île Saint-Jean, au nom du roi, au printemps de l’année suivante. On avait concédé les îles Saint-Jean, Miscou, de la Madeleine et autres îles environnantes au comte de Saint-Pierre en 1719, et la compagnie qu’il avait formée à l’époque avait tenté de coloniser l’île Saint-Jean [V. Gotteville]. Mais la compagnie fit faillite en 1724 et, en 1725, l’île était encore à peu près déserte. Même si Pensens assurait alors le commandement d’une unité administrative indépendante, il dut avoir l’impression qu’on lui imposait un poste inférieur à ceux qu’il avait occupés jusqu’ici. Il ne put emmener sa compagnie tout entière ; on ne lui accorda que 25 ou 30 hommes, ce qui était nettement insuffisant pour une île éloignée de tout et exposée à tous les périls. Le gouverneur de Port-Royal, Saint-Ovide, insista pour qu’on accordât à Pensens le titre de lieutenant de roi et pour qu’on lui donnât au moins deux compagnies, mais ses efforts furent vains. Pensens partit pour l’île Saint-Jean le 27 juin 1726, accompagné par l’enseigne Alphonse Tonty et 26 hommes. Finalement, en 1733, il fut nommé lieutenant de roi de l’île Saint-Jean pour une période de cinq ans.

Les problèmes administratifs auxquels le commandant devait faire face étaient multiples, mais le plus urgent était de coloniser l’île. Les Acadiens ne vinrent pas tout de suite s’y installer, comme on l’avait espéré. Pensens, en 1727, explique que ceux-ci craignaient de tomber sous la domination d’une compagnie. Les droits de pêche exclusifs qui avaient été accordés au comte de Saint-Pierre furent révoqués en 1726 par le Conseil de Marine, mais ce n’est qu’en 1730 que les îles furent rattachées au Domaine du roi. Il fallut attendre jusqu’en 1727 la venue d’un prêtre alors que le père Félix Pain* fut envoyé en mission à l’île Saint-Jean ; il n’y demeurait cependant qu’une partie de l’année. Le recensement de 1728 révèle que l’île compte 336 habitants seulement ; en 1730, il n’y en a plus que 325. Cette année-là, Pensens fait savoir qu’il a engagé un Acadien, propriétaire d’un bateau, pour transporter marchandises et bétail de la baie Verte. Durant les années suivantes, il y aura quelque amélioration : en 1734, le recensement relève 572 habitants. Mais les Acadiens, qui constituèrent toujours la principale source de population, ne vinrent en grand nombre qu’après la guerre de Succession d’Autriche. À partir de ce moment-là, ils arrivèrent par milliers mais, avant la guerre, on ne réussit à créer des établissements que dans quelques régions : à Port-La-Joie, qui était la capitale administrative (non loin de l’endroit où s’élève aujourd’hui Charlottetown), à Rivière-du-Nord-Est (Hillsborough River), à Havre de la Pointe de l’Est (Tranchemontagne, l’actuel South Lake), à Havre-Saint-Pierre (St. Peters Harbour), qui était la région la plus peuplée, à Capodiche (Savage Harbour), à Tracadie, à Malpèque, et à Trois-Rivières où Jean-Pierre Roma* fonda sa compagnie (à Brudenell Point). Port-La-Joie et Pointe de l’Est étaient des ports de pêche, mais ils étaient loin d’avoir sous ce rapport l’importance de Havre-Saint-Pierre. En 1726, il y avait 18 chaloupes et 1 goélette qui faisaient la pêche à la morue ; en 1734, on comptait 39 chaloupes et 1 goélette. Pendant toute cette période, quelques bateaux se livraient au cabotage entre l’île Royale et l’île Saint-Jean.

À son arrivée, Pensens signale qu’il y a si peu de terres défrichées que cela ne vaut pas la peine d’en parler. En 1727, il écrit que sept colons seulement ont fait les semailles, mais que la moisson s’annonce belle. C’était à Port-La-Joie et à Rivière-du-Nord-Est qu’on trouvait le plus de terres en culture, mais il y avait également quelques fermes à Malpèque, à Tracadie et même à Havre-Saint-Pierre. Les Micmacs s’étaient installés de façon permanente à Malpèque et y cultivaient le maïs.

Pensens avait fort à faire pour maintenir la discipline parmi ses troupes. Saint-Ovide écrivit en 1735 que les soldats de l’île Saint-Jean se considéraient comme des « galériens » et étaient persuadés qu’ils allaient devoir passer le reste de leurs jours dans l’île. Les hommes désertaient fréquemment et passaient en Acadie ; il arrivait d’ailleurs à des soldats anglais en garnison en Acadie de déserter aussi et de s’enfuir dans les colonies françaises. Pensens lui-même ne semble pas avoir beaucoup aimé la vie dans l’île et il fut réprimandé à plusieurs reprises pour avoir passé l’hiver à Louisbourg.

La maladie devait interrompre brutalement la carrière de Pensens. Il se plaignit de sa santé pour la première fois en 1719 ; à partir de 1730, il n’arrive plus à remplir ses fonctions. À l’automne de 1735, il était très souffrant et, en 1736, Robert Tarride* Duhaget le remplace en son absence. Pensens était reparti pour la France en permission, sans grand espoir de retour. Saint-Ovide écrit en novembre : « cet officier me paroist entierement hors d’Etat de pouvoir continuer ses services ne luy étant pas possible de pouvoir supporter la rigueur du climat de ce pays ». Pensens prit sa retraite le 1er avril 1737, avec une pension de 800#, et mourut quelques mois plus tard. Louis Du Pont* Duchambon lui succéda.

Pensens s’occupa plusieurs fois d’affaires commerciales. Il acheta et revendit des propriétés à l’île Royale. En 1720, il vendit pour le prix de 600# un petit terrain et une maison à Louisbourg ; en 1736 il vendit un autre terrain avec une maison et un entrepôt construit en pierre, pour la somme de 11 000#. Il mit également sur pied une entreprise de pêche aux îles Michaux, mais fut obligé de la vendre en 1718, quand on interdit aux officiers de prendre part à la pêche. Il avait des Parts dans la goélette Vénus, qu’avait louée un marchand de Saint-Jean-de-Luz, en 1726, pour la somme de 4 000#, payable en vin, spiritueux et autres marchandises.

Pensens fut également soupçonné de commerce illégal. Son nom est mentionné dans les actes d’accusation dressés contre Saint-Ovide en 1728. Ce dernier fut accusé de se livrer à un commerce illicite, et Pensens passait pour s’être occupé de cette entreprise commerciale à laquelle deux marchands de Louisbourg, Joseph Lartigue* et Michel Daccarrette* servaient de prête-nom. Ces accusations n’eurent toutefois pas de suite. Pensens fut également impliqué dans des transactions plus ou moins louches, concernant le contrat des fortifications de Louisbourg, de concert avec François Ganet* et Gratien d’Arrigrand*. Leur entente devint évidente quand on ouvrit le testament de Pensens. Saint-Ovide aurait également participé à l’affaire, mais il le nia avec énergie. Quoi qu’il en soit, cela contribua certainement à lui faire perdre son poste de gouverneur.

Pensens avait trois neveux dans les troupes de la marine à l’île Royale : Jean-Georges d’Espiet, Pierre-Paul d’Espiet de La Plagne, seigneur de Margouet, et Jean d’Espiet, chevalier de Pensens. Il veilla de près à leur carrière : tous trois obtinrent et le grade de capitaine dans les troupes coloniales, et la croix de Saint-Louis.

Pensens fut sans doute un officier compétent, mais sans ambition. Administrer une population peu nombreuse et dispersée ne l’intéressait guère et il séjournait, semble-t-il, le moins de temps possible dans l’île. Il était cependant au courant de tout ce qui s’y passait et contribua à la création d’établissements permanents. Il appuya la requête des Acadiens qui demandaient des terres, et l’aide de l’État pour leur première année dans l’île. Robert Potier* Dubuisson, subdélégué de l’intendant dans l’île, et lui travaillaient en bonne intelligence. Pensens était bien de son temps : bon soldat, courageux, désireux d’aider sa famille et d’améliorer sa propre situation matérielle, il était consciencieux mais sans excès dans l’exercice de ses fonctions, et adoptait une attitude paternelle à l’égard de ceux qu’il commandait.

Mary McD. Maude

AN, Col., B, 20–67 ; Col., C11B, 1–29 ; Col., C11C, 8, 9 ; Col., C11D, 5–7 ; Section Outre-Mer, G1, 406, ff.7v., 25v. ; 466/3 ; 467/2 ; Section Outre-Mer, G2, 192/1, pp.7s., 20v.s.—, Section Outre-Mer, G3, 2 039, 12 sept. 1736 ; 2041, 27 sept. 1750 ; 2056, 13 nov. 1717 ; 2 057, 1720, pièce 1, 24 févr. 1720 ; 2 058, 3 déc. 1726. —Archives de la Charente-Maritime (La Rochelle), Amirauté de Louisbourg, B 266, ff.77–78v.— Charlevoix, History (Shea).— Taillemite, Inventaire analytique, série B, I.— Fauteux, Les chevaliers de Saint-Louis.— Harvey, French régime in P.E.I.— Le Blant, Philippe de Pastour de Costebelle.— McLennan, Louisbourg.

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Mary McD. Maude, « ESPIET DE PENSENS, JACQUES D’ », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/espiet_de_pensens_jacques_d_2F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1969
Année de la révision:    1991
Date de consultation:    20 nov. 2024