CARLI, ALEXANDRE, sculpteur, statuaire, professeur et homme d’affaires, né le 3 novembre 1861 à Montréal, fils aîné de Thomas (Tommaso) Carli et de Mathilde Pichette ; le 12 juillet 1880, il épousa au même endroit Hedwidge Couture, et ils eurent six filles ; décédé le 5 septembre 1938 dans la même ville.
Alexandre Carli appartenait à une famille de statuaires qui exploita un commerce à Montréal pendant plus d’un siècle. Son père, Thomas, naquit à Coreglia Antelminelli, près de la ville de Lucques, en Italie. Après avoir travaillé en Europe et aux États-Unis pendant une courte période, il immigra au Bas-Canada en 1858, où des membres de sa famille le rejoindraient.
Au Bas-Canada, on fit appel à partir du début du xixe siècle à de nombreux artisans d’art italiens qualifiés. Les projets d’embellissement architectural nécessitaient les compétences spécialisées de sculpteurs sur pierre, tailleurs de pierre, mouleurs et fabricants de statues de plâtre. Pour répondre aux besoins des églises, couvents, abbayes et autres établissements, le clergé catholique de la future province de Québec acheta des statues sur mesure de personnages religieux, des crèches, des chemins de croix et des calvaires (sculptures représentant la crucifixion de Jésus). En plus de leur savoir-faire technique, les artisans italiens apportaient leurs connaissances en iconographie religieuse, essentielles à l’ornementation des églises et des cimetières. Bon nombre d’entre eux restèrent des migrants, se déplaçant de ville en ville et de pays en pays, et faisaient souvent partie des réseaux familiaux et professionnels composés de cousins et de paesani (habitants d’un même village).
Thomas Carli trouva rapidement du travail à Montréal chez le statuaire Gaetano Baccerini. En 1864, il prépara pour lui trois moules de statues monumentales en ciment, à partir de modèles produits par l’artiste Charles-Olivier Dauphon pour la décoration de la façade de l’église Notre-Dame à Montréal. De 1867 à 1877 environ, il fut l’associé des statuaires Carlo (Charles) Catelli et Aurelio Giannotti ; en 1872, la société portait le nom de C. Catelli and Carli. Cinq ans plus tard, il fonda sa propre entreprise, la T. Carli.
Thomas souhaitait que son fils aîné fasse carrière dans le commerce. Alexandre fréquenta donc l’école commerciale et travailla quelque temps comme comptable avant de se joindre à l’atelier de son père en 1876. Deux ans après, il entra à l’école du Conseil des arts et manufactures de la province de Québec, orientée vers le commerce et destinée à la classe ouvrière. Il étudia avec François C. Van Luppen et Joseph Chabert*, et noua des amitiés durables, dont l’une avec son professeur de modelage, Olindo Gratton*, qui produirait des modèles pour lui. Au début des années 1890, Alexandre exposa plusieurs sculptures qui lui valurent des éloges. En 1898, tout en continuant de travailler à l’atelier de son père, il remplaça Gratton à l’école du Conseil des arts et manufactures. Il cessa d’y enseigner en 1914, pour se consacrer à l’entreprise familiale qui nécessitait toute son attention.
La T. Carli avait prospéré. En 1894, elle occupait un vaste édifice de trois étages, ainsi que deux niveaux d’un entrepôt adjacent, et employait 22 ouvriers spécialisés. La majeure partie des œuvres réalisées ne comportaient pas de signature. Les commandes venaient de partout au Canada et aux États-Unis. À la mort de Thomas, en 1906, ses quatre fils travaillaient pour la société. Alexandre, le sculpteur de la maison, en était aussi le directeur. Ferdinand tenait la comptabilité, pendant qu’Edmond et Charles supervisaient les employés et la production. Vers 1914, leurs cousins Vincent, Apollo et Urbain, eux-mêmes statuaires, liquidèrent leur commerce, la Carli et Frères, et, en 1915, s’étaient tous joints à la T. Carli. Carlo, leur frère cadet, les suivit en 1920.
Comme les Carli, Aimé et Nicholas Petrucci venaient de la région de Lucques. Autour de 1910, ils avaient ouvert un atelier de statuaires à Montréal sous le nom de Petrucci et Frère. Ils obtenaient beaucoup de commandes et collaborèrent à des projets d’envergure avec la famille Carli. Le 18 mai 1923, les deux sociétés fusionnèrent pour devenir la T. Carli-Petrucci Limitée, dont le capital autorisé de 99 000 $ ne fut sans doute pas versé en totalité. En 1925, l’agence de crédit Bradstreet estima la valeur de l’entreprise entre 35 000 $ et 50 000 $, ce qui représentait une hausse substantielle par rapport à l’évaluation entre 10 000 $ et 20 000 $ réalisée en 1905, un an avant la mort du fondateur. Alexandre agirait à titre de directeur jusqu’à sa retraite, en 1933 ou 1934. L’atelier, qui, à un moment donné, emploierait 60 personnes, poursuivrait ses activités jusqu’en 1965. En plus des statues, la maison fabriquait d’autres éléments décoratifs, surtout pour les églises : autels et balustrades en pierre ou en marbre, piédestaux, colonnes, frises en plâtre, fonts baptismaux, bénitiers, chaires et monuments. En 1925, la T. Carli-Petrucci Limitée déclara qu’elle exécutait 90 % de la production de ce genre au Canada. La frise de plâtre installée deux ans plus tard dans l’église de La Nativité-de-la-Sainte-Vierge d’Hochelaga figure parmi ses plus grandes réalisations : elle comporte plus de 320 personnages sculptés et dépasse les sept pieds de hauteur.
En 1926, Aimé Petrucci et Apollo Carli avaient quitté l’entreprise pour créer la Petrucci et Carli, dernier atelier à porter le nom de Carli, qui fermerait ses portes en 1972. Une diminution de la demande, probablement attribuable aux répercussions de la Révolution tranquille au Québec et à l’augmentation des coûts de production, mettrait fin à cette tradition familiale qui datait de bien plus d’un siècle.
Alexandre Carli avait pris les rênes d’une entreprise familiale prospère et contribua grandement à sa croissance à titre de sculpteur et de directeur. On l’admirait pour son habileté à collaborer étroitement avec les clients, ainsi que pour sa réputation de professeur. Plusieurs artistes de renom, dont Ozias Leduc*, entamèrent une carrière de peintre avec la T. Carli ou la T. Carli-Petrucci Limitée. Parmi les amis artistes d’Alexandre, on comptait Alfred Laliberté*, à qui il avait enseigné au Conseil des arts et manufactures en 1898–1899. Ce dernier devint un sculpteur reconnu et ses nombreuses commandes l’amenèrent fréquemment à l’atelier de son ancien maître. Dans les Artistes de mon temps, livre publié à titre posthume par sa nièce Odette Legendre, Laliberté révèle que ce serait en partie grâce aux conseils de Carli qu’il remporta un prix prestigieux avec lequel il put s’installer à Paris et y suivre des cours d’approfondissement. Il suppose que des circonstances défavorables, surtout la rareté des chances d’étudier en Europe, freinèrent le développement de Carli comme sculpteur et l’empêchèrent de poursuivre une carrière artistique prometteuse. Dans une exposition d’œuvres d’art à Montréal en 1890, Carli avait présenté un groupe sculptural symbolisant l’Assomption, ainsi que des statues individuelles d’au moins sept saints ; selon le Monde illustré, toutes ces statues étaient « excellentes » et « remarquables ». Avec l’Association des arts de Montréal, l’artiste exposa, en 1891, des bustes de l’avocat et écrivain Laurent-Olivier David* et de l’artiste Edmond Dyonnet et, en 1892, ceux de son frère Charles et de l’évêque Louis-François Laflèche*. Pourtant, il ne persévéra pas comme artiste indépendant. D’après Laliberté, les obligations de Carli dans l’entreprise familiale, qui le « tinrent enchaîné » toute sa vie, entravèrent sa carrière artistique. La personnalité dominante de son père et les goûts conservateurs du principal client de la société, l’Église catholique, étouffèrent peut-être son ambition créatrice. Laliberté suggère également que, Alexandre n’ayant eu que des filles, aucun garçon ne suivit ses traces : il ne put donc ni réaliser ses aspirations artistiques à travers ses enfants, ni concrétiser les espoirs de son père qui souhaitait que la génération future perpétue l’entreprise.
Les hypothèses de Laliberté reflètent les conventions sociales de l’époque. Elles révèlent aussi le contexte dans lequel évolua Alexandre Carli, ainsi que de nombreux artistes d’origine italienne. La chaîne migratoire, évidente dans l’histoire de la communauté italienne de Montréal, permit à l’entreprise des Carli de prospérer en fournissant un flux continuel de main-d’œuvre qualifiée et semi-qualifiée ; cependant, les liens qu’entretenaient les Carli avec leur famille et leurs compatriotes réfrénèrent ou découragèrent parfois leurs ambitions personnelles. Alexandre, secrétaire de la Société italienne de secours mutuels, de Montréal, en 1915, savait pertinemment que les immigrants italiens devaient s’entraider. Il ne laissa malheureusement aucun document sur la perception de sa propre carrière. Avec son père, ses frères, ses cousins et les diverses sociétés associées à son patronyme, il légua, à n’en pas douter, une œuvre artistique considérable que l’on tente toujours d’évaluer.
La congrégation des Sœurs de Notre-Dame du Saint-Rosaire (Rimouski, Québec), le Musée national des beaux-arts du Québec (Québec) et la Soc. du patrimoine religieux du diocèse de Saint-Hyacinthe conservent des œuvres attribuées à Alexandre Carli. D’autres productions artistiques associées à la famille Carli sont en possession de divers organismes : le Musée des Sœurs de l’Assomption de la Sainte Vierge (Nicolet), les Filles de la charité du Sacré-Cœur de Jésus (Sherbrooke), le Musée des ursulines de Trois-Rivières, le Musée Marguerite-Bourgeoys et Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours (Montréal), la basilique Notre-Dame (Montréal) et le Musée des religions du monde (Nicolet).
BAnQ-CAM, CE601-S15, 12 juill. 1880 ; CE601-S51, 3 nov. 1861.— FD, Notre-Dame (Montréal), 8 sept. 1938.— Alain Bernard, « la Contribution des ateliers Carli et Petrucci à la statuaire religieuse canadienne (1867–1972) » (rapport inédit pour la Commission des lieux et monuments historiques du Canada, s.d.).— Karel, Dict. des artistes, 146–147.— Laurier Lacroix, « Italian art and artists in nineteenth-century Quebec : a few preliminary observations », David Homel, trad., dans Arrangiarsi : the Italian immigration experience in Canada, Roberto Perin et Franc Sturino, édit. (Montréal, 1989), 163–178.— Alfred Laliberté, les Artistes de mon temps, Odette Legendre, édit. (Montréal, 1986), 74–76.— Claude Lamarche et Jacques Lamarche, Dictionnaire biographique Guérin : Québec-Canada/2000 (Montréal, 1999), 78.— Luc Noppen, « le Rejet du plâtre dans l’étude de l’art ancien du Québec : un point de vue », Rev. d’ethnologie du Québec (Trois-Rivières), no 1 (1975) : 25–48.— J. R. Porter et Léopold Désy, l’Annonciation dans la sculpture au Québec suivi d’une étude sur les statuaires et modeleurs Carli et Petrucci (Québec, 1979), 127–137.— Bruno Ramirez, les Premiers Italiens de Montréal : l’origine de la Petite Italie du Québec (Montréal, 1984).— Luce Vignola, « Essai de définition : les sculpteurs, statuaires et ornemanistes italiens à Montréal de 1862 à 1880 » (mémoire de m.a., Univ. du Québec à Montréal, 1996).
Anna Maria Carlevaris, « CARLI, ALEXANDRE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/carli_alexandre_16F.html.
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Auteur de l'article: | Anna Maria Carlevaris |
Titre de l'article: | CARLI, ALEXANDRE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2020 |
Année de la révision: | 2020 |
Date de consultation: | 2 déc. 2024 |