Provenance : Lien
Beauchemin, Nérée (baptisé Charles-Abraham-Nérée, il signait aussi Charles-Nérée et, plus rarement, F.-C.-Nérée ou C.-A.-Nérée), poète et médecin, né le 20 février 1850 dans la paroisse Sainte-Anne (à Yamachiche, Québec), fils d’Hyacinthe (Joseph-Octave-Hyacinthe) Beauchemin, médecin, frère de Charles-Odilon*, et de Marie-Louise-Elzire Richer, cousine de Mgr Louis-François Laflèche* et de sir Lomer Gouin* ; le 5 mars 1878, il épousa à Sainte-Anne-d’Yamachiche (Yamachiche) Anna Lacerte, et ils eurent dix enfants, dont quatre filles et trois fils atteignirent l’âge adulte ; décédé le 29 juin 1931 à Yamachiche et inhumé le 2 juillet dans le cimetière paroissial.
Nérée Beauchemin vécut sa jeunesse à Sainte-Anne-d’Yamachiche. À l’âge de six ans, en l’espace d’environ un mois, il perdit sa mère (morte de la tuberculose) et un frère. On le confia, ainsi que ses deux sœurs et son frère, à sa grand-mère maternelle. Nérée fit ses études classiques au séminaire de Nicolet de 1863 à 1870 et obtint le prix du meilleur élève dans toutes les matières. Il entreprit ensuite des études de médecine à l’université Laval, à Québec, qu’il termina en 1874 sans recevoir de mention. Durant ce seul moment de sa vie où il vécut loin de son lieu de naissance, il rencontra les écrivains Pamphile Le May* et Louis Fréchette* ; ce dernier l’incita à composer des vers.
À la fin de sa formation, Beauchemin revint à Sainte-Anne-d’Yamachiche et s’établit dans la maison paternelle, où il pratiquerait la médecine et demeurerait jusqu’à sa mort. Il épousa en 1878 Anna Lacerte, fille d’Élie, médecin (aussi député conservateur de la circonscription de Saint-Maurice au provincial et au fédéral), et de Marguerite-Louise Lami. Il s’engagea activement dans la vie de sa municipalité, où il participait aux fêtes et aux événements importants en écrivant de la musique ou des adresses.
Beauchemin partagea son existence entre sa vie familiale, l’exercice de sa profession et l’écriture. Il fit paraître son premier poème, les Petits Pèlerins, dans l’Opinion publique de Montréal le 23 novembre 1871. Jusqu’en 1931, il publierait 75 poèmes dans des périodiques, notamment le Devoir et le Monde illustré de Montréal, le Courrier du Canada de Québec, le Bien public et le Nouvelliste de Trois-Rivières, le Courrier de Saint-Hyacinthe et l’Écho de Saint-Justin. Entre 1884 et 1906, environ, il collabora plus particulièrement à la Patrie.
En 1888, Beauchemin reçut un diplôme « d’encouragement » de la Société royale du Canada, dont il devint membre en 1896, sur la proposition de Fréchette. Pour satisfaire aux règlements de l’association, il fit paraître les Floraisons matutinales l’année suivante à Trois-Rivières. Ce recueil réunit 45 poèmes, dont plusieurs inédits, présentés sans ordre logique ou chronologique. Beauchemin s’y attacha à développer les thèmes chers à sa grande sensibilité : la conciliation de l’imaginaire et de la vie quotidienne, l’amour de la nature et de la patrie, la foi et le sacré. Même s’il préférait l’octosyllabe à l’alexandrin, Beauchemin composa une poésie assez conformiste, empreinte de mysticisme et d’un romantisme convenu. Il apparut, en raison de certaines de ses influences romantiques, comme le successeur de Fréchette, de Le May et d’Octave Crémazie*.
Malgré un accueil favorable, ce premier livre remporta peu de succès au Québec : Beauchemin n’en vendit qu’une vingtaine d’exemplaires. En France, les critiques, dont Charles ab der Halden, le remarquèrent davantage. On compara l’auteur à Théophile Gautier, Paul Verlaine, Louis-Sébastien Mercier et José Marίa de Heredia. L’historien français Albert Sorel qualifia la Cloche de Louisbourg, poème le plus apprécié du recueil, salué pour son inspiration et sa spontanéité, de « joyau de l’anthologie canadienne ».
Beauchemin ne cessa jamais d’écrire ; il destinait toutefois ses poèmes à ses tiroirs. En 1923, son ami l’abbé Joseph-Gérin Gélinas, professeur et préfet des études au séminaire de Saint-Joseph des Trois-Rivières, mais surtout ardent promoteur de la fierté régionale, l’incita en vain à publier un autre ouvrage. Environ deux ans plus tard, il présenta les pièces du poète à son héritier spirituel, l’abbé Albert Tessier*, future personnalité marquante du mouvement régionaliste. Tessier se lia d’amitié avec le poète, dont il partageait les intérêts pour la patrie, les héros et l’histoire régionale. L’un des grands admirateurs de Beauchemin, il appuya sa démarche poétique et l’encouragea à écrire.
À discuter avec le poète, Tessier comprit que des raisons financières empêchaient Beauchemin de publier de nouveau : comme médecin, il gagnait un salaire modique ; de plus, il traînait une dette de quelques centaines de dollars contractée avec son premier recueil. Tessier sollicita alors le secrétaire de la province, Louis-Athanase David*, qui lui remit un chèque de 300 $ pour Beauchemin et s’engagea, au nom du gouvernement, à acquérir 500 exemplaires d’un éventuel ouvrage. Discret et modeste, Beauchemin ne se décida à faire paraître Patrie intime : harmonies que sur l’insistance de Tessier. Ce dernier collabora à la préparation de nombreux aspects du volume (par exemple, la typographie, le choix des pièces et leur organisation). Publié en 1928 (probablement à Montréal), le recueil comprend 78 pièces, divisées en quatre sections : « Patrie intime », « Au grand soleil des champs », « Au rythme du clocher », « À ma plus doulce France ». Grâce à ce second livre, Beauchemin s’inscrirait dans l’histoire de la poésie de sa province ; il avait alors 78 ans.
Dans cette œuvre de maturité, Beauchemin aborde les mêmes grands thèmes que dans les Floraisons matutinales. Il les transcende toutefois par un style plus personnel, qui garantit l’unité du recueil : attachement au terroir, à ses traditions et à son histoire ; joie et bonheur d’une existence tranquille qui s’épanouit dans le familier. La nature, la religion et les gestes de la vie ordinaire y sont évoqués en parallèle. Le poète approfondit ainsi une symbolique du sacré qui rappelle les symbolistes français, tel Verlaine. Qualifié de poète de transition par plusieurs critiques, il échappa aux poèmes à thèses de l’École de Québec [V. Octave Crémazie] et développa une musicalité liée à l’École littéraire de Montréal [V. Gonzalve Desaulniers ; Georges-Alma Dumont]. Cette poésie nouvelle annonçait celle d’Alfred DesRochers* et de Paul Morin.
Le 11 novembre, quelques mois seulement après la parution de cet ultime recueil, on célébra le poète au cours d’une cérémonie grandiose à Trois-Rivières. Beauchemin reçut le grand prix d’apostolat laïque par la poésie du cercle Ozanam de l’Association catholique de la jeunesse canadienne-française [V. Joseph Versailles] et un doctorat honoris causa de l’université Laval. Deux mille personnes, dont des invités de marque, tels les abbés Camille Roy* et Émile Chartier*, y assistèrent. Dans son édition du lendemain, le Nouvelliste décrivit l’événement comme « l’apothéose » de « notre plus grand poète catholique, régional et national ». L’année suivante, Beauchemin reçut la médaille de vermeil du prix de la langue française de l’Académie française et un diplôme de maître de l’Académie florimontane de France.
Tessier organisa vraisemblablement ces hommages pour faire connaître l’œuvre de Beauchemin et, à la fois, pour promouvoir le discours régionaliste. Dans son article publié dans la Revue d’histoire de l’Amérique française, l’historien René Verrette affirme que « Gélinas [en] a été le précurseur immédiat en posant les fondements idéologiques du discours ; Beauchemin les a illustrés par les sortilèges de la poésie. Tessier, quant à lui, […] a donné un nom à cette doctrine, le régionalisme, l’a humanisée et, surtout, l’a diffusée dans toutes les couches de la population. » Armand Guilmette, auteur de la première édition critique du poète, soutiendrait en 1972 que Patrie intime constitue « le meilleur livre de Beauchemin, et, peut-être, aussi, de toute la littérature régionaliste ».
Le 23 juin 1931, le Devoir publia le Pain bénit, dernier poème de Beauchemin qui mourut six jours plus tard à l’âge de 81 ans, dans son lieu de naissance qui était aussi sa patrie. Le poète reçut divers hommages posthumes. En 1952, Yamachiche donna son nom à l’une de ses rues ; en 1978, sa maison entra dans le répertoire culturel québécois. De même, Trois-Rivières l’intégra à son monument élevé en l’honneur de cinq hommes de lettres dans le parc près de son hôtel de ville, et donna son nom à l’une de ses rues et à l’un des pavillons de son université. À Québec, Lévis, La Tuque, Amqui et Sherbrooke, une rue honore également le nom du poète.
Solitaire, discret et homme de devoir, Nérée Beauchemin composa des poèmes tout en pratiquant la médecine. Sur un ton personnel et intime, sa production littéraire traduit un amour profond de la patrie, de la religion, de la famille, de la terre et de la nature. Grâce aux encouragements constants de Gélinas et de Tessier, Beauchemin connut tardivement la gloire avec Patrie intime. Éloigné des mouvements littéraires, il demeura « avant tout lui-même », comme l’écrit Guilmette dans sa thèse de doctorat : « Nérée Beauchemin a su exprimer avec art et dans la sincérité totale le charme qui s’attache aux vieilles choses. C’est là tout son mérite et son vrai visage. »
Les deux recueils de Nérée Beauchemin, les Floraisons matutinales et Patrie intime : harmonies, représentent seulement le tiers de sa production. L’auteur a aussi rédigé 75 pièces publiées dans des périodiques, 141 poèmes inédits, 16 poèmes parus à titre posthume, une centaine de lettres, des notes intimes, 3 articles de critique, des adresses de circonstance, et nombre de fragments et de versions de ses écrits.
En 1950, année du centenaire de la naissance de Beauchemin, Clément Marchand* a publié à Trois-Rivières, en l’honneur de son mentor, Choix de poésies de Nérée Beauchemin, puis, sept ans plus tard, à Montréal et à Paris, Nérée Beauchemin, autre sélection des écrits du poète. En 1973–1974, à Montréal, Armand Guilmette a publié Nérée Beauchemin : son œuvre, première édition critique en trois volumes de l’ensemble des textes du poète ; l’ouvrage se base sur sa thèse de doctorat déposée à l’université Laval en 1968 : « Édition critique des œuvres complètes de Nérée Beauchemin ». En 2000, l’éditeur montréalais les Herbes rouges a publié Patrie intime et autres poèmes, recueil de poèmes choisis et présentés par Marchand.
BAnQ-MCQ, CE401-S52, 1er mai 1848 ; 21 févr. 1850 ; 5 juin, 14 juill. 1856 ; 5 mars 1878 ; 2 juill. 1931.— Le Devoir, 30 juin 1931.— Le Soleil, 25 nov. 1981.— I. A. Arnold, « Nérée Beauchemin, poète de transition », Rev. de l’univ. d’Ottawa, 42 (1972) : 279–293.— DOLQ, 1 : 273–275.— Armand Guilmette, « Nérée Beauchemin, poète de la conciliation », Académie canadienne-française, Cahiers (Montréal), 14 (1972) : 131–138.— Charles ab der Halden, Études de littérature canadienne française, introd. par Louis Herbette (Paris, 1904).— Clément Marchand, « Nérée Beauchemin, parnassien-mystique (1850–1931) », Qui ? (Montréal), 1 (1949–1950) : 65–80.— Gilles Marcotte, « les Poètes qu’on ne lit pas... », l’Action nationale (Montréal), 37 (1951) : 56–57.— [Albert Sorel], « Discours de M. Albert Sorel », dans Léon Le Clerc, Champlain, célébré par les Normands et les Canadiens : mémorial des fêtes données à Honfleur les 13, 14 & 15 aout 1905 (Honfleur, France, 1908), 48–55.— René Verrette, « le Régionalisme mauricien des années trente » (mémoire de m.a., univ. du Québec à Trois-Rivières, 1989) ; « le Régionalisme mauricien des années trente », RHAF, 47 (1993–1994) : 27–52.
En collaboration avec Katia Stockman, « BEAUCHEMIN, NÉRÉE (baptisé Charles-Abraham-Nérée) (Charles-Nérée, F.-C.-Nérée, C.-A.-Nérée) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/beauchemin_neree_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/beauchemin_neree_16F.html |
Auteur de l'article: | En collaboration avec Katia Stockman |
Titre de l'article: | BEAUCHEMIN, NÉRÉE (baptisé Charles-Abraham-Nérée) (Charles-Nérée, F.-C.-Nérée, C.-A.-Nérée) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2022 |
Année de la révision: | 2022 |
Date de consultation: | 21 nov. 2024 |