LAURIE, PATRICK GAMMIE, imprimeur, rédacteur en chef et éditeur, né le 7 avril 1833 à New Pitsligo, Écosse, fils de William Laurie, ministre anglican, et de Mary Ann Gammie ; le 4 décembre 1855, il épousa à Sydenham (Owen Sound), Haut-Canada, Mary Eliza Carney, fille de Richard Carney, et ils eurent quatre filles et trois fils qui atteignirent l’âge adulte ; décédé le 11 mai 1903 à Battleford (Saskatchewan).
La première fois que les Laurie tentèrent de venir au Canada, ce fut un échec. Peu après la mort de sa femme, William Laurie s’était mis en route avec ses jeunes fils Patrick et John, mais leur navire fut jeté à la côte par une tempête et saisi par des dockers en grève à Greenock. Leur deuxième tentative fut couronnée de succès, et ils arrivèrent à Toronto en novembre 1842. Ils se fixèrent à Cobourg, où Patrick fréquenta la grammar school durant environ un an. Après sa cinquième ou sixième année, il devint apprenti imprimeur dans un journal anglican, le Church. En 1846, le journal s’installa à Toronto, et Laurie fit de même. Dans les dix années suivantes, il vécut à Brantford, à Sydenham, où il travailla pour un journal qui appartenait à Richard Carney, puis de nouveau à Toronto.
En 1855, à l’âge de 22 ans, Laurie retourna à Sydenham et acheta l’Owen Sound Times. Il le revendit quatre ans plus tard, car John Christian Schultz* l’avait convaincu d’aller fonder un journal à la colonie de la Rivière-Rouge (Manitoba). Une fois rendu à Windsor, il apprit que William Buckingham et William Coldwell venaient de lancer le Nor’Wester. Pendant deux ans, il exerça le métier d’imprimeur à Windsor et à Detroit, faisant la navette entre les deux villes. En 1861, il se porta acquéreur de l’Essex Record de Windsor, qu’il publia jusqu’en 1869. Puis, peut-être à force de le conseiller à d’autres, il partit pour la Rivière-Rouge.
Laurie parvint à destination en septembre et entra au Nor’Wester, qui appartenait alors à un associé de Schultz, Walter Robert Bown. Deux mois plus tard, on l’expulsa de la colonie parce qu’il avait refusé d’imprimer une proclamation du gouvernement provisoire de Louis Riel*. Il retourna dans l’Est, où était restée sa famille, mais revint avec son fils William en septembre 1870, au lendemain de l’arrivée des troupes du colonel Garnet Joseph Wolseley*. Pendant huit ans, il exerça diverses fonctions dans des journaux de Winnipeg, notamment le Manitoba News-Letter, le Manitoba Liberal et le Manitoba Free Press.
Au début de juin 1878, Laurie partit pour Battleford, capitale des Territoires du Nord-Ouest depuis peu. Laissant sa famille à Winnipeg, il fit ce voyage de 650 milles à pied, aux côtés d’une charrette à bœufs qui transportait sa presse à imprimer. Le 25 août, deux semaines après son arrivée, il lança le Saskatchewan Herald. Ce journal, le premier des Territoires, promettait d’être « la presse pionnière du vaste Nord-Ouest – la lumière destinée à dissiper le brouillard qui enveloppait cette grande étendue solitaire depuis longtemps ». Jusqu’en 1881, Laurie eut un associé du nom de D. L. Clink ; ensuite, il fut l’unique propriétaire du journal. Durant les 25 années qui s’écoulèrent entre la fondation du Herald et sa mort, il exerça la fonction de rédacteur en chef.
Le Herald vantait les mérites de l’Ouest avec un optimisme délirant. Laurie publiait de longs articles sur le climat, les sols, le potentiel minier de la contrée. Il parlait en détail de la région de la rivière de la Paix et des expéditions scientifiques comme celles de John Macoun*. Passionné de jardinage, il faisait l’essai d’une grande variété de plantes et discutait de ses échecs et de ses réussites avec ses lecteurs. La une du journal était réservée aux nouvelles locales. Laurie avait dans l’avenir de Battleford une foi immense, que n’avaient affaiblie ni la décision, en 1882, de faire passer le chemin de fer canadien du Pacifique plus au sud, ni le déménagement de la capitale territoriale à Regina en 1883. Les activités de la Police à cheval du Nord-Ouest, dont Laurie était un partisan infatigable, faisaient l’objet de comptes rendus exhaustifs. En outre, le Herald reproduisait des articles tirés de journaux de l’Est ou d’Europe, de même que des feuilletons victoriens aux thèmes moralisateurs : christianisme centré sur la santé du corps, débrouillardise, instruction personnelle, esprit de sacrifice. On y trouvait également les discours les plus marquants du gouverneur général et, dans leur intégralité, les débats de la Chambre des communes sur l’Ouest. Laurie soutenait le Parti conservateur, et surtout la Politique nationale [V. sir Samuel Leonard Tilley*].
Les idées que Laurie exposa au fil des ans présentent une ressemblance frappante avec celles du mouvement Canada First [V. William Alexander Foster*]. Nationaliste – il tenait à voir se former, au nord du 49e parallèle, une société puissante et indépendante –, il était en même temps impérialiste : le Canada, croyait-il, avait besoin de la Grande-Bretagne comme guide. Selon lui, l’avenir du pays reposait sur les traditions que « la race anglo-saxonne » avait apportées dans le Nouveau Monde. Le caractère de l’Ouest serait façonné par ses liens avec le Canada et la métropole, et non par le milieu naturel. La création d’une société anglo-canadienne passait par la colonisation, qu’il voulait rapide. Il critiquait souvent les reportages à sensation qui, dans l’Est, parlaient de l’Ouest comme d’une région « sauvage », peuplée d’Indiens insoumis, car ces histoires effrayaient les colons potentiels. En fait, dans son projet de société, il n’y avait aucune place pour une population autochtone nombreuse et distincte, et les Canadiens français qui tentaient d’établir leur influence dans l’Ouest l’inquiétaient.
Même si Laurie tenait à ce que le développement soit rapide, il désapprouva le plan de colonisation institué par le gouvernement conservateur en 1881 [V. sir David Lewis Macpherson*]. Ce plan autorisait des sociétés à acheter de grandes terres à prix réduit et les obligeait en retour à accueillir des colons avant une échéance déterminée. C’était par principe qu’il s’opposait aux plans de ce genre. À son avis, installer les colons sur de grands blocs de terres avait tendance à « empêcher la fusion intime [de] gens de races différentes en [...] ce tout homogène si souhaitable dans un pays neuf ». Il estimait que les immigrants devaient venir dans l’Ouest à leurs propres frais, sans l’aide des sociétés de colonisation ; ainsi, on attirerait les plus vigoureux et les plus entreprenants. Personne ne devait bénéficier d’un traitement de faveur.
Laurie avait une définition étroite de l’immigrant acceptable. Il prônait ardemment le recrutement de colons britanniques. À propos d’un groupe de Mennonites qui s’installerait peut-être dans l’Ouest, il notait : « Les Mennonites sont peut-être de bien bonnes gens dans leur genre, mais nous préférerions des [Anglo-]Canadiens de naissance, des fermiers anglais et des Allemands directement de leur pays d’origine. » Il en voulait aux Mennonites de réclamer un statut spécial qui les exempterait du service militaire. De même, les Mormons et les Juifs ne lui convenaient pas parce qu’eux aussi se regrouperaient et résisteraient à l’assimilation.
Comme Laurie rêvait d’un avenir glorieux où les Prairies seraient peuplées dans l’ordre et la paix par des Blancs, la résistance de 1885 lui parut un retour à un passé de ténèbres. Les « rebelles », comme il les appelait, étaient des « traîtres » qui empêchaient que tous réalisent le potentiel matériel de l’Ouest. Le désordre causé par les Métis et quelques Amérindiens le rendait furieux. Il voulait que ces autochtones collaborent à la réalisation de sa vision d’un Ouest anglo-canadien, non qu’ils la mettent en péril. Il ne tenta guère de comprendre leur point de vue et présenta même sous un faux jour les requêtes qu’ils adressaient pour avoir leur place dans le nouvel ordre des choses. Laurie semblait souvent se sentir menacé par la présence d’un groupe aussi nombreux et distinct ; il considérait les autochtones comme un obstacle à la colonisation blanche et voulait qu’on les éloigne par n’importe quel moyen. Les événements de 1885 lui donnèrent l’occasion de faire valoir son point de vue. À la fin de mars, effrayés par les rumeurs de violence, lui-même et quelque 500 autres colons de Battleford se réfugièrent dans le fort de la Police à cheval du Nord-Ouest, et les compagnons de Faiseur d’Enclos [Pītikwahanapiwīyin*] et des Indiens de la région, qui n’avaient plus rien à manger, pillèrent leurs maisons désertées. Le 2 mai, la milice canadienne, qui, sous le commandement du lieutenant-colonel William Dillon Otter*, s’était rendue à Battleford pour lever un siège plus imaginaire que réel, attaqua le campement de Faiseur d’Enclos près du mont Cut Knife. Laurie exigea le châtiment le plus sévère pour tous les « rebelles ». Cette mesure, soutenait-il dans ses éditoriaux, servirait d’exemple aux autres et prouverait aux immigrants éventuels que l’ordre serait maintenu dans l’Ouest. Il surestimait considérablement la participation des Indiens, qu’il décrivait comme des « sauvages sur le sentier de la guerre ». En fait, les Cris et les Assiniboines déjà installés dans des réserves n’entretenaient pas les mêmes griefs que les Métis de Batoche et de Saint-Laurent (St-Laurent-Grandin), dont les revendications foncières n’étaient pas encore réglées.
En 1896, Clifford Sifton*, ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de Wilfrid Laurier*, lança une ambitieuse campagne de promotion pour attirer des colons d’Europe. Parmi ceux qui répondirent à son appel, bon nombre ne convenaient pas à Laurie. Plus ces immigrants arrivaient en grand nombre, plus ses commentaires sur l’infériorité des cultures étrangères se multipliaient. D’après lui, les pires étaient les Galiciens. « Ils ne conviennent même pas au Manitoba, qui accepte n’importe quoi », faisait-il remarquer tout en prévenant qu’ils étaient porteurs de maladies. Ses attaques les plus violentes se portaient aussi sur les Doukhobors ; il était scandalisé que le voyage vers l’ouest de ces « étrangers » soit payé et qu’ils soient nourris en cours de route. Par contre, il trouvait les Finnois intelligents, bien éduqués et industrieux. En outre, même s’il ne le disait pas, ils étaient protestants et originaires du nord de l’Europe.
À la fin du xixe siècle, la société de l’Ouest présentait sans contredit une façade anglo-canadienne. C’étaient les membres de ce groupe qui détenaient les postes clés dans la nouvelle collectivité, et c’était leur idéologie, telle que Laurie et d’autres l’énonçaient, qui prédominait. Pendant plus de 20 ans, il n’avait cessé de haranguer les résidents de Battleford, de parler contre les groupes étrangers et les groupes d’intérêts, de faire valoir ce que lui considérait comme les aspirations de tous. Cette polémique contribua à faire que, à cette époque, personne n’était plus à l’aise dans l’Ouest que les Anglo-Canadiens.
Mais cette façade était trompeuse. Derrière elle, bien des gens n’avaient guère le temps de prêter attention aux structures imposées, isolés qu’ils étaient des courants dominants de l’opinion publique par les grands espaces des Prairies et incapables de se soustraire aux influences de l’environnement. En fait, en s’opposant au peuplement par groupes, Patrick Gammie Laurie contribua sans le savoir à l’émergence d’une culture politique passablement différente de celle qu’il défendait. En partie à cause de lui, ce furent les fermiers indépendants, imperméables aux idées nationalistes et impérialistes qu’il avait espéré leur léguer, qui triomphèrent. Ces fermiers – des immigrants qui luttaient pour leur existence sur des concessions statutaires de 160 acres – établirent, pour faire entendre leurs griefs et en obtenir la satisfaction, une tradition d’action directe, ce qui n’allait pas avec la notion de changement organique de Laurie et laissait peu de place à ses idéaux. L’influence nivelante de l’environnement put s’affirmer. Et pourtant, les cas d’intolérance raciale et culturelle qui apparaissent encore périodiquement montrent qu’il subsiste des vestiges de son point de vue.
Une sélection de la correspondance de Patrick Gammie Laurie tirée des registres de lettres des DeGear papers au Saskatchewan Arch. Board (Regina) a été publiée sous le titre de « Letters of P. G. Laurie », A. R. Turner, édit. Sask. Hist., 14 (1961) : 41–63.
GA, M314.— Saskatchewan Arch. Board (Saskatoon), J. C. DeGear papers ; Campbell Innes papers ; Effie Laurie Storer papers ; Cecelia Wetton papers.— Essex Record (Windsor, Ontario), 1861–1869.— Manitoba News-Letter (Winnipeg), 13 sept. 1870–1er juill. 1871.— Nor’Wester, 1869.— Owen Sound Times (Sydenham [Owen Sound, Ontario]), 1858–1860.— Saskatchewan Herald (Battleford), 1878–1903.— E. G. Drake, « Pioneer journalism in Saskatchewan, 1878–1887, part I », Sask. Hist., 5 (1952) : 17–27 ; « The territorial press in the region of present-day Saskatchewan, 1878–1905 » (thèse de
Walter Hildebrandt, « LAURIE, PATRICK GAMMIE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 18 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/laurie_patrick_gammie_13F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/laurie_patrick_gammie_13F.html |
Auteur de l'article: | Walter Hildebrandt |
Titre de l'article: | LAURIE, PATRICK GAMMIE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
Année de la révision: | 1994 |
Date de consultation: | 18 nov. 2024 |