LE MOYNE DE LONGUEUIL, JOSEPH-DOMINIQUE-EMMANUEL, officier dans l’armée et dans la milice, seigneur et homme politique, né le 2 avril 1738 dans la seigneurie de Soulanges (Québec), fils de Paul-Joseph Le Moyne* de Longueuil, dit chevalier de Longueuil, et de Marie-Geneviève Joybert de Soulanges ; décédé le 19 janvier 1807 à Montréal.
La noblesse des origines de Joseph-Dominique-Emmanuel Le Moyne de Longueuil et son appartenance à l’une des familles les plus prestigieuses de l’histoire militaire de la Nouvelle-France le destinaient tout naturellement à la carrière des armes. Il en gravit d’ailleurs rapidement les premiers échelons ; entré dans les troupes de la Marine à 12 ans, il est promu enseigne en second six mois plus tard, soit le 1er avril 1751. À ce titre, il conduit en 1754 un groupe de Hurons de Notre-Dame-de-Lorette (Loretteville, Québec) jusqu’au fort Duquesne (Pittsburgh, Pennsylvanie), lors d’une expédition commandée par Louis Coulon* de Villiers et destinée à consolider les positions françaises dans l’Ohio. Les liens entretenus depuis longtemps entre la famille Le Moyne de Longueuil et les nations indiennes suffisent largement à expliquer le rôle que joue Longueuil auprès des Hurons tout au long de sa carrière militaire sous le Régime français. Il est à leur tête le 3 juillet 1754 lors de la prise du fort Necessity (près de Farmington, Pennsylvanie), dirigée par Coulon de Villiers pour venger la mort de son frère, Joseph Coulon* de Villiers de Jumonville. Le 27 avril 1755, il prend le commandement d’un détachement de Hurons de Notre-Dame-de-Lorette depuis Québec jusqu’à la rivière Ohio. Promu enseigne en pied au mois de mai 1755, Longueuil participe avec son détachement à la bataille de la Monongahéla (près de Pittsburgh), le 9 juillet 1755. En 1757, il se joint à la campagne qui, orchestrée en deux temps, se solde par la capture du fort George (appelé aussi fort William Henry ; aujourd’hui Lake George, New York). D’abord affecté aux côtés de son père au commandement des alliés indiens lors de l’incursion que tente, en mars, François-Pierre de Rigaud* de Vaudreuil, il se voit de nouveau confier la même responsabilité au moment de l’offensive de Louis-Joseph de Montcalm* au mois d’août. Longueuil connaît bien le territoire semé de forts au sud du lac Champlain pour avoir procédé, au cours de l’été de 1756, à un véritable quadrillage de toute la région comprise entre les forts Carillon (près de Ticonderoga, New York) et Orange (Albany). Il semble d’ailleurs avoir excellé dans ce type d’action militaire. En effet, après avoir apparemment pris part à la défense de Carillon [V. Louis-Joseph de Montcalm] en 1758, il passe le reste de l’été à des activités de reconnaissance ou à des opérations s’inspirant du style « petite guerre », puis se voit investi par Montcalm, à l’automne suivant, du commandement d’une compagnie de volontaires avec mission d’« observer journellement sur les bords du lac St Sacrement ».
Le 1er janvier 1759, Longueuil est nommé aide-major des troupes de Trois-Rivières (Québec) et élevé par la même occasion au rang de lieutenant d’infanterie. Il participe à la campagne de Beauport, connaît ensuite l’amère défaite du 13 septembre sur les plaines d’Abraham et se retire près de la rivière Jacques-Cartier pour y passer l’hiver sous les ordres de Jean-Daniel Dumas*. Il est blessé à une cuisse au cours de la bataille de Sainte-Foy, le 28 avril 1760. Il quitte la colonie, vraisemblablement dans les six mois suivant la capitulation, et se rend à Paris où il est hébergé par son grand-oncle, le vieillard Jean-Baptiste Le Moyne* de Bienville. Des demandes répétées, tant de sa part que de personnes influentes, lui valent l’octroi d’une commission de capitaine, le 1er juillet 1766, et l’attribution, assez exceptionnelle en raison de son jeune âge, d’une pension de 400# à compter du 25 juillet de la même année.
L’impossibilité pour Longueuil de reprendre du service et le décès le 7 mars 1767 de son grand-oncle – dont le testament le déclare légataire du quart de sa succession – ne sont sans doute pas étrangers à sa décision de revenir au Canada. Rentré au pays, Longueuil épouse à Montréal, le 10 mars 1770, Louise Prud’homme, veuve de Louis de Bonne* de Missègle et mère de Pierre-Amable De Bonne. Tout en restant attentif aux grandes questions de l’heure, Longueuil mène une existence plutôt retirée jusqu’à ce que l’invasion américaine [V. Benedict Arnold ; Richard Montgomery*] lui offre l’occasion de mettre son savoir-faire militaire au service de la couronne britannique. Le 7 septembre 1775, il prend la tête d’une centaine de volontaires canadiens qu’il conduit de Montréal au fort Saint-Jean, sur le Richelieu. Sous les ordres de François-Marie Picoté* de Belestre, son détachement oppose durant 45 jours une résistance soutenue pour contrer les assauts de l’envahisseur. Envoyé à Albany et au New Jersey à la suite de la reddition du fort au début de novembre 1775, Longueuil est gardé prisonnier, selon toute apparence, jusqu’en mai 1777.
Le 25 novembre 1777, le gouverneur, sir Guy Carleton, nomme Longueuil inspecteur de milice, fonction dont il connaît déjà les tâches pour les avoir remplies à différentes reprises au cours de l’été de 1775 et surtout depuis son retour de captivité. Cette responsabilité ne constitue pas la seule gratification que lui a gagnée son loyalisme à l’Angleterre. En effet, le 20 août 1777, le roi autorise Longueuil à se joindre au Conseil législatif. Son serment d’allégeance prêté le 7 juillet 1778 marque le début de près de 30 ans de vie politique. La direction que prend la carrière de Longueuil exprime assez bien les préoccupations de ce noble qui, rassuré par l’Acte de Québec et bien servi par la conjoncture militaire, tente désormais de préserver ses acquis en se réfugiant dans un profond conservatisme politique. Son hostilité ouverte à l’endroit de l’établissement d’institutions parlementaires ne l’empêche pas, toutefois, de poursuivre sa carrière sous le nouveau régime établi en vertu de la constitution de 1791 en se voyant appelé à siéger aux conseils exécutif et législatif du Bas-Canada.
L’action politique de Longueuil reflète assez fidèlement l’idéologie de la noblesse seigneuriale de l’époque. Car Longueuil est aussi propriétaire terrien. Les seigneuries de Soulanges, de Nouvelle-Longueuil et de Pointe-à-l’Orignal que lui a laissées son père lui rapportent, pendant la décennie 1780–1790, des revenus annuels de £300. Longueuil administre ses propriétés à partir de Montréal où il réside, en concentrant surtout ses efforts sur la seigneurie de Soulanges qui lui fournit la quasi-totalité de ses revenus fonciers. Sa seigneurie de Pointe-à-l’Orignal est au contraire mise en vente dès 1784.
Même si le nom de Longueuil est bien gravé dans les annales politiques de l’époque, certains facteurs l’ont souvent obligé à rester quelque peu en retrait de l’avant-scène politique. Son lieu de résidence et sa participation aux affaires montréalaises sont souvent, par exemple, la cause d’un certain absentéisme des conseils. Mais il y a plus : l’homme politique ne s’est jamais véritablement défait de son uniforme militaire. En effet, après avoir assumé sa fonction d’inspecteur de milice jusqu’au 24 décembre 1783, Longueuil se voit d’abord promu au rang de major, le 12 juillet 1790, en reconnaissance des services rendus lors de l’invasion américaine. Le 10 mai 1794, il devient colonel de la milice de Vaudreuil. Enfin sa nomination, le 22 janvier 1796, au titre de lieutenant-colonel dans le Royal Canadian Volunteer Regiment, vient en quelque sorte consacrer sa carrière militaire. La levée de ce régiment colonial, commandée par la situation militaire en Europe et par le besoin qu’avait l’Angleterre de toutes ses troupes, permettait de suppléer au rapatriement des forces métropolitaines en intégrant les francophones et les anglophones du Haut et du Bas-Canada dans l’armée régulière. Investi dès le 25 juin 1796 du commandement du premier des deux bataillons du régiment – soit celui formé à l’intention des francophones et cantonné en permanence au Bas-Canada – Longueuil multiplie les marques de son loyalisme et conserve son poste jusqu’au démantèlement du régiment en septembre 1802.
Joseph-Dominique-Emmanuel Le Moyne de Longueuil meurt dans sa maison du faubourg Saint-Antoine à Montréal, le 19 janvier 1807. Sans héritier direct, son unique fils étant mort en bas âge, il avait légué par testament, le 21 novembre 1806, ses seigneuries de Soulanges et de Nouvelle-Longueuil à son neveu Jacques-Philippe Saveuse* de Beaujeu.
AN, Col., D2C, 48 : ff.309v., 349, 403v. ; 49 : ff.353, 379, 382, 386–388, 390, 392, 399, 401, 403, 405, 408v., 425–426, 428, 430, 432 ; 58 : ff.23v., 26v., 27 ; 59 : f.8 ; 61 : ff.126v., 134, 161 ; E, 290 (dossier Le Moyne de Longueuil).— ANQ-M, CE1-23, 18 janv. 1773 ; CE1-51, 10 mars 1770, 21 janv. 1807 ; CN1-308, 9 mars 1770 (copies aux APC).— APC, MG 11, [CO 42] Q, 11 : 284 ; 12 : 170 ; 13 : 164s. ; 25 : 241s. ; 27–1 :64 ; 38 : 241, 365s. ; 39 : 11s. ; 40 : 142 ; 57–1 : 227–230 ; 67 : 50s. ; 81–2 : 501 ; 82 : 282 ; 83 : 6, 216s. ; 85 : 213 ; 87–1 : 98–100 ; 98 : 198 ; 101–2 : 440 ; MG 24, L3 : 6819–6821, 24931s., 29469, 29473–29475, 29477s. (transcriptions) ; RG 1, E1, 108 : 44 ; 111 : 52.— BL, Add.
Gérald Pelletier, « LE MOYNE DE LONGUEUIL, JOSEPH-DOMINIQUE-EMMANUEL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/le_moyne_de_longueuil_joseph_dominique_emmanuel_5F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/le_moyne_de_longueuil_joseph_dominique_emmanuel_5F.html |
Auteur de l'article: | Gérald Pelletier |
Titre de l'article: | LE MOYNE DE LONGUEUIL, JOSEPH-DOMINIQUE-EMMANUEL |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
Année de la révision: | 1983 |
Date de consultation: | 2 oct. 2024 |