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CLOUSTON, sir EDWARD SEABORNE, banquier, né le 9 mai 1849 à Moose Factory (Ontario), fils de James Stewart Clouston, chef de poste à la Hudson’s Bay Company, et de Margaret Miles, fille sang-mêlé de Robert Seaborn Miles, agent principal à la Hudson’s Bay Company ; le 16 novembre 1878, il épousa à Brockville, Ontario, Annie Easton, et ils eurent deux filles ; décédé le 23 novembre 1912 à Montréal.
Formé à la High School of Montreal, Edward Seaborne Clouston commença à travailler pour la Hudson’s Bay Company en 1864. Le 8 mars de l’année suivante, il devint commis à la Banque de Montréal, dont son père était actionnaire. Discret et taciturne, réputé pour son dynamisme, son tact et son tempérament exigeant, il était destiné à de hautes fonctions. Après avoir été comptable durant plusieurs années à Brockville, à Hamilton et à Montréal, il fut affecté en 1875 au bureau de la banque à Londres, puis muté l’année suivante à son bureau de New York. En 1877, la banque le rappela à Montréal à titre d’inspecteur adjoint.
À Montréal, Clouston tira le meilleur parti possible de son expérience et de l’appui de deux personnalités qui seraient vice-présidents et présidents de la banque, Donald Alexander Smith et George Alexander Drummond*. Ami de sa famille, Smith en vint à considérer le jeune homme « comme son propre fils ». Ils avaient des antécédents semblables dans la traite des fourrures et, après la nomination de Smith au poste de haut commissaire du Canada à Londres en 1896, Clouston s’occuperait de ses intérêts financiers et de ses œuvres philanthropiques au Canada. En 1879, Clouston devint directeur adjoint d’une succursale de la banque à Montréal ; deux ans plus tard, il en fut nommé directeur. Il fut promu directeur général adjoint de toute la banque en 1887, directeur général suppléant en 1889, directeur général associé en 1890 et enfin directeur général en 1891. Même si les marchés financiers internationaux connurent certaines fluctuations au cours de ses premières années à la direction générale, les actionnaires continuèrent de recevoir leurs dividendes de 10 %, et la banque, de raffermir sa position dominante au pays et d’étendre ses activités à l’étranger. Clouston occupa sans interruption le poste de directeur général – pour lequel il finirait par toucher annuellement 35 000 $, y compris les avantages afférents – jusqu’à sa démission en décembre 1911. De plus, il serait vice-président du conseil d’administration de 1905 à son décès en 1912.
Opposé à une concurrence excessive au sein du milieu bancaire du Canada, Clouston, avec Bryon Edmund Walker*, Thomas Fyshe et d’autres, avait orchestré en 1890 la résistance des banques à charte aux modifications que le gouvernement fédéral entendait apporter à l’Acte de 1871 concernant les banques et le commerce des banques. Un de ces projets de modification obligeait les banques à charte à créer un fonds d’amortissement ; Clouston obtint que la taille en soit réduite. Grâce aux trois réunions qu’ils avaient tenues avant de faire des représentations au gouvernement, les dirigeants des banques à charte étaient si bien organisés qu’ils purent intervenir comme jamais auparavant dans la rédaction de la loi régissant leur propre conduite. Toutes leurs chartes furent renouvelées et, à l’encontre des revendications de plus en plus vigoureuses de la population, les réformes gouvernementales furent considérablement tronquées.
Fortes du succès de leur concertation, les banques fondèrent en décembre 1891 la Canadian Bankers’ Association. Clouston en fut président l’année suivante, pour la durée d’un mandat, puis appartint au comité directeur jusqu’à ce qu’il reprenne la présidence en 1899, à la veille de la révision décennale de la loi bancaire, ce qui n’était sans doute pas un hasard. Il ne quitterait la présidence qu’une semaine avant sa mort. Après avoir obtenu une charte fédérale en 1900, la Canadian Bankers’ Association, appelée dorénavant l’Association des banquiers canadiens, devint une véritable coterie. Habilitée à gérer le fonds d’amortissement et à sanctionner les membres qui enfreignaient ses règles, elle était, pour reprendre les termes de Clouston, « un agent gouvernemental d’administration de l’Acte concernant les banques et le commerce des banques ».
En janvier 1893, la Banque de Montréal, alors deux fois plus grosse que sa plus proche rivale canadienne, remplaça la Baring Brothers and Company et la Glyn, Mills, Currie and Company à titre d’agente du gouvernement canadien à Londres. Trois ans plus tard, elle y devint aussi l’agente du gouvernement de la province de Québec. Ces agences lucratives rehaussèrent sa position internationale (sous la direction générale de Clouston, elle affirmait être la troisième banque au monde) ; elles lui permirent aussi d’avoir accès aux capitaux britanniques et d’en orienter l’affectation. De plus, elles renforcèrent l’influence de la banque sur la politique gouvernementale. En fait, Clouston en vint à la considérer comme la banque centrale du Canada, et il ne cessait de donner des conseils aux dirigeants politiques. Le premier ministre du Canada, sir Wilfrid Laurier, resta sourd à ses leçons sur la nécessité de réduire les dépenses gouvernementales, de vendre le chemin de fer Intercolonial et de cesser de subventionner d’autres lignes, particulièrement celles qui concurrençaient le principal client de la banque, la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique. Par ailleurs, Clouston critiquait fréquemment en public l’étatisation de l’hydroélectricité produite à Niagara Falls prônée par le premier ministre James Pliny Whitney.
Sous la direction de Clouston, la Banque de Montréal prit de l’expansion, en grande partie en absorbant d’autres banques. Elle fit l’acquisition de l’Exchange Bank of Yarmouth en 1903, de la People’s Bank of Halifax en 1905 et de la People’s Bank of New Brunswick en 1907. De plus, elle récupéra l’actif de la Banque d’Ontario en 1906, à la suite de la faillite de celle-ci, et une part de l’actif de la Sovereign Bank of Canada en 1908. Elle continua de financer l’expansion d’entreprises canadiennes au pays et à l’étranger, surtout dans les secteurs de l’hydroélectricité, du transport, du commerce du bois et de la métallurgie, en faisant affaire avec des clients tels John Rudolphus Booth*, Edward Wilkes Rathbun*, la Laurentide Paper Company Limited, la Dominion Iron and Steel Company Limited [V. Benjamin Franklin Pearson] et la Royal Securities Corporation Limited [V. John Fitzwilliam Stairs*]. En outre, elle achetait des obligations de compagnies de chemins de fer des États-Unis et de la province de Québec.
La Banque de Montréal faisait aussi la promotion des intérêts de certaines sociétés canadiennes à l’étranger. En 1895, elle devint la banque du gouvernement de Terre-Neuve et, à ce titre, fut chargée de financer la Reid Newfoundland Company [V. sir Robert Gillespie Reid*] et la participation de la Dominion Iron and Steel Company Limited à l’exploitation du minerai de fer de l’île Bell. Elle devint favorable à l’entrée de Terre-Neuve dans la Confédération.
Les groupes financiers de Halifax, de Toronto et de Montréal qui mettaient sur pied diverses entreprises d’hydroélectricité et de transport en Amérique latine et aux Antilles pouvaient compter sur Clouston : il avait accès à des capitaux britanniques de plus en plus imposants, disposait d’un personnel technique et administratif, et défendait les investissements canadiens dans ces régions. Sous sa direction, la Banque de Montréal contribua au financement de la Mexican Light and Power Company (lui-même en était un gros actionnaire et appartint au conseil d’administration, notamment en qualité de président en 1908–1909) et de sa filiale, la Mexican Electric Light Company, ainsi qu’au financement de la Mexico Tramways Company, de la Demerara Electric Company et de la Rio de Janeiro Tramway, Light and Power Company Limited [V. Frederick Stark Pearson].
Pas plus que ses collègues, Clouston n’établissait de distinction nette entre ses intérêts personnels et ceux des entreprises auxquelles il participait. À cause de sa position, plusieurs sociétés, particulièrement celles que finançait sa banque, trouvaient utile de l’avoir à leur conseil d’administration ; parfois, il y était admis automatiquement. Ainsi, il fut président, vice-président ou simple membre du conseil de plus d’une vingtaine de grosses sociétés. Cette situation risquait d’engendrer des conflits. L’affaire de la Mexican Light and Power Company en est l’exemple le plus frappant. En 1908, Clouston participa à une opération dont le but était de louer cette entreprise en difficulté, financée en partie par la Banque de Montréal, à la Mexico Tramways Company, dans laquelle il avait des intérêts. En général, lorsque Drummond, président de la banque, conseillait de faire quelque chose, Clouston l’appuyait, et vice versa. Au début, cependant, cette question divisa les deux hommes, et même l’ensemble du milieu montréalais des affaires. Clouston finit par se rallier au plan conçu par Drummond en vue de faire battre la proposition, mais ils perdirent le contrôle de la Mexican Light au profit d’un groupe d’hommes d’affaires torontois, britanniques et américains.
Clouston était réputé savoir bien jauger les gens, mais il eut tort de croire que le dictateur du Mexique, le général Porfirio Díaz, resterait encore longtemps au pouvoir et que les investissements n’étaient pas menacés dans la république. Díaz fut renversé par les révolutionnaires de 1911, ce qui fit perdre énormément d’argent à la banque. Ces pertes, ajoutées à son rôle dans la controverse de la Mexican Light and Power et à son appui à William Maxwell Aitken* dans la mise en faillite de la Western Canada Cement and Coal Company (propriété de sir Sandford Fleming) au cours de la vaste opération de fusion qui déboucha en 1909 sur la création de la Canada Cement Company, pourraient lui avoir coûté la présidence de la banque et avoir hâté sa retraite. Apparemment, dès 1910, le conseil d’administration ne lui faisait plus confiance. Contrairement aux attentes du public, au terme des cinq mois de délibérations qui suivirent la mort de Drummond en février 1910, le conseil choisit Richard Bladworth Angus* comme président et non Clouston, pourtant plus jeune et mieux qualifié. En novembre 1911, Clouston remit sa démission ; officiellement, on invoqua des raisons de santé. En retour, il reçut un an de salaire, se vit offrir la possibilité d’acheter la maison du directeur général pour 100 000 $ et toucha une somme de 15 000 $ assortie de la condition de ne travailler pour aucune autre banque.
Sur la scène montréalaise, Clouston appuya la formation de la Citizens’ League et finança la campagne menée par celle-ci en 1909–1910 pour la création d’un bureau municipal de contrôle. Deux ans auparavant, il s’était joint à d’autres hommes d’affaires importants en vue d’améliorer l’approvisionnement de la ville en eau et la protection des propriétés commerciales du centre-ville contre les incendies. Vice-président du Montreal Crematorium Limited et membre bienfaiteur à vie de la Maison protestante d’industrie et de refuge de Montréal, il figurait également parmi les donateurs de la Congrégation de Notre-Dame, de l’University Settlement of Montreal et du mouvement scout.
Malgré ses nombreuses obligations d’homme d’affaires, Clouston était un fervent sportif. Habile au football, à la crosse et à la raquette, il pratiquait aussi le patinage artistique, la raquette à neige, le curling, la natation, le yachting, le golf et la conduite automobile. Il appartint à au moins une dizaine d’associations et clubs sportifs et y occupa des postes de direction. Administrateur de la coupe Stanley, de la coupe Allan et de la coupe Minto, il donna une coupe au Montreal Horse Show et un trophée à la Royal Life Saving Society afin d’encourager la nage de compétition. En qualité d’administrateur et de vice-président de la Parks and Playgrounds Association of Montreal, il contribua fortement – avec sa femme, Annie Easton (qui fut vice-présidente du comité féminin) – à la préservation du parc du Mont-Royal.
Clouston soutenait généreusement les services de santé. Il fut administrateur (1893–1912) et président (1910–1912) de l’hôpital Royal Victoria et membre du conseil d’administration de six autres hôpitaux de la région montréalaise. Il appartint au comité directeur de l’Association ambulancière Saint-Jean et au conseil provincial de la Croix-Rouge. Il fut aussi président de la Montreal Association for the Blind, dont il était l’un des bienfaiteurs.
Comme bon nombre des princes montréalais de la finance, Clouston soutenait l’éducation et parrainait le théâtre, la musique, les arts et les bibliothèques. Il fut administrateur de l’Institut Fraser et de la McGill University et appartint à la Champlain Society. Bienfaiteur et membre du conseil de l’Association des beaux-arts de Montréal, il possédait « beaucoup de beaux tableaux » et paya les vitraux de la chapelle de l’hôpital Royal Victoria.
Fervent impérialiste, Clouston persuada la Banque de Montréal de faire des dons d’une générosité sans précédent aux œuvres de charité associées à la guerre des Boers et promut en 1909 la création d’une agence de presse impériale. En 1907, le Star de Montréal dit qu’il était millionnaire ; il fut créé baronnet en 1908 et, à sa propre demande, obtint des armoiries du Collège héraldique d’Angleterre. Lui-même et lady Clouston donnaient de somptueuses réceptions à leur résidence de Montréal et dans leur domaine de Senneville. Dans cette propriété appelée Boisbriant – d’une superficie de 300 acres, elle fut estimée à 35 000 $ en 1898 –, Clouston pouvait s’adonner à l’élevage des chevaux, à la culture fruitière et à l’horticulture. Il était membre du conseil d’administration de la Montreal Horticultural Society et de la Fruit Growers’ Association of the Province of Québec.
La mort subite de Clouston fut annoncée dans tout le Canada, aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Un service commémoratif réunit, en l’église St Peter du square Eaton, à Londres, lord Strathcona [Smith], d’anciens gouverneurs généraux, ainsi que nombre d’amis et d’associés titrés. Ses obsèques à l’église St John the Evangelist à Montréal furent simples, mais l’élite commerciale et politique de la ville y assista.
On a dit de sir Edward Seaborne Clouston qu’il était l’exemple même du banquier canadien. Il était astucieux, puissant et austère, mais loin d’être prudent en matière de finances. C’était un penseur qui savait écouter et qui s’entourait d’hommes à son image, forts et loyaux. On salua en lui un mécène, un patriote et un patron bienveillant et généreux, particulièrement soucieux de ses employés. Comme il avait la réputation d’être avare de mots, l’Association des banquiers canadiens estima que le silence était « le meilleur hommage [à rendre] à sa mémoire ». En attendant la grande biographie qu’il mérite, bien des questions sur sa vie et sa carrière resteront sans réponse.
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Carman Miller, « CLOUSTON, sir EDWARD SEABORNE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 24 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/clouston_edward_seaborne_14F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/clouston_edward_seaborne_14F.html |
Auteur de l'article: | Carman Miller |
Titre de l'article: | CLOUSTON, sir EDWARD SEABORNE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 24 nov. 2024 |