LE BER, JACQUES, marchand et seigneur, anobli en 1696, né dans la paroisse de Pistre, diocèse de Rouen, aux environs de 1633, fils de Robert Le Ber et de Colette Cavelier qui était peut-être une parente de Cavelier* de La Salle, décédé à Montréal le 25 novembre 1706.

Le Ber arriva au Canada en 1657 et se fixa à Montréal. Son frère, François, s’y établit aussi, à peu près à la même époque, et sa sœur Marie entra au couvent des Ursulines de Québec. Les Iroquois intensifiaient alors leurs attaques contre la colonie et, comme la région qu’habitait Le Ber était la plus exposée, il risqua sa vie à maintes reprises dans des expéditions contre eux. En 1663, il était, de même que son frère François, membre de la milice de la Sainte-Famille que Chomedey* de Maisonneuve avait mise sur pied pour la défense de l’île.

Mais, plus que soldat, Le Ber était avant tout homme d’affaires. Le 7 janvier 1658, il avait épousé Jeanne Le Moyne, sœur de Charles Le Moyne* de Longueuil et de Châteauguay, et peu de temps après il s’associait à son beau-frère. En 1664, les deux partenaires possédaient des magasins à Montréal et à Québec et leurs affaires prospéraient. L’activité de Le Ber, toutefois, ne se limitait pas à la traite des fourrures et à la vente de marchandises : il s’intéressait vivement à toutes les ressources que pouvait offrir le Canada et il fut un important pionnier de leur exploitation. Il se lança dans l’industrie de la pêche à la morue et commerça avec. les Antilles ; il fut l’un des premiers à expédier en France des « bordilles » et des « merrains » ; il expérimenta aussi la transplantation en sol canadien d’arbres fruitiers européens.

Vers 1670, il était devenu un des personnages principaux de la coterie ambitieuse et riche qui avait surgi au Canada. Au nombre de ses associés on notait le partenaire de Charles Aubert de La Chesnaye, Charles Bazire*, avec lequel il se lança dans de nombreuses spéculations commerciales. En 1674, le gouverneur Buade* de Frontenac céda à bail aux deux associés le poste qu’il avait fondé à Cataracoui (fort Frontenac), point stratégique du commerce avec les Iroquois et certaines tribus de l’Ouest. Cependant, l’année suivante, le gouverneur effectua le transfert du bail en faveur de Cavelier de La Salle. D’allié dévoué qu’il avait été, Le Ber s’était maintenant mué en ennemi juré de Frontenac. Il semble bien qu’il ait organisé un réseau rival de traite des fourrures avec Le Moyne, La Chesnaye et Philippe Gaultier* de Comporté qui, eux aussi, s’estimaient lésés par la politique de Frontenac. En 1682, ce groupe de puissants marchands gagna la faveur du nouveau gouverneur Le Febvre* de La Barre qui accorda promptement à Le Ber et à La Chesnaye la possession du fort Frontenac et, en outre, favorisa la formation de la Compagnie du Nord dans laquelle Le Ber et Le Moyne investirent 21 357#.

Aux environs de 1680, Le Ber était l’un des hommes les plus riches et les plus respectés de la colonie. Il était propriétaire d’un magasin à Montréal et, chaque année, il expédiait en France d’énormes quantités de fourrures, et des lettres de change pour des sommes élevées. Pour l’année 1693 uniquement, ces lettres de change tirées sur l’État ou sur des particuliers s’élevèrent à 79 380#. Il possédait en outre les deux tiers de la seigneurie de l’île Saint-Paul, près de Montréal, qu’un inventaire dressé en 1694 évaluait à 18 400#. Il était aussi seigneur de Senneville, un domaine de 200 arpents, sur le lac des Deux-Montagnes. Il habitait, cependant, rue Saint-Paul à Montréal, une maison de deux étages érigée sur un terrain que ceinturait une palissade de bois. Les invités qu’il recevait à dîner étaient servis par Jacques, l’esclave noir, et mangeaient sans doute dans des assiettes d’argent évaluées à 2 140#. En 1696, Louis XIV, voulant regarnir ses coffres vides, avait mis en vente un certain nombre de lettres de noblesse. Le Ber s’empressa d’acquérir les siennes contre 6 000# et ajouta fièrement à son nom le titre d’écuyer. En août 1715, un décret du Conseil d’État révoqua toutes les lettres de noblesse vendues après 1689, mais les descendants de Le Ber obtinrent des lettres patentes les soustrayant à cette loi.

La grande richesse de Le Ber lui valait une influence prépondérante dans les affaires de la colonie. Il était au nombre des 20 notables que Frontenac convoqua en 1678 pour connaître leur point de vue sur la traite de l’eau-de-vie avec les Indiens. La majorité d’entre eux prétendait qu’aucune restriction ne devait entraver ce commerce, mais Le Ber et quatre autres membres de cette assemblée maintenaient qu’il fallait l’interdire en dehors des habitations françaises. L’année suivante, la question reçut une solution temporaire à la suite de l’édit de Louis XIV qui entérinait la prise de position du groupe minoritaire. En 1684, Le Ber siégea au sein d’une autre assemblée de notables, où tous étaient d’accord pour s’opposer à la substitution des taxes de 25 p. cent sur les peaux de castor et de 10 p. cent sur le cuir d’orignal par la capitation et une imposition sur la nourriture et la propriété.

Quand, aux environs de 1680, les Iroquois relancèrent leur guerre contre la Nouvelle-France, Le Ber et les siens se portèrent une fois de plus à la défense de la colonie. En 1686, il érigea un moulin de pierre sur l’île de Montréal, près de la rivière Outaouais, afin d’offrir aux habitants de la région un abri sûr en cas d’incursions par les Cinq-Nations. En 1693, il se joignit à un détachement de 300 Canadiens, 100 soldats et 230 Indiens qui allèrent attaquer les Agniers sur leur propre territoire.

Le Ber mourut à Montréal le 25 novembre 1706. D’après le rapport de Jacques Raudot sur l’état financier des principaux actionnaires de la Compagnie de la Colonie, Le Ber jouissait alors d’une grande aisance. Sa femme était morte le 8 novembre 1682. Deux de ses fils l’avaient aussi précédé dans la tombe – Louis, sieur de Saint-Paul, décédé peu après 1690, à La Rochelle où il était agent d’affaires pour son père, et Jean-Vincent, sieur Du Chesne, mortellement blessé en 1691, au cours d’un engagement contre un parti d’Anglais et d’Iroquois, près du fort Chambly. Trois enfants survécurent à leur père : Jeanne, la célèbre recluse, Pierre, et Jacques, sieur de Senneville. Celui-ci, alors qu’il servait en France, aux environs de 1690, en qualité d’aide de camp, dissipa sa part d’héritage paternel, soit 40 000#. À son retour au Canada, on le nomma capitaine dans les troupes de la marine et bientôt il se livra avec succès à la traite des fourrures et au négoce. À sa mort, en 1735, il possédait, en commun avec Toussaint Pothier, son associé depuis 1731, 64 000# en espèces, déposées dans les coffres de leur magasin de Montréal.

Yves F. Zoltvany

AJM, Greffe d’Antoine Adhémar ; Greffe de Bénigne Basset ; Greffe de Claude Maugue (les documents les plus significatifs provenant de ces greffes sont : le contrat de mariage de Le Ber, daté du 29 décembre 1657 ; un document de 60 pages contenant l’inventaire de ses biens et de ses dettes au 1er décembre 1694 ; son testament, daté du 25 juin 1701. Les deux premiers documents ont été rédigés par Basset et le troisième par Adhémar) ; Registre d’état civil de Notre-Dame de Montréal, 1693–1696, p.200.— AJQ, Greffe de J.–B. Peuvret de Mesnu, 30 juill. 1658 (dans ce document, on désigne Le Ber comme Jacques Le Ber, sr. de la Roze, mais il semble qu’il ait laissé tomber ce titre peu après son arrivée au Canada).— AN, Col., B, 19, 22, 39 ;Col., C11A, 4–20, 125 ; Col., F3, 5, f.75 ; 6, f.148.— Dollier de Casson, History of Montréal (Flenley).— Jug. et délib., I, II, III, IV, V, passim.— NYCD (O’Callaghan et Fernow), IX : passim.— P.–G. Roy Inv. concessions, II : 99–101, 103, 128s.— Eccles, Frontenac.— [Faillon], Histoire de la colonie française, III ; Lhéroïne chrétienne du Canada ou vie de Mlle Le Ber (Ville-Marie [Montréal]), 1860.

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Yves F. Zoltvany, « LE BER, JACQUES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 22 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/le_ber_jacques_2F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1969
Année de la révision:    1991
Date de consultation:    22 nov. 2024