Les hommes de la 1re division, la première cohorte du Corps expéditionnaire canadien arrivée en Angleterre au début de la Première Guerre mondiale, passèrent des mois dans la plaine de Salisbury en hiver à apprendre les rudiments de la guerre. Le commandant de la division, le lieutenant-général Edwin Alfred Hervey Alderson, la trouva mal équipée, mal entraînée, et encadrée par avec bien des officiers médiocres. Pendant quelques mois froids et pluvieux d’entraînement dans la plaine de Salisbury, il fit son possible pour arranger les choses : il congédia quelques-uns des officiers choisis par Samuel Hughes, le ministre de la Milice et de la Défense, et remplaça, par de l’équipement britannique, l’équipement de fabrication canadienne qui était inutile. Au début, 70 % des membres de la division d’Alderson étaient d’origine britannique, mais les soldats canadiens étaient différents, en grande partie à cause de leurs officiers qui, dans la plupart des cas, n’étaient pas aussi puissants ni aussi respectés que les officiers des régiments britanniques. Chez ces derniers, la classe sociale, peut-être autant que la compétence, contribuait au maintien de la discipline.
Le major-général Arthur William Currie se démarquait de la plupart des généraux de l’armée britannique. Il provenait de la milice coloniale, avait des kilos en trop et ne portait pas de moustache. De plus, il encourageait « un franc échange d’opinions », ce qui n’était certainement pas toujours le cas chez les Britanniques, imbus de hiérarchie. Sympathique, il était à l’aise avec son état-major et apprécié par ses officiers. Currie avait cependant de la difficulté à transmettre ses belles qualités à ses soldats, dont il ne comprenait pas le tempérament, qui le trouvaient rigide, abrupt, parfois suffisant, et à l’occasion insolent. Il était également à cheval sur la discipline, surtout après le comportement relâché de la division canadienne en Angleterre. Il demandait que les saluts soient impeccables et les boutons astiqués, des exigences qui ne lui valaient pas l’affection des autres gradés et hommes de troupe. À cause de ses défauts et du ressentiment naturel des troupes en première ligne envers les commandants d’arrière-garde, il s’attira l’hostilité de certains membres du Corps d’armée canadien.
Le lieutenant-colonel Malcolm Smith Mercer des Queen’s Own Riffles était l’un des officiers supérieurs de Toronto et, même s’il ne l’affichait pas, il était conservateur. Hughes, fut impressionné, semble-t-il, par Mercer et trouva logique de lui confier le commandement des quatre bataillons ontariens qui feraient partie de la 1re brigade d’infanterie du Corps expéditionnaire canadien. Apparemment, ce choix ne suscita aucune controverse, contrairement à certaines autres nominations de Hughes. Mercer s’embarqua pour l’Angleterre à ce titre, supervisa l’entraînement de sa brigade dans la plaine de Salisbury et fut confirmé brigadier-général le 4 février 1915, à la veille du départ des Canadiens pour la France.
Quand la division canadienne connut son premier engagement sérieux, à Ypres (Ieper, Belgique), le 22 avril, la brigade de Mercer était en réserve à Vlamertinge, quelques milles à l’arrière de la ligne. Deux de ses bataillons furent lancés dans la bataille et lui-même se trouva presque inoccupé. Le lendemain, il envoya docilement ses hommes attaquer la crête de Mauser et alla lui-même protester auprès des troupes françaises voisines, qui avaient promis des renforts mais n’en avaient pas envoyés.
Cette bataille permit à Mercer de montrer sa bravoure sous le feu ennemi, mais elle ne mit pas à l’épreuve son habileté au combat. Lorsqu’Alderson fut placé au commandement du nouveau Corps d’armée canadien, en septembre, et que les collègues brigadiers de Mercer, Arthur William Currie et Richard Ernest William Turner, furent promus respectivement à la tête de la 1re et de la 2e division, il resta à la 1re brigade. Cependant, le 20 novembre, il prit la direction des troupes de corps d’armée, groupe d’unités qui, un mois plus tard, formèrent le noyau de la 3e division canadienne.
La première vraie bataille qu’eut à livrer la division de Mercer était imprévue. Le 1er juin, les bataillons des Canadian Mounted Rifles tenaient pour les alliés la dernière portion de la crête d’Ypres, du mont Sorrel à la cote 62, point culminant d’un éperon qui se prolongeait vers l’ouest jusque dans la ligne alliée entre le bois d’Armagh et le bois du Sanctuaire. Ce terrain était de toute première importance. Les Allemands, prévoyant que les Britanniques lanceraient une offensive sur la Somme, plus au sud, étaient résolus à attaquer pour créer une diversion. Même pour des hommes peu chevronnés, les préparatifs allemands finirent par devenir évidents. À l’aube du 2 juin, Mercer et le brigadier-général Victor Arthur Seymour Williams partirent en reconnaissance pour le mont Sorel et la cote 62. Ils étaient avec le 4th Battalion des Canadian Mounted Rifles lorsque les Allemands déclenchèrent un tir de barrage d’une intensité sans précédent. « Toute la position ennemie, a écrit un témoin allemand, n’était qu’un nuage de poussière et de terre d’où surgissaient constamment des madriers, des troncs d’arbre, des armes et des pièces d’équipement, et à l’occasion des corps d’homme. »
Les deux généraux furent atteints dès les premières minutes. Williams était grièvement blessé. Selon l’historien officiel, l’explosion d’un obus avait déchiré les tympans de Mercer et une balle lui avait brisé la jambe. Le lieutenant Lyman Gooderham, aide de camp de Mercer, a rapporté qu’il aida le général à gagner l’orée du bois d’Armagh, derrière la position du bataillon, et partit ensuite chercher de l’aide. Peu après midi, les Allemands avancèrent, sans presque rencontrer de résistance, et capturèrent Williams, Gooderham et quelques centaines de survivants encore sous le choc. Mercer n’était pas parmi eux.