La loi sur les biens des jésuites
À la fin du xviiie siècle, les Britanniques avaient confisqué des terres dans le Bas-Canada appartenant à la Société de Jésus. Lorsque la société fut restaurée en 1842, les autorités jésuites demandèrent la restitution de leur propriété. À la suite de négociations avec le pape Léon XIII, le premier ministre de la province de Québec, Honoré Mercier, présenta un projet de loi qui devint l’Acte relatif au règlement de la question des biens des jésuites en 1888 ; celui-ci attribuait des fonds aux jésuites, à l’université Laval, à la préfecture apostolique du golfe Saint-Laurent, aux diocèses catholiques et aux écoles protestantes.
De nouveau, certains protestants de l’Ontario exprimèrent leur colère et exercèrent des pressions auprès du gouvernement de sir John Alexander Macdonald pour qu’il révoque la loi provinciale de Mercier, droit garanti au gouvernement fédéral selon l’article 90 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Mais Macdonald ne plierait pas :
Les journaux protestants de Toronto lancèrent l’offensive après que l’Acte relatif au règlement de la question des biens des jésuites eut reçu la sanction royale en juillet 1888 [V. Christopher William Bunting]. Les protestants ontariens en exigeaient l’annulation sous prétexte que le pape s’était immiscé dans une entente entre les jésuites et la province de Québec (propriétaire des biens depuis la Confédération). De leur côté, Macdonald et le ministre de la Justice, sir John Thompson, estimaient que l’on devait maintenir la loi. Le tumulte protestant pour obtenir des « droits égaux » se déclencha en mars 1889 [V. Daniel James Macdonnell]. William Edward O’Brien*, député de Muskoka, prévint Macdonald qu’il présenterait une motion aux Communes dans le but de faire annuler la loi. Macdonald répondit qu’il le déplorait et ajouta, ce qui était bien de lui, qu’il serait désolé si un conservateur se sentait obligé de quitter le parti simplement parce qu’il avait voté pour la motion d’O’Brien. Il avertit le député de Winnipeg, William Bain Scarth*, son bras droit au Manitoba, de ne pas se mêler du tout de la question des « droits égaux ». Bien des conservateurs y militeraient peut-être, mais Macdonald estimait qu’ils seraient « hors de danger au moment des élections ». « Rien ne sert, ajoutait-il, de leur rappeler leur erreur. Telle est la perversité de la nature humaine que cela pourrait les amener à s’entêter. » Macdonald n’était guère enclin aux récriminations.
Dans les journaux de l’Ontario, des agitateurs protestants, tel Edward Farrer, défendirent la cause :
La notoriété du Mail atteignit son point culminant pendant la controverse de 1889 sur les biens des jésuites, soit au moment où le journal aida à lancer le mouvement pour les « droits égaux », voué à l’abrogation des garanties constitutionnelles accordées aux Canadiens français et aux catholiques [V. D’Alton McCarthy*]. À l’instar de Goldwin Smith*, auteur de quelques-uns des éditoriaux les plus extrémistes du Mail, Farrer prévoyait l’éclatement d’un irréductible conflit entre la doctrine de l’Église catholique et la foi du Nouveau Monde en l’égalité religieuse, en la liberté d’opinion et en l’autonomie des tribunaux et des assemblées législatives face au pouvoir religieux. Aussi accusa-t-on les deux rédacteurs d’aggraver les tensions de « races et [de] croyances » au Canada en vue de briser la Confédération et d’encourager l’annexion.
Macdonald craignait les conséquences de ces points de vue, comme il l’écrivit à un collègue en 1890 :
« Le démon de l’animosité religieuse, qui, je l’espérais, avait été enterré dans la tombe de George Brown, est ressuscité [...] McCarthy a semé les dents du Dragon. Je crains qu’elles ne sortent de terre sous forme d’hommes armés. »
Macdonald se joignit au chef de l’opposition libérale, Wilfrid Laurier, pour voter contre la motion de McCarthy visant à révoquer la loi. Le biographe de Laurier résume la situation nationale :
Une marmite prête à exploser, voilà l’image qui vient à l’esprit lorsqu’on scrute le Canada des années 1888–1890. Au fond, le problème qui se posait alors concernait l’identité nationale. Certains voyaient la nation canadienne liée de près à l’Empire britannique tandis que d’autres l’ancraient davantage sur le continent nord-américain. Mais il y avait plus. Certains anglo-protestants optaient pour une nation canadienne plutôt exclusive, unilingue anglaise et protestante. Redoutant la force et l’ambition des Canadiens français catholiques, qu’exprimait avec tant de vigueur Mercier, ils partirent en croisade contre le dualisme canadien. Les autres, les Canadiens français, suivis par des Anglo-Saxons, rêvaient surtout d’un Canada bilingue et biculturel. Eux aussi partirent en croisade passionnée.
Pour en savoir plus sur l’Acte relatif au règlement de la question des biens des jésuites et sur le défi de l’unité nationale qu’affronta Macdonald, veuillez consulter les biographies suivantes.