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WIER, BENJAMIN, entrepreneur et homme politique, né le 9 août 1805 dans le canton de Newport, comté de Hants, Nouvelle-Écosse, fils de Benjamin et Phebe Wier, décédé le 14 avril 1868 à Ottawa, Ontario.
La famille Wier émigra en Nouvelle-Écosse peu après 1760 avec un groupe d’Ulstériens, amenés par un spéculateur foncier, le colonel Alexander McNutt*. Parmi ses descendants, on compte des membres des conseils de fabrique de l’Église d’Angleterre, des juges de paix et des membres de l’Assemblée provinciale. Pourtant, lorsque le père de Benjamin Wier mourut vers 1827, la famille dut vendre ses biens à l’encan pour contenter ses créanciers.
À cette époque, Benjamin Wier avait déjà épousé une cousine et s’était établi comme « marchand général » à quelques milles de Windsor. Attiré par l’intense activité commerciale qui régnait à Halifax à la fin des années 20, période particulièrement prospère, Wier partit pour la capitale en 1830 et tenta de s’intégrer à l’élite commerciale de la rue Water, mais ses espoirs furent cruellement déçus lors de l’effondrement économique qui survint au milieu des années 30. Dépossédé de sa propriété donnant sur la mer par d’acharnés créanciers et réduit de l’état de négociant à celui d’épicier au détail, Wier n’en demeura pas moins à Halifax. Lorsque le commerce reprit en 1838, il s’associa avec John Bowles Woodworth et regagna la partie de la ville faisant face à la mer pour y gérer un modeste commerce de gros et de détail où l’on vendait de tout, du hareng aux bardeaux. L’association prit fin cependant, en 1841, au cours d’une nouvelle récession économique qui mit Woodworth en faillite et, par voie de conséquence, le crédit de Wier en péril.
Au cours de ces dures années, Benjamin Wier acquit une réputation de malappris et de mécontent. Ainsi, en 1836, il reçut une amende de 10 shillings pour voies de fait et une de £10 pour avoir vendu de l’alcool sans permis. Il acquit aussi le renom d’agitateur politique. Son nom apparaît sur plusieurs pétitions rédigées par des petits commerçants de Halifax exigeant une réforme de l’administration municipale et de son régime fiscal, prétendument discriminatoire. Vers 1835, lorsque la lutte entre la Halifax Banking Company et sa nouvelle rivale, la Bank of Nova Scotia, coupa le crédit et provoqua de multiples faillites commerciales, Wier participa à des réunions de protestation et signa des pétitions accusant les classes possédantes de Halifax de dangereuse irresponsabilité. À la fin des années 30, il avait fait sienne la lutte de Joseph Howe* contre l’oligarchie. À l’instar de bien d’autres petits propriétaires de Halifax, Wier voyait la réforme comme un moyen d’obtenir l’érection de la ville en municipalité, aux termes d’une charte démocratique qui leur permettrait de déposséder les négociants traditionnels de leur prédominance dans les affaires civiques. À cause du peu de zèle de Howe pour la réforme municipale, Wier ne vit ses espoirs se réaliser qu’à partir du milieu des années 40, lorsqu’en abaissant le cens électoral des conseillers et des électeurs il collabora à la démocratisation de la charte municipale de 1841. En 1851, après avoir siégé quelque temps au sein du nouveau conseil municipal, où il acquit une réputation de tenant du parti libéral, et d’adepte de l’octroi des places aux adhérents du parti au pouvoir, il réussit à se faire élire à l’Assemblée provinciale comme représentant du canton de Halifax.
À cette époque, Wier avait fini par réussir en affaires. Vers 1845, il s’était lancé dans le commerce de gros, surtout avec la Nouvelle-Angleterre, à laquelle il expédiait du poisson en échange de denrées américaines, tabac, goudron et autres produits de première nécessité. En 1847, il mit en service deux petits voiliers qui transportaient régulièrement le courrier entre Halifax et Boston. L’entreprise fut d’un bon rapport et dura jusqu’en 1860, date à laquelle les bateaux à vapeur remplacèrent les voiliers. Dans les années 50, Wier se constitua une flotte de schooners qui commerçait partout dans le golfe du Saint-Laurent, fournissant, à partir de Halifax, les villages de pêcheurs et en ramenant du poisson, de l’huile et du bois à réexpédier en Nouvelle-Angleterre.
Comme ses affaires prenaient de l’extension, Wier se mit à prendre des associés : Reuben Ingriam Hart en 1850, puis son gendre John Thomas Wylde, Levi Hart et Charles James Wylde. En 1851, les locaux de Benjamin Wier and Company, situés dans la rue Lower Water, étaient évalués à £12 000, ce qui marquait un progrès considérable par rapport à l’évaluation de £200 faite en 1834 par les estimateurs municipaux. Wier avait également, en 1849, fait l’achat d’une résidence de £1 400 située sur la rue Hollis, où habitaient surtout des bourgeois de la ville. La prospérité régnant au milieu de l’époque victorienne avait fait proliférer les sociétés par actions ; aussi les voisins de Wier n’avaient-ils pas mis longtemps à s’associer avec lui en affaires. En 1860, il siégeait au conseil d’administration d’entreprises aussi diverses que le Halifax Marine Railway, la Grand Lake Land Company, la Chebucto Marine Insurance Company, l’Union Marine Insurance Company, l’Union Bank of Halifax et l’Acadian Iron and Steel Company, sociétés dont les capitaux engagés se montaient à $2 800 000 environ. Wier fut prié, en gage d’estime, d’assumer des charges administratives, par exemple de faire partie de la direction du Halifax Visiting Dispensary. Sa respectabilité nouvellement acquise s’affermit encore lorsqu’il devint membre de la franc-maçonnerie, de la confrérie des Oddfellows et du Halifax Yacht Club. En 1852, il fut admis à la Charitable Irish Society, l’organisation laïque la plus influente de la communauté irlandaise locale, dont il devint le président quatre ans plus tard.
L’ascension sociale de Wier eut des répercussions profondes sur ses opinions politiques. Si les premiers discours qu’il tint à l’Assemblée plaidaient en faveur du suffrage universel et du scrutin secret, vers 1855 son attitude avait changé sous l’influence de sa carrière commerciale, sociale et politique. Il cessa de promouvoir le progrès de la démocratie et finit même par s’en prendre à ceux qui osaient contester le statu quo des institutions. Ses principes politiques étaient dès lors réduits à quelques convictions fondamentales : la construction de voies ferrées par l’État, le libre-échange avec les États-Unis, la conservation d’une législation libérale sur les alcools en dépit des campagnes de tempérance et, surtout, le maintien au pouvoir du parti libéral.
Même s’il « n’avait pas de culture, sauf les bribes qu’il avait pu glaner tout seul », sa présence ne pouvait être ignorée au sein du corps législatif. Grand, fortement charpenté, doté « d’un large visage massif [...] à l’expression bourrue, accentuée mal à propos par des regards menaçants », Wier avait assez d’énergie et d’adresse pour aboutir à ses fins au cours des débats, à force d’user d’intimidation. Représentant de cette nouvelle race d’hommes d’affaires, politiciens perspicaces et ambitieux, qui apparut au milieu de l’ère victorienne, Wier ne passa pas inaperçu. En 1856, il fut nommé membre du Conseil exécutif par le premier ministre William Young*. Cette promotion survint au moment où le parti libéral commençait à se désagréger par suite des divergences d’opinions entre catholiques irlandais et protestants sur les questions des écoles confessionnelles et de l’envoi de volontaires à la guerre de Crimée menée par la Grande-Bretagne. En dépit de son prestige de président de la Charitable Irish Society, Wier ne parvint pas à concilier les factions adverses, et le gouvernement de Young tomba au début de 1857 [V. Joseph Howe*]. Comme conseiller exécutif, Wier n’eut à son actif, d’après ce qu’on a dit, que la mise en application au sein de l’administration provinciale de l’octroi de postes aux adhérents du parti vainqueur.
À la fin des années 50, Wier et Charles Tupper*, chef du parti conservateur, entamèrent une implacable lutte politique, et souvent leurs échanges de vues à l’Assemblée dégénérèrent en insultes haineuses. Leur rivalité atteignit son point culminant après que les libéraux eurent repris le pouvoir au début des années 60. Le nouveau gouvernement fut gagné par la frénétique ruée vers l’or qui avait atteint la Nouvelle-Écosse, et si le premier ministre Howe échappa pour sa part à la tentation de faire des profits illicites, certains de ses collègues firent preuve de moins de scrupules. Le ministre des Finances, William Annand*, et Benjamin Wier devinrent le point de mire d’une grave polémique au cours des années 1862–1863, après que Tupper eut découvert qu’ils s’étaient servis de renseignements confidentiels qu’ils détenaient à titre de membres du cabinet pour spéculer sur des terrains aurifères ainsi que pour tenter de vendre à des bailleurs de fonds britanniques sans défiance des biens immobiliers sans valeur. Les deux hommes sortirent indemnes de l’enquête menée par le lieutenant-gouverneur, mais le scandale qu’ils soulevèrent contribua à la chute du gouvernement et à la ruine politique personnelle de Wier lors des élections provinciales de 1863.
La perte de son siège n’eut guère de répercussions sur le bien-être matériel de Wier car ses intérêts commerciaux prenaient de l’extension. Outre de vastes terrains situés dans les champs aurifères de la province, il acheta d’autres propriétés d’une valeur de $50000, dans la partie de Halifax faisant face à la mer, et quelques nouveaux titres de sociétés commerciales ; il prit la direction de plusieurs autres entreprises, comme la Nova Scotia Electric Telegraph Company, la Nova Scotia Permanent Benefit Building Society and Savings Fund, l’Acadian Fire Insurance Company, la People’s Bank of Halifax, la North Sydney Marine Railway Company et la Sea Bay Coal Mining Company. Plusieurs distinctions sociales lui échurent, entre autres un siège à la Halifax Chamber of Commerce et le titre de commodore du Halifax Yacht Squadron. Il multiplia les dons philanthropiques et s’intéressa activement à une chapelle anglicane de la ville où les pauvres pouvaient venir prier sans payer pour leur banc.
Ce que Wier entreprit à cette époque, sur le plan commercial, de plus célèbre – tristement peut-être – fut de faire office de représentant à Halifax de nombreux Confédérés forceurs de blocus au cours de la guerre de Sécession. C’est vraisemblablement le profit plus que le patriotisme qui le poussa à agir de la sorte. En échange des installations de radoub qu’il mettait à leur disposition à Halifax, les Confédérés pouvaient lui fournir du coton de bonne qualité à réexporter en Grande-Bretagne ; c’était pour Wier une aventure lucrative mais dangereuse, qui l’obligea à cesser ses relations commerciales avec la Nouvelle-Angleterre. À la fin de 1864, menacé par la débâcle imminente des Confédérés, Wier se trouva dans une situation embarrassante. Même s’il finit par renouer des liens commerciaux avec le Nord et devenir agent d’une compagnie de bateaux à vapeur reliant Halifax au terminus du Grand Tronc, à Portland, Maine, il n’en demeura pas moins persona non grata aux yeux du gouvernement américain et ne put obtenir de visa pour visiter les États-Unis. Aussi, malgré son aversion pour Tupper, Wier épousa-t-il la cause de l’union projetée de l’Amérique du Nord britannique, qui lui parut pouvoir résoudre ses problèmes personnels ainsi que ceux de la Nouvelle-Écosse face à une république américaine hostile. Par ailleurs, lors de réunions tenues pour discuter de la question de l’union, Wier soutint avec vigueur que la construction d’une voie ferrée entre Halifax et Québec, qu’il avait fortement recommandée 20 ans plus tôt, ouvrirait un nouvel avenir à la Nouvelle-Écosse qui deviendrait un centre d’industrie manufacturière. En d’autres termes, Wier constatait déjà l’état arriéré de la technologie dans une Nouvelle-Écosse en plein « âge d’or ». Il ne réussit pas à convaincre beaucoup de ses relations d’affaires de Halifax à travailler au développement de l’industrialisation urbaine mais ses efforts lui valurent un siège au sénat canadien en 1867.
Son décès, qui survint à Ottawa au début de 1868, mit un terme brutal à sa carrière au moment précis où elle atteignait son apogée. Le Morning Chronicle, très opposé à la Confédération, déclara que la province avait perdu son négociant « le plus entreprenant », affirmation prouvée par l’inventaire des biens de Wier, qui fit état d’une succession de plus de $200 000. Les notices nécrologiques donnent à penser que Wier n’avait pas attiré l’affection mais plutôt forcé l’admiration, et si des douzaines d’habitants de Halifax assistèrent à ses funérailles, ce fut pour honorer la mémoire d’un homme dont la carrière incarnait la devise de l’époque, Aide-toi, le ciel t’aidera.
Halifax County Court of Probate (Halifax), no 1 544, will of Benjamin Wier (mfm aux PANS).— National Archives (Washington), RG 59, U.S.A., Dept. of State, Dispatches of U.S. consuls in Halifax, N.S., 1860–1865 (mfm aux PANS).— PANS, MG 20, nos 68–69, 1850–1883 ; RG 1, 291, no 157 ; 312, no 3 ; 313, no 115 ; 414, no 97 ; 451 ; RG 5, GP, 2, 1856 ; P, 122–123 ; RG 35, A, 3, Halifax assessments, 1833–1841 ; Vertical mss file, Benjamin Wier papers.— St James Anglican Church (Newport et Walton, N.-É.), register of baptisms (mfm aux PANS).— Halifax Ragged and Industrial Schools, Annual report, 1864.— N.-É., General Assembly, Statutes, 1845–1868 ; House of Assembly, Debates and proc., 1855–1863 ; Journal and proc., 1838, app. 44.— Acadian Recorder, 23 févr., 15 mars, 31 mai 1856.— British Colonist (Halifax), 19 août 1851, 4 déc. 1858, déc. 1862, janv. 1863, 16, 21 avril 1868.— Evening Express (Halifax), 15 avril 1868.— Halifax Carnival Echo, été 1889.— Halifax Journal, 31 mars 1834, 1er janv. 1838, 1er mars 1841.— Halifax Morning Post, 2 mars 1841, 10 févr. 1842.— Halifax Reporter, 14 avril 1868.— Morning Chronicle (Halifax), déc. 1862, janv. 1863, 15 avril 1868.— Novascotian, 1830–1868.— Presbyterian Witness, 18 avril 1868.— Sun (Halifax), 28 janv. 1847, 25 févr. 1848, 6 mai 1852, 1er janv. 1856.— Times (Halifax), 14 nov. 1843.— Belcher’s farmer’s almanack, 1830–1868.— Canadian directory of parl. (Johnson).— Directory of N.S. MLAs.— Halifax, N.S., business directory, for 1863 […], Luke Hutchinson, compil. (Halifax, 1863).— McAlpine’s Nova Scotia directory, for 1868–69, containing directories of each place in the province [...] (Halifax, [1868]).— Nova Scotia registry of shipping : with standard rules for construction and classification, T. R. DeWolf, compil. (Halifax, 1866).— F. W. Thirkell, The first two hundred years ; the story of the parish of Newport and Walton ([Newport, N.-É., 1959]).
D. A. Sutherland, « WIER, BENJAMIN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/wier_benjamin_9F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/wier_benjamin_9F.html |
Auteur de l'article: | D. A. Sutherland |
Titre de l'article: | WIER, BENJAMIN |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1977 |
Année de la révision: | 1977 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |