WATTEVILLE, LOUIS DE (bien qu’issu de la branche de Rubigen de la famille von Wattenwyl et que l’enregistrement de sa sépulture le désigne sous le nom de Carl Ludwig von Wattenwyl, il utilisa surtout le français et signa Louis de Watteville), officier, né en 1776 à Berne, Suisse, et baptisé le 26 juillet, fils de David de Watteville et de Magdalena (Élisabeth) Jenner, fille d’Abraham Jenner, bailli de Grandson, canton de Vaud, Suisse, de 1775 à 1780 ; le 28 septembre 1807, il épousa à Wichtrach, canton de Berne, Sophie de Tavel, et ils eurent neuf enfants ; décédé le 16 juin 1836 à Rubigen, canton de Berne.
Grâce sans doute à son père, officier au service des Pays-Bas, Louis de Watteville entreprend une carrière militaire en Europe. Il combat contre la France, d’abord dans un régiment suisse au service des Pays-Bas en 1793 et 1794, puis au sein d’un corps suisse de l’armée autrichienne, levé en mars 1799 à l’aide de subsides britanniques.
Après la signature du traité de Lunéville par la France et l’Autriche le 9 février 1801, l’Angleterre, qui continue les hostilités contre la France, décide de regrouper les divers corps suisses en un seul régiment affecté en Méditerranée. Le 1er mai 1801, on nomme Watteville lieutenant-colonel de ce nouveau régiment, lequel porte le nom de son oncle Frédéric de Watteville qui en est le colonel-propriétaire. Suivent 12 années de service dans divers pays méditerranéens. Avec son régiment, Watteville se distingue particulièrement à la bataille de Maida, livrée le 4 juillet 1806 dans le sud de l’Italie et à l’issue de laquelle l’armée britannique met en déroute son opposante française. Par suite de cette brillante action, Watteville est décoré le 22 février 1808 de la médaille d’or décernée aux chefs des corps présents à la bataille.
Le 25 avril 1810, Watteville accède au grade de colonel dans l’armée puis, le 7 mai 1812, il remplace son oncle à titre de colonel-propriétaire du régiment de Watteville. Unité suisse au service de l’Angleterre, le régiment est en majeure partie composé d’Allemands, d’Italiens, de Polonais, de Hongrois et de Russes, et compte même quelques Grecs et Français. Environ un cinquième seulement de son effectif est suisse, dont presque tous les officiers.
Watteville est à Cadix, en Espagne, depuis la fin de 1811 lorsqu’il reçoit, le 15 mars 1813, l’ordre de s’embarquer avec son régiment pour le Canada. L’objectif est d’aller renforcer la petite garnison britannique qui résiste aux tentatives d’invasion des États-Unis, en guerre contre l’Angleterre depuis l’année précédente. Le 5 avril 1813, Watteville et 41 officiers, 1 414 soldats, 8 domestiques, 45 femmes et 38 enfants montent à bord de six navires ; ils quittent le port le lendemain et, après une escale à Halifax, arrivent à Québec le 4 juin.
Deux jours plus tard, Watteville et son unité continuent leur voyage vers Kingston, dans le Haut-Canada, où le régiment est affecté. Watteville y arrive le 29 juin et rencontre aussitôt sir George Prevost*, gouverneur général et commandant en chef des armées britanniques en Amérique du Nord, également officier d’ascendance suisse. Les deux hommes éprouvent de la sympathie l’un pour l’autre, et on trouve plusieurs mentions de « dîné chez le Général Prevost » dans le journal de Watteville. Pour Prévost, l’arrivée d’un officier d’expérience est un atout précieux. Aussi dès le 5 juillet le colonel Watteville est-il nommé commandant de la garnison de Kingston. L’état-major à Londres semble du même avis, car quelques semaines plus tard, soit le 11 août, Watteville apprend qu’il a été promu major général le 4 juin, et ce, sans avoir occupé le grade de général de brigade. Il doit donc laisser l’habit écarlate à distinctives de velours noir et à galons d’argent de son régiment pour revêtir l’uniforme des officiers généraux, écarlate lui aussi mais à distinctives bleu foncé et à broderies dorées. De plus, bien qu’il reste propriétaire de son régiment, il doit en passer le commandement à un autre officier.
Avec son nouveau grade, Watteville ne reçoit pas d’instructions au sujet de sa nouvelle affectation, ce qui l’empêche d’être employé à titre de major général au Canada. Il passe donc les mois d’août et de septembre 1813 à Kingston, à attendre impatiemment. À part une mention – la seule de cette nature pendant tout son séjour au Canada – consignée dans son journal à la date du 12 septembre, où il écrit qu’il a été « bien malade tous ces derniers jours », il n’y a rien à signaler. Bientôt rétabli, Watteville décide d’aller en Angleterre, vend ses effets, puis quitte Kingston le 12 octobre 1813. Arrivé à Montréal le 16, il apprend que Londres l’a désigné à l’état-major en Amérique du Nord le 29 juillet. L’ordre général qui annonce cette nouvelle est enfin promulgué à Montréal le 17 octobre, ainsi que l’affectation de Watteville au district de Montréal. Du fait même, il a le commandement des troupes au sud-ouest de Montréal, et il installe son quartier général au presbytère de Châteauguay le 19 octobre.
Déjà il est rumeur que l’armée américaine s’assemble près de la frontière. Watteville ne peut compter que sur très peu de troupes régulières britanniques. Il dispose surtout des Voltigeurs canadiens et de bataillons de la milice d’élite incorporée du Bas-Canada, souvent des conscrits, sous le commandement du lieutenant-colonel Charles-Michel d’Irumberry* de Salaberry. Celui-ci, après avoir fait une reconnaissance sur l’ordre de Watteville, lui rapporte, le 22 octobre, que l’ennemi est « en grande force » : une armée d’environ 5 000 soldats, réguliers pour la plupart, dont les premières unités ont traversé la frontière le matin du 21.
À l’avant-poste, Salaberry commence à préparer une position défensive. Watteville rassemble aussitôt ses troupes, afin de former un échelon défensif le long de la rive ouest de la Châteauguay, et il s’installe aux « Fourches » où le 26 octobre 1813, entre 11 heures et midi, il accueille Prevost. À une heure de l’après-midi, les deux officiers partent à cheval pour se rendre aux avant-postes mais, en chemin, ils reçoivent la nouvelle « que [leurs] postes [sont] engagés avec l’ennemi depuis 11 heures ». Watteville prend immédiatement les devants. Quand il arrive, le feu a déjà cessé, et la bataille de Châteauguay est terminée. Le lendemain, il transmet à Prevost le rapport de Salaberry accompagné d’une lettre « de [sa] part, dans laquelle [il] di[t] que le succès doit être [attribué] tant à la bravoure des troupes, qu’à l’activité et au jugement déployé par le Lieutenant Colonel de Salaberry en choisissant et fortifiant en peu de jours la position ». Bel éloge de la part d’un officier d’expérience !
Cependant, le major général Richard Stovin et le colonel Edward Baynes prennent Watteville à partie pour ne pas avoir exploité le succès et ne pas avoir fait poursuivre et harasser les Américains. Celui-ci consulte Salaberry puis répond, le 31 octobre, en démontrant de manière détaillée le « plus grand danger » qu’aurait couru le détachement envoyé dans une telle poursuite. On sait aujourd’hui que l’armée américaine se retira dans l’ordre à la suite de son revers du 26 octobre. Il aurait en effet été très risqué d’attaquer une force surtout composée de soldats réguliers, plus sûrs que des miliciens, et qui restait disciplinée.
Le 29 novembre 1813, Watteville revient au presbytère de Châteauguay, où il est logé en échange de 6 $ par semaine. Mais, le 28 décembre, comme il ne supporte pas que le curé ait envoyé une lettre « insolente » à son aide de camp, il claque la porte du presbytère. Entre-temps, on l’a nommé président d’une commission chargée d’examiner les réclamations en dommages de guerre, tâche administrative délicate dont il s’acquitte sans heurts jusqu’à la fin de janvier 1814.
Le 22 juin 1814, Watteville est affecté à Chambly afin de prendre le commandement d’une brigade de la milice d’élite incorporée et, à la fin de juillet, il rejoint les avant-postes à Lacolle, où se trouve Salaberry. Le secteur est assez calme, si ce n’est d’occasionnelles fusillades entre éclaireurs canadiens et américains. Mais ce répit est de courte durée puisque, le 8 août 1814, Watteville reçoit une nouvelle affectation dans le Haut-Canada. Chemin faisant il dîne le 15 à Montréal avec Prevost et plusieurs officiers supérieurs. Arrivé au camp britannique qui assiège le fort Erie (Fort Erie), il rencontre le commandant des troupes du Haut-Canada, sir Gordon Drummond*. Le 17 septembre, les Américains tentent une sortie dans le secteur commandé par Watteville. Une vive bataille s’engage, mais la position britannique est bien disposée, et l’ennemi doit finalement se retirer. Les pertes sont très lourdes cependant : environ 600 hommes dans chacun des camps, selon Watteville. Dans son rapport officiel du 19 septembre, Drummond fait l’éloge du jugement et du zèle de Watteville durant cette bataille. Par la suite, ce dernier est disposé avec l’avant-garde à Black Creek (Niagara Falls).
La guerre contre les États-Unis tire cependant à sa fin. Déjà, le 8 octobre 1814, Watteville apprend l’arrivée à Québec de sa femme et de ses enfants puis, le 25, il demande avec succès un congé de deux mois pour se rendre à Montréal. Il y arrive enfin le 20 décembre pour retrouver sa famille « après une absence de plus de deux ans », note-t-il avec émotion dans son journal. Deux années qui furent longues, car il aime profondément Sophie de Tavel. À maintes reprises il mentionne dans son journal la réception ou l’envoi de lettres à sa femme et combien il espère sa venue au Canada. Sophie de Tavel est, elle aussi, amoureuse de son mari. Elle aurait pu se retirer en Suisse, libre depuis le début de 1814, mais elle a affronté un pénible voyage de quatre mois avec ses enfants afin de rejoindre son mari. La Noël de 1814 est certes mémorable pour eux. Le congé de Watteville est cependant assorti d’un devoir assez délicat, même pénible pour lui, car il fait partie du conseil de guerre qui doit siéger à Montréal pour juger le major général Henry Procter*.
En février 1815, Watteville quitte Montréal pour retourner à la presqu’île du Niagara, accompagné de son frère Rodolphe. Le 20 de ce mois, ils sont en train de dîner à York (Toronto) avec Drummond lorsque leur parvient la nouvelle que l’Angleterre et les États-Unis ont signé la paix à Gand, en Belgique, le 24 décembre. Enfin, la guerre est finie !
Watteville reste au Haut-Canada encore plus d’un an. De son quartier général au fort George (Niagara-on-the-Lake), il commande les troupes britanniques dans la région de Niagara, puis il s’installe à Kingston avec sa famille en juillet. Nommé commandant en chef des forces armées dans le Haut-Canada le 7 octobre 1815, il désire cependant se retirer du service, ce qu’il obtient finalement. Le 27 juillet 1816, les Watteville quittent Kingston, puis séjournent à Londres de septembre 1816 à janvier 1817 pour arriver à Berne le 18 janvier. Par la suite ils s’installent au château de Rubigen, où Watteville réside jusqu’à sa mort en juin 1836.
Louis de Watteville était un homme pondéré, discret et efficace. Par son expérience militaire, son amour de l’ordre et du travail, il contribua à améliorer la qualité de l’état-major britannique au Canada durant une période critique pour la défense du pays. De plus, ses positions tactiques, toujours méticuleuses, furent déterminantes à Châteauguay et au fort Erie. Officier exigeant, il était juste et reconnaissait à ses subalternes le mérite qui leur revenait. En ce sens, il joua un rôle déterminant dans l’élévation de Salaberry au rang de héros militaire des Canadiens français. Enfin, sous les dehors de l’officier réservé et méthodique, se cachait un homme patient et compréhensif, qui éprouvait un attachement profond pour les siens. Il avait certes des défauts, mais l’Histoire ne les a pas retenus.
On connaît deux portraits de Louis de Watteville. Sur le premier, dont la facture est relativement naïve, il est représenté en uniforme de major général par un peintre inconnu. Ce tableau fut, semble-t-il, peint au Canada, probablement à Montréal, entre 1813 et 1816. Le second portrait, exécuté par un artiste plus habile mais également inconnu, le représente en habit bourgeois vers 1820. D’après ces deux œuvres, Watteville était bel homme et séduisant. Ces tableaux sont conservés par ses descendants à Berne, en Suisse. On peut en voir des reproductions dans P.-E. de Vallière, Honneur et Fidélité : histoire des Suisses au service étranger (Lausanne, Suisse, 1940), 651, pour le premier, et dans E. H. Bovay, le Canada et les Suisses, 1604–1974 (Fribourg, Suisse, 1976), 25, pour le second.
La source la plus importante pour cet article est le journal tenu par Watteville lui-même de 1801 à 1826. L’original en 4 volumes se trouve dans les archives privées de la famille de Watteville, au château d’Au, dans le canton de Saint-Gall, en Suisse, mais la Bibliothèque militaire fédérale à Berne en possède une copie dactylographiée et les APC une copie sur microfilm. Le volume 3, qui couvre la période du 1er octobre 1810 au 30 septembre 1815, est le plus important. [r. c.]
APC, RG 8, I (C sér.), 229 : 138 ; 233 : 58, 77, 81 ; 680 : 326, 331 ; 681 : 100, 105, 130 ; 685 : 164, 267 ; 686 : 90, 93, 150, 168, 188, 200 ; 1170 : 362 ; 1171 : 117, 143, 291, 333 ; 1203 1/2I : 46, 246 ; 1203 1/2S : 86, 93 ; 1219 : 125, 290, 293 ; 1221 : 211.— Arch. de l’État (Berne), Reg. des sépultures, 16 juin 1836.— Arch. privées, DBC, dossier Louis de Watteville, lettre des Arch. cantonales vaudoises (Chavannes-près-Renens, Suisse).— Annual reg. (Londres), 1815 : 259–260.— Dictionnaire historique et biographique de la Suisse (6 vol. et 1 suppl., Neuchâtel, Suisse, 1921–1934), 4 : 236–237.— G.-B., WO, Army list, 1803 : 234 ; 1813 : 448 ; 1816 : 516.— Officers of British forces in Canada (Irving), 9, 11.— Ouellet, « Inv. de la saberdache », ANQ Rapport, 1955–1957 : 139.— « Papiers d’État – B.-C. », APC Rapport, 1896 : 36, 38, 43.— The royal military calendar, or army service and commission book [...], John Philippart, édit. (3e éd., 5 vol., Londres, 1820), 3 : 306–307.— F.-M.-L.-R. Grouvel, les Corps de troupe de l’émigration française, 1789–1815 [...] (3 vol., Paris, 1957–1964), 1 : 329–334.— C. T. Atkinson, « Foreign regiments in the British army, 1793–1802 », Soc. for Army Hist. Research, Journal (Londres), 22 (1943–1944) : 13–14, 316–320.— F.-J. Audet, « Abraham-Louis-Charles de Watteville », BRH, 32 (1926) : 749–751.— Gérard Malchelosse, « Deux régiments suisses au Canada », Cahiers des Dix, 2 (1937) : 279–296.
René Chartrand, « WATTEVILLE, LOUIS DE (Carl Ludwig von Wattenwyl, Abraham Ludwig Karl von Wattenwyl) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 18 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/watteville_louis_de_7F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/watteville_louis_de_7F.html |
Auteur de l'article: | René Chartrand |
Titre de l'article: | WATTEVILLE, LOUIS DE (Carl Ludwig von Wattenwyl, Abraham Ludwig Karl von Wattenwyl) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1988 |
Année de la révision: | 1988 |
Date de consultation: | 18 nov. 2024 |