SIMS, LOUISA (Rogers), propriétaire de journal ; elle épousa James Richard Rogers, et ils eurent un fils et une fille ; partie de Toronto en 1925.

On ignore tout de Louisa Sims jusqu’au moment où, avec le compositeur londonien James Richard Rogers, elle quitta l’Angleterre pour East London (république d’Afrique du Sud). Leur premier né, Frank Arthur James, vit le jour dans cette ville en août 1906. Partie de l’Afrique du Sud au début de 1910, la famille fit escale en Angleterre et arriva à Toronto, où Rogers trouva un emploi à la Methodist Book Room. Moins de deux mois plus tard, ce fut le drame. Le petit garçon contracta une forme bénigne de diphtérie et, comme les Rogers logeaient dans une pension, ils durent l’envoyer à l’Isolation Hospital. Le 30 juin 1910, il y mourut de complications causées par une exposition à la scarlatine et à la rougeole. Affligé et indigné par la réaction des autorités médicales et municipales à ses inquiétudes au sujet de l’hôpital, James Richard Rogers monta aux barricades. Ses plaintes, rapportées dans la presse, déclenchèrent une enquête. Dès la fin de novembre, lorsque le juge John Winchester remit au conseil municipal un rapport dans lequel il exonérait de tout blâme le personnel hospitalier et le médecin hygiéniste de la ville Charles Sheard, Rogers, tout profane qu’il était, faisait déjà figure d’autorité en matière de maladies infectieuses et de santé publique. Le 29 juillet 1911, pour attirer l’attention sur leur croisade, Rogers et Louisa Sims Rogers publièrent le premier numéro du Jack Canuck. Fait étonnant, ce bihebdomadaire de format tabloïd trouva à se caser dans le monde de la presse torontoise, pourtant respectueux des convenances. Durant l’automne de 1911, le Jack Canuck consacrerait des articles à la pureté de l’eau, aux taux excessifs de mortalité infantile, à la vaccination contre la variole, à l’enquête de Toronto et à d’autres investigations menées par le juge Winchester.

Le journal était une affaire de famille, lancée « sans un seul dollar de capital. Le travail de rédaction se faisait tantôt à la cuisine, tantôt à la cave. » Il se voulait « un aperçu de ce que le peuple dit, fait et pense », et il était assez fidèle à sa devise, Vérité et Justice. Les numéros des premiers mois dénonçaient abondamment l’exploitation capitaliste (celle des jeunes ouvrières surtout) et les abus de confiance commis par les autorités municipales, et ils contenaient des appels si passionnés à la réforme que R. Rogers (signature de James Richard Rogers) abandonna le poste de rédacteur en chef pour le mois de novembre 1911. « [L]a vue constante d’une chaise vide dans la maison, admettait-il, nous a rendus amers […], trop amers pour que le journal serve la population comme il doit le faire. » Une fois rétabli, Rogers s’attela à la création d’« un hebdomadaire indiscipliné et terre-à-terre », dans la lignée du Truth lancé à Londres par Henry Du Pré Labouchere. La publication hebdomadaire commença le 24 février 1912. Légalement, Louisa Sims Rogers était la propriétaire du Jack Canuck ; ce fut donc elle qui le vendit à la société qu’elle-même et son mari, encouragés par leur succès, firent constituer juridiquement en octobre, la Jack Canuck Publishing Company Limited.

Divers journalistes torontois collaboraient au Jack Canuck, notamment Harry Milner Wodson. Pour favoriser une diffusion nationale, Rogers faisait appel à des correspondants de l’extérieur de la ville ; dans une certaine mesure, son autorité éditoriale s’en trouvait limitée. À la fois par le ton et la matière, le Jack Canuck était un journal à sensation. Toutefois, recourir à des reporters de l’extérieur et dévoiler des scandales exposaient les Rogers à des poursuites en diffamation, et ils en eurent leur part. En plus, de soi-disant gardiens de la moralité publique, entre autres le révérend Thomas Albert Moore*, se plaignaient à l’occasion, auprès des autorités provinciales, de l’influence corruptrice du journal. Le Jack Canuck n’en continuait pas moins d’attirer des lecteurs de toutes les classes sociales. Il se vendait surtout par l’intermédiaire des crieurs de journaux et dans les kiosques, mais la direction sollicitait des abonnements – même le cabinet de lecture du Sénat à Ottawa en avait un. Au fil des ans, le journal parlerait toujours des questions du moment et publierait, outre des nouvelles du tribunal de police, des potins, des tuyaux sur les actions des sociétés minières et d’innombrables brèves. Le fait qu’il invitait ses lecteurs à lui envoyer des articles ou des lettres – méthode bien éprouvée et souvent artificielle pour encourager la fidélité – pourrait être à l’origine des infâmes diatribes racistes contre le « péril jaune » écrites pour ses pages en 1911–1912 par Fred Jarrett. En principe libre de toute affiliation politique mais résolument populiste, la rédaction du Jack Canuck revenait parfois sur ses opinions. Le cas le plus notable se produisit au cours de la panique morale que provoqua, de 1911 à 1913, la supposée traite des Blanches. Le journal reproduisit des extraits du chapitre signé par le révérend John George Shearer dans Fighting the traffic in young girls […], mais dénonça ensuite le promoteur local de ce livre paru à Chicago en 1911, le révérend Robert B. St Clair, surintendant de la Toronto Vigilance Association. Le Jack Canuck rapporta en jubilant la tentative de St Clair de publier des écrits obscènes dans le but de censurer un spectacle burlesque local.

Dès le début du premier conflit mondial, le Jack Canuck, éternel dénonciateur de la corruption et d’un phénomène concomitant, le laxisme de la réglementation gouvernementale, combattit les profiteurs de guerre. Bien résolu à rapporter lui-même dans quelles conditions les forces canadiennes se battaient en France, James Richard Rogers perdit la vie dans le torpillage du Lusitania le 7 mai 1915. Le nom de Louisa remplaça discrètement celui de son mari dans le cartouche du journal, et la publication continua. Une fois les hostilités terminées, Mme Rogers acheta une maison et vécut confortablement avec sa fille, la jeune Thelma. Le caricaturiste Jack Newton, entre autres, devint un collaborateur régulier. Le journal attirait de la publicité locale et nationale de bonne réputation. Grâce à ses ventes modestes dans les centres urbains de tout l’Ontario, l’Ouest canadien et le nord des États-Unis, la diffusion semblait solide. Avec un tirage hebdomadaire de 65 000 exemplaires en moyenne dans l’après-guerre, le Jack Canuck avait une bonne longueur d’avance sur le célèbre Saturday Night de Toronto. Dès 1919, il défendait des causes sérieuses, des emplois équitables pour les anciens combattants, par exemple. Bien que le journal ait retrouvé son impertinence au début des années 1920 – il présentait des caricatures mordantes et des commentaires acides en période électorale –, la passion intelligente et les attaques ciblées des années d’avant-guerre avaient disparu. Louisa Sims Rogers, qui publiait le journal tout en gardant volontairement ses distances par rapport à la rédaction, devait affronter une dure réalité : tirage et succès commercial n’allaient pas de pair. La solution consistait toujours à diminuer les retours d’invendus. Le dernier numéro parut le 13 septembre 1924, après deux ou trois ans de « très petits » profits. Des poursuites de 2 000 $ intentées par l’imprimeur obligèrent la Jack Canuck Publishing Company à déposer son bilan en janvier 1925. Très vite, Louisa Sims Rogers vendit sa maison, régla la faillite et quitta Toronto, selon toute apparence pour la Floride. Dès août 1926, ses solicitors ignoraient où elle se trouvait. Une indemnité pour la perte de son mari fut envoyée en 1931 à un avocat de Toronto, mais rien ne prouve que Mme Rogers était encore vivante.

Le petit journal impétueux que Louisa Sims Rogers et son mari avaient lancé en 1911 contribua à l’émergence de la culture du journalisme anglophone de format tabloïd dont le foyer était Toronto. Ce Jack Canuck épris de Vérité et de Justice, qui regardait le monde et ses travers d’un air sympathique et confiant, sembla bientôt appartenir à un autre temps, mais, à chaque époque, la presse de format tabloïd a exploité le sordide et le louche. Ce faisant, cette dernière a battu en brèche les notions conventionnelles de vie privée et d’intérêt public, fondées sur les classes sociales, et, du même coup, elle a sapé les bases de la culture journalistique moderne, à savoir l’objectivité et l’information.

Susan E. Houston et Patrick J. Connor

On trouve aux AO certains exemplaires du Jack Canuck pour les années 1911–1912, 1914–1917, 1921 et 1923. La Univ. of Toronto Library, Thomas Fisher Rare Book Library, possède les exemplaires parus du 26 mai au 23 juin 1923 tandis que les City of Toronto Arch. ont la Jack Canuck Illustrated Review of the War : the Harvest (1914) dans le Jack Canuck fonds (SC 251) et des exemplaires du Jack Canuck pour les années 1916 et 1917 dans la Larry Becker collection (fonds 70).

AO, RG 4-32, 1910, interim box 10 ; 1915, file 753 ; RG 22-305, no 30063 ; RG22-392, box 183, file 6741 ; RG22-5800, 1919, nos 1167, 1176, 1635 ; RG22-5822, 4, no 18/25 ; RG 55-1, liber 142 : f. 93.— BAC, RG 117, 37, dossier 490, cause 1606.— City of Toronto Arch., RG 1, B-2, box 6 (1910) ; RG 5, D, box 10, files 3, 5.— Evening Telegram (Toronto), 11 févr. 1913, 8 mai 1915.— Globe, 9–10 mai 1915.— Hamilton Spectator, 5 sept., 7 nov. 1913.— News (Toronto), 8, 10 mai 1915.— Toronto Daily Star, 27–29 juill. 1910.— World (Toronto), 11 févr. 1913, 8 mai 1915.— S. E. Houston, « « A little steam, a little sizzle and a little sleaze » : English-language tabloids in the interwar period », Soc. bibliogr. du Canada, Cahiers (Toronto), 40 (2002) : 37–60.— Madge Pon, « Like a Chinese puzzle : the construction of Chinese masculinity in Jack Canuck », dans Gender and history in Canada, Joy Parr et Mark Rosenfeld, édit. (Toronto, 1996), 88–100.— Dan Schiller, Objectivity and the news : the public and the rise of commercial journalism (Philadelphie, 1981), 1–11.— Bill Sloan, « I watched a wild hog eat my baby ! » : a colorful history of tabloids and their cultural impact (Amherst, N.Y., 2001), 61.

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Susan E. Houston et Patrick J. Connor, « SIMS, LOUISA (Rogers) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/sims_louisa_15F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
Année de la révision:    2005
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