Shallow, FranCIS-Dominic (baptisé François-Dominique, il signait aussi Francis D., Frank D. et, le plus souvent, F. D.), commerçant, éditeur et propriétaire d’un hebdomadaire, né le 3 août 1853 dans la paroisse de Saint-Grégoire (Mont-Saint-Grégoire, Québec), fils de Thomas Shallow et de Jane Sherry ; le 30 septembre 1879, il épousa à Montréal Annie Hamall, et ils eurent huit enfants, dont cinq lui survécurent ; décédé le 27 octobre 1932 à Montréal et inhumé deux jours plus tard dans la même ville au cimetière Notre-Dame-des-Neiges.
Né de parents d’origine irlandaise, Francis-Dominic Shallow étudie à Iberville (Saint-Jean-sur-Richelieu), puis à la St John’s High School à Saint-Jean (Saint-Jean-sur-Richelieu), où il vit avec sa famille. Après un séjour de quelques années dans l’ouest des États-Unis, il revient s’installer à Saint-Jean en 1874 et il ouvre un petit commerce d’épicerie avec son frère. Cette entreprise fait faillite en 1877, à la suite du grand feu survenu dans cette ville en juin de l’année précédente. Les frères Shallow tentent de poursuivre leurs activités commerciales à Montréal durant quelques mois, mais sans succès. Par la suite, Francis-Dominic Shallow se joint à la presse d’affaires montréalaise en tant que correspondant pour le Journal of Commerce, Finance and Insurance Review. De 1881 à 1884, il est agent de publicité pour le Moniteur du commerce.
Seul du genre en français au Canada, le Moniteur du commerce est un hebdomadaire d’affaires fondé en 1881 par Arthur Dansereau*, propriétaire, et par son frère Edmond, qui en assure la gérance commerciale. Trois ans plus tard, l’entreprise bat de l’aile et, en juillet 1884, elle passe aux mains de Shallow et de Trefflé Berthiaume*. Enfin, le 10 octobre 1887, Shallow rachète les parts de Berthiaume. Il demeurera l’unique propriétaire de cet hebdomadaire montréalais qu’il administrera jusqu’en 1931. Shallow n’est pas journaliste ; il écrit rarement, mais il sait s’entourer de collaborateurs compétents.
Le Moniteur du commerce a été lancé le 25 février 1881. Louis Dagron-Richer en est le premier rédacteur jusqu’à son renvoi par les Dansereau le 21 septembre 1883. Shallow, qui a connu Dagron-Richer au Journal of Commerce, Finance and Insurance Review, le réembauche lorsqu’il devient propriétaire de l’hebdomadaire francophone. Mais bientôt, en juillet 1886, il le congédie à son tour. À chaque occasion, le rédacteur allègue qu’il a plutôt démissionné parce qu’il refusait la censure de ses patrons. Toujours prompt à défendre l’impartialité et l’indépendance de son journal, Shallow réplique publiquement et durement : son ex-rédacteur, âgé et malade, bâclait son travail et il aurait dû « se démettre de bon gré », peut-on lire dans le numéro du 16 juillet 1886. Shallow s’est aussi disputé avec Jules Helbronner*, assistant-rédacteur puis rédacteur en chef du Moniteur du commerce. Les deux protagonistes en garderont une rancune tenace : en septembre 1887, à Montréal, Helbronner lance même, avec Jean-Baptiste Monier, le Prix courant, qui rivalise avec le Moniteur du commerce sans toutefois connaître le même succès.
De 1886 à 1888, Charles Savary* rédige le Moniteur du commerce. Cet ex-banquier au passé controversé apporte un important bagage de connaissances dans le domaine des affaires. Par ailleurs, un de ses articles, paru le 18 novembre 1887, accuse d’incompétence la Banque d’Hochelaga et la Banque Jacques-Cartier, pour s’être laissé entraîner dans une entreprise coûteuse pour leurs clients. Selon Savary, ces deux institutions canadiennes-françaises se retrouvent « invariablement dans toutes les mauvaises affaires ». Les banques entament des poursuites en libelle diffamatoire. Les procès sont d’abord gagnés par Shallow, qui se félicite de cette victoire de la liberté de presse. Mais, le 28 février 1895, la Cour de révision casse le verdict du jury et ordonne un nouveau procès. Reconnaissant son tort, Shallow fait amende honorable dans son journal du 15 novembre, six années après la mort de Savary : « Notre rédacteur a dépassé la note juste et a porté une accusation que la preuve ne peut soutenir […] Depuis lors, ces deux banques ont continué leurs affaires prospères et sont aujourd’hui à la tête du commerce de banque en autant que notre nationalité est concernée. »
Le véritable partenaire de Shallow demeure toutefois Stanislas Côté. Né à Saint-Jean en 1846, ce dernier est reçu avocat en 1870. Il opte cependant presque tout de suite pour le journalisme, de sorte qu’il a déjà une bonne expérience lorsqu’il entre au Moniteur du commerce en 1884. Il en devient le rédacteur en 1888 et le restera jusqu’à sa mort en 1920.
Le tirage affiché par l’hebdomadaire oscille entre 2 000 et 3 000 durant les années 1880 et, par la suite, se situe entre 3 000 et 4 000. Sa diffusion s’étend à toute la province et même en Ontario, aux États-Unis, à Londres et à Paris.
L’objectif du Moniteur du commerce consiste à favoriser le développement des entreprises à caractère économique des Canadiens français. Ceux-ci, selon Shallow et Côté, doivent reprendre une influence proportionnelle à leur population, participer à la construction du Canada et s’épanouir en toute harmonie avec leurs compatriotes anglophones. Dans cette reconquête, le Moniteur du commerce veut justement les guider et augmenter leurs chances de réussite en leur procurant une meilleure connaissance des questions économiques, notamment en ce qui a trait au commerce, à l’industrie et à la finance. Au tournant du siècle, le Moniteur du commerce se présente aussi comme un journal d’économie politique et sociale. La politique partisane y est cependant proscrite, tout comme les questions religieuses : le propriétaire et le rédacteur sont pourtant des catholiques pratiquants, mais ils considèrent que la religion appartient au domaine privé. Sur l’ensemble des sujets, le discours est libéral et met au fondement de l’organisation sociétale la propriété privée et l’individualisme. Le travail, l’épargne et l’honnêteté sont valorisés, mais aussi l’ambition, l’esprit d’entreprise et la recherche du profit maximal.
Shallow s’engage nettement en faveur de la fondation, à Montréal, d’une chambre de commerce francophone. C’est chose faite le 15 décembre 1886, lors d’une réunion présidée par Alphonse Desjardins* où une cinquantaine d’hommes d’affaires canadiens-français signent une proposition de constitution de la Chambre de commerce du district de Montréal. Très actif au sein de la nouvelle association, Shallow est membre du conseil de 1887 à 1896 et il participe à la commission d’import-export en 1887, puis à celle des chemins de fer, téléphones et télégraphes en 1895 et 1896. Le Moniteur du commerce devait servir d’organe à la chambre de commerce, mais un conflit de personnalités avec le vice-président, Joseph-Xavier Perrault*, que le journal traite de mouche du coche, a limité la collaboration dans les premières années. Stanislas Côté accepte en 1888 le poste de secrétaire de la chambre de commerce, renouant ainsi des liens étroits entre l’association et le journal d’affaires. Cependant, en 1899, la chambre se dote de son propre Bulletin, au grand dam de Shallow et de Côté. Sans être aussi harmonieuses, les relations avec l’association se poursuivent : ses membres représentent un important réservoir d’abonnés et d’acheteurs potentiels de publicité, ce dont Shallow reste parfaitement conscient. Si Côté démissionne de ses fonctions à la chambre, Shallow prend le statut, moins actif, de membre à vie à partir de 1898. Le Moniteur du commerce sert aussi d’organe à la Société des marchands détailleurs de nouveautés de la province de Québec de 1881 jusqu’à, au moins, 1914.
Favorable à la liberté de la presse, Shallow n’accepte pas pour autant les attaques malveillantes. En avril et mai 1906, Olivar Asselin publie dans le Nationaliste deux articles et une caricature où il accuse sommairement, sans preuve, le Moniteur du commerce d’exercer un chantage auprès des compagnies d’assurance, qui seraient forcées d’acheter de la publicité pour éviter des critiques négatives dans l’hebdomadaire d’affaires. Shallow rétorque promptement par une poursuite en libelle diffamatoire. Le procès n’a pas encore débuté lorsque, le 16 juin, un article de la Gazette révèle les détails du plaidoyer qu’Asselin entend présenter, notamment les noms de diverses entreprises et ceux de quelques agents du Moniteur du commerce, mais toujours sans indiquer une quelconque preuve. Shallow intente alors une nouvelle poursuite et il réclame 10 000 $ à la Gazette Printing Company. Il perd d’abord sa cause devant la Cour supérieure. Cependant, le 23 décembre 1907, la Cour du banc du roi casse ce premier jugement, tout en réduisant les dommages à verser à Shallow à 250 $ : le rédacteur du quotidien anglophone a erré, mais il aurait agi sans malice dans cette affaire. Enfin, le 12 février 1909, la Cour suprême confirme ce dernier jugement.
Cette cause souligne un élément du régime de liberté de la presse au Canada. Les journalistes savent bien à l’époque qu’ils n’ont pas le droit de répéter des propos mensongers, injurieux ou diffamatoires, sous peine de poursuite, ce qui arrive assez souvent. En revanche, après l’ouverture d’un procès, les propos incriminés deviennent des nouvelles judiciaires que la presse peut rapporter en toute impunité. Sans surprise, le 19 février, le Moniteur du commerce se montre ravi de ce « gros succès légal » remporté par Shallow et son avocat, Gonzalve Desaulniers.
Même si, dans les pages du Moniteur du commerce, on se plaint régulièrement des abonnés qui ne paient pas leur dû, Shallow fait fortune avec sa publication. La famille mène, en effet, un train de vie luxueux : résidence principale à Westmount, maison de campagne à Sainte-Anne-de-Bellevue, domesticité imposante comprenant notamment deux chauffeurs, un cuisinier chinois et un majordome japonais.
Reconnu par ses concitoyens, Francis-Dominic Shallow est nommé juge de paix pour le district de Montréal en 1892. Membre de l’Albany Club de Toronto, il est aussi un des mécènes de l’hôpital Notre-Dame à Montréal. Après sa mort en 1932, son fils Charles-Taschereau-Roy, gérant adjoint au Moniteur du commerce depuis 1918, poursuit la publication durant quelques années, puis liquide l’entreprise en 1935.
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Fernande Roy, « SHALLOW, FRANCIS-DOMINIC (baptisé François-Dominique) (Francis D., Frank D., F. D.) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/shallow_francis_dominic_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/shallow_francis_dominic_16F.html |
Auteur de l'article: | Fernande Roy |
Titre de l'article: | SHALLOW, FRANCIS-DOMINIC (baptisé François-Dominique) (Francis D., Frank D., F. D.) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2020 |
Année de la révision: | 2020 |
Date de consultation: | 20 déc. 2024 |