ROCBERT DE LA MORANDIÈRE, MARIE-ÉLISABETH (Marie-Isabelle) (Bégon de La Cour) (plus souvent prénommée Élisabeth), épistolière, née à Montréal le 27 juillet 1696, fille d’Étienne Rocbert de La Morandière et d’Élisabeth Duverger, décédée à Rochefort, France, le 1er novembre 1755.

Marie-Élisabeth était l’aînée de la famille Rocbert, dont le père occupait la charge de garde-magasin du roi à Montréal. C’est en 1711, lors de son premier voyage au Canada, que l’enseigne de vaisseau Claude-Michel Bégon de La Cour, qui allait devenir l’époux d’Élisabeth, fit connaissance d’Étienne Rocbert. Bégon revint l’année suivante dans la colonie pour y poursuivre, à terre, sa carrière et, comme il n’y avait pas de casernes à Montréal, il logea dans la famille Rocbert. Ses multiples blessures de guerre, dont un œil crevé et des doigts mutilés, ne lui avaient pas enlevé toute séduction, puisqu’il ne tarda pas à conquérir le cœur d’Élisabeth, et tous deux décidèrent de s’épouser le plus tôt possible.

Cependant, l’intendant de la Nouvelle-France, Michel Bégon, s’opposa pendant plusieurs années au mariage de son frère cadet avec la jeune Rocbert dont il jugeait les origines trop modestes. De plus, les militaires ne pouvaient quitter le célibat sans la permission du gouverneur, et Philippe de Rigaud* de Vaudreuil refusait officiellement son autorisation au jeune Bégon, comme à tous les officiers qui désiraient contracter des mariages avec des personnes de rang inférieur, quitte à encourager secrètement sa passion, pour contrarier l’intendant avec qui le gouverneur ne s’entendait guère. Mais les amoureux résistèrent à toutes les pressions. Ils finirent même par s’épouser « à la gaumine », selon une coutume vivement condamnée par Mgr de Saint-Vallier [La Croix*]. Devant une telle obstination, l’intendant capitula et le pseudo-mariage fut régularisé le 19 décembre 1718, à Montréal.

En 1719, Mme Bégon donna le jour à Marie-Catherine-Élisabeth qui épousera, à 18 ans, Honoré Michel de Villebois de La Rouvillière, alors commissaire subdélégué de l’intendant à Montréal. La jeune femme mourut en 1740, laissant à sa mère un petit garçon et une petite fille à élever. Claude-Michel-Jérôme, né en 1732, fut le seul des quatre ou cinq enfants de Mme Bégon qui lui survécut.

Le chevalier Bégon ayant été nommé successivement major de Québec (1726), lieutenant de roi à Trois-Rivières (1731) et à Montréal (1733), puis gouverneur de Trois-Rivières (1743), sa femme eut sans doute l’occasion de bien connaître, non seulement la petite communauté « montréaliste » de l’époque, mais aussi la société des deux autres « gouvernements » de ce Canada dont elle devait rédiger plus tard la chronique. Devenue veuve en 1748, Mme Bégon réintégra la demeure familiale à Montréal située rue Saint-Paul, à l’endroit où se trouve aujourd’hui le marché Bonsecours. Avant de la louer à François Bigot*, qui devait en faire une intendance renommée pour ses plaisirs, Mme Bégon y passa sa dernière année en Nouvelle-France, « toujours occupée de peine et d’étude », selon son expression. C’est à cette époque qu’elle rédigea les cinq premiers des neuf cahiers qui nous restent de la correspondance qu’elle adressa à son gendre, Michel de La Rouvillière, devenu commissaire ordonnateur en Louisiane. La seule consolation d’Élisabeth Bégon était de s’entretenir avec son « cher fils » : ce veuf, à peine plus jeune qu’elle, semble lui avoir inspiré une véritable passion amoureuse qu’elle déguisait, consciemment ou non, en tendresse maternelle. Dans l’ombre de la retraite où le deuil la confinait, Mme Bégon observait d’un œil ironique le comportement de ses concitoyens. Elle notait quotidiennement, en les commentant, leurs faits et gestes, ainsi que les événements qui constituaient l’actualité d’alors ou simplement la trame de sa vie familiale. L’épistolière était bien informée : beaucoup de visiteurs, souvent aussi intéressés qu’importuns, visitaient son salon car on connaissait l’influence de Mme Bégon sur le gouverneur général intérimaire de la colonie, Barrin de la Galissonière.

C’est d’ailleurs sous la protection de La Galissonière, son neveu par alliance et très fidèle ami, qu’elle passa en France avec sa maisonnée, à l’automne de 1749. Elle s’établit à Rochefort, espérant le retour de son gendre dans la métropole. Elle ne trouva là-bas que déceptions et tristesse, puisant son principal réconfort dans ce journal qu’elle continuait d’écrire à l’intention de Michel. Elle y établissait d’intéressantes comparaisons entre la province française et le Canada lesquelles étaient à l’avantage de ce dernier. Les nouvelles de la colonie abondaient toujours dans cette correspondance, car Mme Bégon les apprenait de ceux qui arrivaient de son pays natal et grâce au nombre incroyable de lettres qu’elle échangeait avec ses amis de Nouvelle-France.

Élisabeth Bégon s’éteignit à Rochefort le 1er novembre 1755. Elle n’avait jamais revu son bien-aimé qui était mort à La Nouvelle-Orléans trois ans auparavant, après avoir adressé à sa belle-mère des lettres remplies de « duretés ».

La correspondance d’Élisabeth Bégon, qui lui valut de passer à la postérité, n’est sans doute pas un monument littéraire. Rédigée dans un style familier mais spirituel et coloré, elle constitue cependant un témoignage extrêmement vivant sur les dernières années du régime français au Canada. Comme l’a écrit si justement Claude de Bonnault, c’est un « précieux et inestimable recueil que l’on pourrait intituler : Les Canadiens du xviiie siècle peints par eux-mêmes ».

Céline Dupré

La correspondance de Mme Bégon est conservée aux ANQ et comprend 9 cahiers et 38 pièces détachées couvrant les années 1749 à 1753. Les différentes lettres qui composent le manuscrit sont datées successivement de Montréal, puis de Rochefort, et occasionnellement de Brest, Blois, La Rochelle et Bordeaux. Cette correspondance fut publiée sous le titre de Correspondance de Mme Bégon (Bonnault), RAPQ, 1934–1935, 5–186 (texte modernisé) 187–277 (texte original), et de Lettres au cher fils. Correspondance d’Élisabeth Bégon avec son gendre (1748–1753), Nicole Deschamps, édit. (« Coll. Reconnaissances », Montréal, 1972) ; et, sous la forme de textes choisis, par Céline Dupré, Élisabeth Bégon (1696–1755) (« Collection classiques canadiens », 19, Montréal, 1961).  [c. d.]

Yvonne Bezard, Fonctionnaires maritimes et coloniaux sous Louis XIV, les Bégon (Paris, 1932).— Frégault, François Bigot, passim ; Le grand marquis, passim. Isabels Landels, La correspondance de madame Bégon (thèse de doctorat, université Laval, Québec, 1947).— P.-G. Roy, La famille Rocbert de La Morandière (Lévis, 1905).— Claude de Bonnault, Saintonge et Canada : les Tilly, BRH, XLI (1935) : 238–256, 296–313.— É.-Z. Massicotte, Quelques maisons du vieux Montréal, Cahiers des Dix, X (1945) : 254–262.— P.-G. Roy, Honoré Michel de La Rouvillière, BRH, XXII (1916) : 151–156.

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Céline Dupré, « ROCBERT DE LA MORANDIÈRE, MARIE-ÉLISABETH (Marie-Isabelle, Élisabeth) (Bégon de La Cour) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 10 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/rocbert_de_la_morandiere_marie_elisabeth_3F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1974
Année de la révision:    1974
Date de consultation:    10 oct. 2024