MURRAY, LOUISA ANNIE, institutrice et écrivaine, née le 23 mai 1818 à Carisbrooke, Angleterre, aînée des enfants d’Edward Murray, officier de l’armée, et de Louisa Rose Lyons ; décédée célibataire le 27 juillet 1894 dans le canton de Stamford, Ontario.

Lorsque Louisa Annie Murray était encore enfant, sa famille s’installa près du grand-père paternel qui demeurait à Ballina Park, dans le comté de Wicklow (république d’Irlande). Essentiellement autodidacte, Louisa Annie faisait partie d’un joyeux cercle d’amis et de parents. Mais dans cette Irlande frappée par la famine les jeunes n’avaient pas beaucoup d’avenir sur le plan économique et le salaire d’un officier à la demi-solde était limité. Aussi la famille émigra-t-elle au début des années 1840, et les Murray furent parmi les premiers colons à s’installer dans l’île Wolfe, près de Kingston, dans le Haut-Canada. Louisa Annie travailla comme institutrice tout en commençant à écrire, encouragée par son voisin, le révérend Joseph Antisell Allen, poète et père du romancier Charles Grant Blairfindie Allen. Susanna Moodie [Strickland*] lui apporta une aide concrète en recommandant la « belle histoire » de Mlle Murray à Eliza Lanesford Cushing [Foster*], directrice du Literary Garland de Montréal. C’est ainsi que Fauna, or the red flower of Leafy Hollow fut publié en feuilleton dans cette revue en 1851. Mais à l’époque le Literary Garland était déjà sur son déclin et, par la suite, des difficultés de publication continuèrent à nuire à la carrière de l’auteure. L’un de ses manuscrits fut égaré à la suite de l’échec d’un projet de magazine ; un autre brûla accidentellement. Plusieurs tentatives de publication de livre avortèrent également. Le roman The cited curate, qui devait être publié en vertu d’un contrat, ne put paraître en raison de la fermeture de la maison d’édition ; cette histoire marquée d’un romantisme sombre, dont le héros sans grand courage vivait dans le comté de Wicklow, fut publiée en 1863 dans le British American Magazine de Toronto. On a dit plus tard de cet ouvrage qu’il était « le plus soigné de tous [ses] romans ».

Pendant que dans le milieu littéraire on déplorait le fait que Louisa Annie Murray ne puisse atteindre un plus vaste public, celle-ci persistait dans son ambition de devenir la plus grande prosatrice canadienne des années 1870. Pour parvenir à cet idéal, elle pouvait s’appuyer sur l’amitié de nombreux artistes, en particulier le peintre Daniel Fowler, dont elle fit la connaissance à l’occasion des visites qu’elle rendait à son frère dans l’île Amherst. Elle écrivit à Fowler depuis les divers lieux où elle résida : en 1872, elle suivit sa sœur Clemena Going à Tillsonburg ; par la suite, elle vécut dans le comté de Welland, d’abord à Montrose puis, à compter de 1877, dans le canton de Stamford, où elle rejoignit sa mère ainsi que sa sœur et ses frères célibataires à Glen Farm. Elle correspondit également avec les jeunes auteures Susie Frances Harrison [Riley*], Agnes Ethelwyn Wetherald* et Agnes Maule Machar* qui lui rendirent hommage en la décrivant comme « l’une des meilleures prosatrices que le Canada ait jamais connues ».

Louisa Annie Murray publia plusieurs poèmes à la manière romantique de l’époque victorienne, dont Merlin’s cave, mais elle était surtout connue pour ses romans. Cette « conteuse-née », selon l’expression de Mme Wetherald, écrivait des romans d’amour dont l’intrigue menée à vive allure aboutissait à un heureux dénouement grâce à des coïncidences et au deus ex machina. Dans le débat de la fin du siècle sur les mérites du réalisme littéraire, l’auteure se rangea du côté des idéalistes. Ses personnages étaient plus grands que nature, les hommes, chevaleresques et forts, les femmes, belles et douces, car elle cherchait, à l’instar de George Eliot, à présenter les êtres sous un jour favorable. Elle imita aussi Eliot en créant des héroïnes indépendantes et aventureuses. Ses personnages féminins jouissaient d’une liberté d’action considérable, en particulier dans les forêts canadiennes, comme dans Fauna, son premier roman, où une jeune Indienne aide une jeune Anglaise à profiter de sa nouvelle liberté et, finalement, à épouser l’homme dont elles sont toutes deux amoureuses. Mlle Murray manifesta son talent pour le récit descriptif dans la peinture détaillée qu’elle fit de la toile de fond romantique offerte par la forêt. Dans les divers cadres où elle situait ses romans, qu’il s’agisse du Canada comme dans Fauna et The settlers of Long Arrow, de l’Irlande comme dans The cited curate et Little Dorinn : a Fenian story, ou de l’Italie comme dans Carmina, elle utilisait des descriptions de paysages pour donner à son récit une note de réalisme, ou pour y apporter une certaine couleur locale, ou encore pour suggérer une ambiance.

Dans Fauna, Louisa Annie Murray aborda pour la première fois l’un de ses grands thèmes : la question de l’égalité des femmes. « L’érudition et le génie chez une femme ! Oh ! comble de l’iniquité – horreur pour l’un des sexes, chose redoutée pour l’autre et indice infaillible de la future vieille fille ! » Elle décrivit encore ce dilemme de manière plus complète et plus tragique dans son roman intitulé Marguerite Kneller : artist and woman où elle démontre l’impossibilité de réussir son mariage tout en poursuivant une brillante carrière artistique. Ce thème, puisé dans le roman Corinne, ou l’Italie (1807) de madame de Staël, lui inspira de nombreux essais qu’elle signa dans le Christian Guardian, la Canadian Monthly and National Review, le Nation et le Week, toutes des publications torontoises, sous divers titres comme « Old maids, ancient and modern », « A few words about some literary women », « Suppression of genius in women [...] », « Carlyle’s first loves » et « The story of L. E. L. [Letitia Elizabeth Landon] ». Dans ce dernier cas, le dilemme était résolu sur une note plus positive. Tous ces essais lui permirent d’explorer les œuvres littéraires des femmes et d’observer les frustrations de celles qui, telles Dorothy Wordsworth et Jane Baillie Carlyle, furent éclipsées ou empêchées d’écrire par les auteurs masculins de leur famille. Même si ces essais et d’autres sur différents sujets littéraires lui valurent de flatteuses comparaisons avec George Eliot en raison de leur valeur intellectuelle, le projet d’en faire un livre ne se concrétisa jamais.

Louisa Annie Murray est presque oubliée aujourd’hui malgré la renommée dont elle a joui de son vivant. Elle fit le lien entre deux époques : celle du début du gothique et des récits de voyage, illustrée par des pionnières comme Susanna Moodie, et celle des romancières et journalistes professionnelles du tournant du siècle, qui commencèrent à s’intéresser à la « femme nouvelle ».

Barbara Godard

Arch. privées, Louisa Murray King (North Andover, Mass.), L. A. Murray papers, lettres à Murray ; Murray, list of mss submitted for publication.— British American Magazine (Toronto), 1 (1863)–2 (1863–1864).— Canadian Monthly and National Rev. (Toronto), 1 (janv.–juin 1872) : 28–33, 107–117, 239–247, 334–343, 432–438, 519–526 ; 2 (juill.–déc. 1872) : 385–408, 481–505 ; 3 (janv.–juin 1873) : 275–288, 379–394, 471–486 ; 4 (juill.–déc. 1873) : 21–28, 229–238, 280–299, 376–387, 501–515 ; 6 (juill.–déc. 1874) : 130–146.— Literary Garland (Montréal), nouv. sér., 9 (1851) : 145–159, 209–221, 241–256, 289–307, 337–347, 385–395, 433–443.— Nation (Toronto), 6 août 1875 : 368–369 ; 24 sept. 1875 : 451–453.— Once a Week (Londres), 5 (1861) : 421–429, 449–455, 477–485, 505–512, 533–539, 561–569, 589–597, 617–623, 645–651, 673–679, 701–705.— Week, 26 juin 1884 : 474–475 ; 3 juill. 1884 : 489–491 ; 19 avril 1888 : 335–336 ; 5 avril 1889 : 280 ; 12 avril 1889 : 295–296 ; 2 déc. 1892 : 9–11 ; 5 oct. 1894 : 1063–1064.— Canada, an encyclopædia (Hopkins), 5 : 170–176.— The encyclopedia of Canada, W. S. Wallace, édit. (6 vol., Toronto, [1948]), 4 : 359–360.— An index to the Canadian Monthly and National Review and to Rose-Belford’s Canadian Monthly and National Review, 1872–1882, introd. de M. G. Flitton, compil. ([Toronto], 1976).— Morgan, Sketches of celebrated Canadians.— Types of Canadian women (Morgan).— Wallace, Macmillan dict.— Judith Zelmanovits, « Louisa Murray, writing woman », Canadian Woman Studies (Downsview [Toronto]), 7 (1986), n° 3 : 39–42.

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Barbara Godard, « MURRAY, LOUISA ANNIE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 15 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/murray_louisa_annie_12F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1990
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