Peter Martin (circa 1753–1802), esclave noir, fut affranchi après avoir servi dans l’armée britannique pendant la guerre d’Indépendance américaine. Même s’il était un homme libre dans le Haut-Canada, sa famille resta asservie à son ancien propriétaire. Martin réussirait cependant à acheter la liberté de son fils George. En 1793, le courage dont il fit preuve en dénonçant les traitements brutaux infligés à l’esclave Chloe Cooley mena à la promulgation de la loi visant à restreindre l’esclavage dans le Haut-Canada.
Titre original :  Niagara Fort and Town (Niagara-on-the-Lake, Ontario). Date: 1846. Toronto Public Library, Baldwin Collection of Canadiana.

Provenance : Lien

MARTIN, PETER (aussi connu sous le nom de Martin Stout), esclave noir, soldat et ouvrier, né vers 1753, vraisemblablement à New York ; décédé entre 1802 et 1816, probablement dans le Haut-Canada.

Peter Martin et son frère Richard furent asservis par le colonel John Butler* et sa famille à New York – l’une des Treize Colonies de la Grande-Bretagne –, dans la vallée de la rivière Mohawk. Pendant plus de quatre ans, les deux frères servirent dans les Butler’s Rangers, unité militaire loyaliste, au cours de la guerre d’Indépendance américaine. De 1781 jusqu’à la fin des hostilités, ils furent stationnés dans la partie de la région de Niagara qui deviendrait Newark (Niagara-on-the-Lake). Ils participèrent sans doute à des combats et effectuèrent divers travaux. Conformément à la proclamation de 1775 de lord Dunmore, qui promettait la liberté aux esclaves noirs en échange de leur service dans l’armée, Peter et Richard furent affranchis après la dissolution des Butler’s Rangers. Ils s’établirent ensuite à Newark. Comme vétéran de l’armée, Peter avait droit à une concession de terre de 300 acres, mais il semble qu’il ne la réclama pas tout de suite. Richard avait également droit à une concession, mais mourut peu après sa démobilisation.

Peter Martin, aussi connu sous le nom de Martin Stout, compta parmi la vingtaine de loyalistes noirs qui s’installèrent dans l’ouest du Québec (région du sud de l’Ontario actuel), qui devint le Haut-Canada en 1791. Même si on ne dispose pas d’information sur ses activités après la guerre, Peter, à l’instar de beaucoup d’autres loyalistes noirs, travailla probablement comme ouvrier salarié pour son ancien propriétaire ou pour d’autres loyalistes blancs. Il faisait partie du petit nombre d’habitants noirs de la région de Niagara, pour la plupart asservis. Martin était un homme de principe qui contesta l’injustice et la violence de l’esclavage. En mars 1793, il fut témoin du traitement cruel infligé à une femme noire, nommée Chloe Cooley*, par son propriétaire, Adam Vrooman, qui la fit traverser de force la rivière Niagara pour la vendre aux États-Unis. Martin rapporta l’incident au Conseil exécutif de la colonie et, avec un homme blanc nommé William Grisley, raconta ce dont il avait été témoin. Grâce à son geste courageux, l’incident de Chloe Cooley devint une affaire publique et, la même année, mena à la promulgation de la loi visant à restreindre l’esclavage dans le Haut-Canada, qui mit en branle l’abolition progressive de l’esclavage.

Même si Martin était un homme libre, sa compagne, Pat, et ses deux enfants, George* et Jane, restèrent les esclaves des Butler. La famille de Martin illustrait la complexité des deux statuts sociaux qu’avaient les Noirs dans le Haut-Canada et dans les autres colonies où l’on pratiquait l’esclavage.

Dans leur testament, certains propriétaires d’esclaves libéraient les personnes qu’ils avaient asservies [V. John Baker*], mais John Butler, qui mourut le 13 mai 1796, refusa d’affranchir la famille de Martin. Il légua Jane à sa petite-fille Catherine et George à son petit-fils John. (Tous deux étaient les enfants du lieutenant Thomas Butler, fils du défunt, qui prit en charge Jane et George en leur nom.) Le colonel Butler légua Pat à son fils Andrew Butler, acte qui séparait la mère et la fille. Cet événement n’avait rien d’inhabituel pour les familles noires réduites en esclavage en Amérique du Nord britannique ; celles-ci devaient faire face à une constante menace de séparation, qui se concrétisait souvent [V. Peggy*].

Le sort de Pat et celui de Jane demeurent un mystère, mais il existe des traces de ce qu’il advint de George. Tout de suite après la mort de John Butler, son fils Thomas devint le propriétaire de George. Peter Martin mit alors à exécution un plan visant à libérer son fils de l’esclavage ; il fit l’acquisition de terres, puis les vendit afin de réunir l’argent nécessaire pour acheter la liberté de George. Thomas Butler exigeait un prix élevé – £60 en monnaie ayant cours à New York –, mais Peter Martin connaissait la valeur des terres dans le Haut-Canada et savait qu’elles étaient faciles à vendre, à une époque où de nombreux loyalistes les vendaient par besoin d’argent et où d’autres en achetaient autant que possible.

Le 21 mai 1796, huit jours seulement après la mort de John Butler, Martin réclama avec succès, au lieutenant-gouverneur John Graves Simcoe, les 300 acres auxquels il avait droit à titre de vétéran. Le 28 septembre, il tenta d’obtenir la concession de terre due à son défunt frère Richard, mais on rejeta sa requête. Ne se laissant pas décourager, Martin réitéra sa demande le 20 août 1797, dans laquelle il expliqua cette fois son intention de vendre la concession de terre de son frère et d’utiliser le produit de la vente pour acheter la liberté de son fils George. La requête fut approuvée le lendemain et Martin se vit attribuer 300 acres. L’année précédente, ce dernier avait acquis une concession de 300 acres d’un autre loyaliste noir, Jack Becker (Baker, Barker), qui lui avait vendue pour £25. Le plan de Martin fonctionna apparemment : c’est sans doute la vente d’une partie ou de la totalité de ces 900 acres qui lui permit d’acheter la liberté de George au lieutenant Butler.

Après avoir libéré son fils, Martin s’établit à York (Toronto). Il figure dans le recensement de la ville de 1801 avec un autre homme, probablement George, et seul l’année suivante. On n’en sait pas davantage sur ses dernières années, si ce n’est qu’on le désignait comme un « infirme boiteux » dans sa requête du 20 août 1797. Son infirmité était peut-être liée à son service dans l’armée ; aucun document n’indique s’il reçut des soins de médecins militaires pour cette condition. Le 14 mai 1816, quand George demanda une concession de terre en tant qu’enfant d’un vétéran de la guerre d’Indépendance américaine, Peter était déjà mort, mais on ne sait ni quand, ni où, ni comment.

La migration forcée de Peter Martin et son affranchissement ultérieur résultèrent de la guerre d’Indépendance américaine et de l’impérialisme britannique. L’idée de liberté guida sa vie. Après avoir obtenu la sienne, il acheta celle de son fils George et demanda justice pour Chloe Cooley. Même s’il ne put la sauver, son geste inspira une loi qui inaugura le chemin progressif vers la liberté pour les esclaves du Haut-Canada et pour ceux en provenance des États-Unis.

Natasha Henry-Dixon

AO, RG 22-155-0-200 (Butler, John, estate file, 11 juin 1796 ; accessible à www.familysearch.org/ark:/61903/3:1:3Q9M-CSDM-JQJY-2?i=181&cat=218510).— Bibliothèque et Arch. Canada (Ottawa), R10875-4-5 (Executive Council Office of the Province of Upper Canada fonds, land submissions), vol. 327a, petition 35 (Peter Martin, 21 mai 1796 ; accessible à www.collectionscanada.gc.ca/microform-digitization/006003-119.02-e.php?q2=29&q3=2534&sqn=373&tt=1030&PHPSESSID=7upk2t2a2a533gvt4ac4sdnup0oss18o20ggb190vq4g2clhbe31) ; vol. 328, petition 49 (Peter Martin, 28 sept. 1796 ; accessible à www.collectionscanada.gc.ca/microform-digitization/006003-119.02-e.php?q2=29&q3=2534&sqn=442&tt=1030&PHPSESSID=7upk2t2a2a533gvt4ac4sdnup0oss18o20ggb190vq4g2clhbe31%252529) ; vol. 329, petition 47 (Peter Martin, 20 août 1797 ; accessible à www.collectionscanada.gc.ca/microform-digitization/006003-119.02-e.php?q2=29&q3=2535&sqn=329&tt=1050&PHPSESSID=7upk2t2a2a533gvt4ac4sdnup0oss18o20ggb190vq4g2clhbe31) ; vol. 341, petition 174 (George Martin, 14 mai 1816 ; accessible à www.collectionscanada.gc.ca/microform-digitization/006003-119.02-e.php?q3=2544&sqn=452&tt=1036&q2=29&interval=&PHPSESSID=npfo6qij0n1rpue06msk2mqnj1) ; R10875-18-5 (Executive Council Office of the Province of Upper Canada fonds, […], land and state book A), testimonies of Peter Martin and William Grisley, 21 mars 1793 (accessible à heritage.canadiana.ca/view/oocihm.lac_reel_c100, image 947).— An annotated nominal roll of Butler’s Rangers, 1777–1784, with documentary sources, W. A. Smy, compil. (Welland, Ontario, 2004).— N. K. Crowder, Early Ontario settlers : a source book (Baltimore, Md, 1993).— « Early records of St. Mark’s and St. Andrew’s churches, Niagara », Ontario Hist. Soc., Papers and Records (Toronto), 3 (1901) : 7–73.— Natasha Henry-Dixon, « One too many : the enslavement of Black people in Upper Canada, 1760–1834 » (thèse de ph.d., York Univ., Toronto, 2023).— The statutes of the province of Upper Canada […] (Kingston, Ontario, 1831).— York, Upper Canada : minutes of town meetings and lists of inhabitants, 1797–1823, Christine Mosser, édit. (Toronto, 1984).

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Natasha Henry-Dixon, « MARTIN, PETER (Martin Stout) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 25 mars 2025, https://www.biographi.ca/fr/bio/martin_peter_5F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2025
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Date de consultation:    25 mars 2025