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LAJOIE, JEANNE (baptisée Marie-Jeanne-Alberta), institutrice, née le 2 février 1899 à Lefaivre, Ontario, une des 12 enfants de Damien Lajoie, menuisier, et d’Alexina Proulx ; décédée célibataire le 2 mars 1930 à Montréal.
Marie-Jeanne Lajoie (ainsi qu’on la nomma jusqu’en 1922 environ) ne commença à fréquenter l’école qu’à l’âge de huit ans à cause de problèmes de santé. La maladie l’empêcherait de se présenter aux examens d’admission au secondaire. Néanmoins, à 13 ans, elle se mit à prendre des leçons de piano et, à 15 ans, elle obtint un diplôme en sténographie d’une école privée de Montréal. En 1919, elle devint gouvernante pour son frère Élias, curé de la paroisse de Vars, en Ontario. Son objectif était de devenir institutrice et, en 1921, elle fut engagée comme remplaçante, de février à juin, auprès d’une classe de quatre élèves dans une école séparée du district de Sudbury, près de Warren. Elle travailla ensuite dans une école publique située à proximité d’Azilda, où elle enseigna à quelque 60 élèves, avant de s’installer dans une école à Naughton en septembre 1922. Elle quitta toutefois cet établissement à la fin d’octobre, car elle était fatiguée et elle se plaignait de souffrir de dépression. En mars 1923, après ce qu’elle appela un « breakdown », elle accepta la responsabilité d’une classe à Blezard Valley. En 1922, elle avait fréquenté l’école modèle d’été anglaise et française, à Ottawa, où elle avait obtenu un certificat de district anglais-français, qui lui permettait d’enseigner pendant un an dans une école bilingue. Pendant l’été de 1923, elle suivit un cours de un mois à l’école modèle anglaise et française de Vankleek Hill. En septembre de la même année, peu avant le renouvellement de son certificat, elle accepta un poste d’enseignement du français à la St John School, une des deux écoles séparées (ni l’une ni l’autre n’était officiellement reconnue comme bilingue) de Pembroke, ville de la vallée de l’Outaouais à forte concentration francophone.
La St John School, où la majorité des élèves étaient de langue française, avait ouvert ses portes au début de 1923 à la suite d’une campagne menée par le Cercle Lorrain. (Fondée en 1916 et nommée en l’honneur de Narcisse-Zéphirin Lorrain, premier évêque catholique de Pembroke, cette société avait comme mission de promouvoir les intérêts des francophones de l’endroit.) Selon les dispositions du Règlement 17 de l’Ontario et des amendements qui y furent apportés [V. sir James Pliny Whitney*], le français ne pouvait pas être utilisé dans l’école comme langue de communication et d’instruction au delà de la première année, sauf avec l’autorisation des inspecteurs. La lecture, la grammaire et la composition en français pouvaient être enseignées de la première à la quatrième année, mais pas plus d’une heure par jour. Mlle Lajoie fut recrutée pour enseigner dans une classe ordinaire d’une trentaine d’élèves francophones et pour donner, alternativement, une heure de cours en français à des groupes formés d’élèves francophones d’autres classes. Elle ne fut pas tout à fait la bienvenue : la directrice de cette école supervisée par les Sisters of St Joseph lui fit immédiatement savoir qu’il était « insensé » d’enseigner deux langues à des enfants. Quelques semaines plus tard, l’inspecteur recommanda au conseil scolaire de Pembroke de confier les classes de Mlle Lajoie à une autre enseignante, une religieuse anglophone plus compétente qui avait également un certificat d’enseignement anglais-français et qui, même si elle ne maîtrisait pas le français, avait enseigné cette langue l’année précédente. Cédant aux pressions, le conseil scolaire décida en octobre 1923 de congédier Mlle Lajoie. Il fait peu de doute qu’elle avait alimenté la controverse en cherchant à enseigner en français plus longtemps que ne le permettait le Règlement 17.
La décision ne fut pas bien reçue des parents ni d’autres francophones de Pembroke. La cause de Mlle Lajoie fut également défendue par l’Association canadienne-française d’éducation d’Ontario [V. Napoléon-Antoine Belcourt*] ; le 10 octobre, un porte-parole confia en privé à Alfred Longpré, président du Cercle Lorrain, « [qu’]il ne [fallait] pas que cet affront passe sans que les canadiens français de Pembroke ne protestent très énergiquement ». Mlle Lajoie avait elle-même écrit à l’Association canadienne-française d’éducation d’Ontario le 6 octobre pour présenter sa version des faits et sa lettre fut publiée sous le couvert de l’anonymat dans le journal le Droit d’Ottawa. Étant donné que, malgré une pétition et d’autres protestations, le conseil scolaire ne revint pas sur sa décision, plusieurs centaines de personnes décidèrent, à l’occasion d’une réunion parrainée par le Cercle Lorrain, de suivre l’exemple de Franco-Ontariens de Green Valley (dans le comté de Glengarry) qui, en 1916, avaient fondé une école « libre », non assujettie aux autorités gouvernementales ; l’enseignement y serait confié à Mlle Lajoie. Le 6 novembre, après des discours prononcés par des représentants du Cercle Lorrain et de l’Association canadienne-française d’éducation d’Ontario, par le rédacteur en chef de Montréal Omer Héroux* et par Mlle Lajoie elle-même, l’école Jeanne-d’Arc ouvrit ses portes ; plus de 50 élèves s’entassaient dans la salle à manger d’une maison privée. Mlle Lajoie, qui « a[vait] réveillé les courages » des francophones de Pembroke, selon Héroux, était devenue un symbole de la résistance à ce qui était perçu comme la persécution des Franco-Ontariens.
L’école survécut grâce à des dons d’organismes tels que l’Association catholique de la jeunesse canadienne-française et l’Union Saint-Joseph du Canada ainsi que de particuliers. Bon nombre d’entre eux répondaient ainsi à des appels lancés surtout dans le Droit et le Devoir, dirigé par Héroux. Plus tard en novembre, une nouvelle maison fut achetée pour accueillir les élèves et, en février 1924, une institutrice de plus fut engagée pour l’enseignement. Mlle Lajoie faisait des discours pour rallier des appuis à l’école et collectait des fonds à Montréal pendant ses vacances d’été. Sa réputation d’institutrice fut reconnue lorsqu’elle se fit offrir la direction d’une école de Windsor, en Ontario, en mai 1925. Elle refusa en précisant que sa place était à Pembroke.
La protestation des francophones de Pembroke faisait écho à d’autres événements qui se déroulaient à beaucoup d’endroits en Ontario. Un grand nombre d’établissements d’enseignement en français, surtout à Ottawa ainsi que dans les régions rurales des comtés de Prescott et de Russell, avaient ouvertement défié le Règlement 17. L’Association canadienne-française d’éducation d’Ontario continua de s’opposer à cette réglementation, qui serait mise en veilleuse par le gouvernement provincial en 1927. Cependant, Mlle Lajoie ne se trouvait plus au premier rang de la résistance.
La santé de Jeanne Lajoie s’était détériorée. En septembre 1926, elle entra à l’Hôpital du Sacré-Cœur, à Cartierville (Montréal), atteinte de tuberculose. Elle ne se rétablit pas et mourut le 2 mars 1930. L’« héroïne de Pembroke » ne tomba jamais dans l’oubli. D’abord enterrée dans une fosse commune au cimetière de Notre-Dame-des-Neiges, à Montréal, sa dépouille fut déplacée et l’on installa une nouvelle pierre tombale. L’abbé Lionel Groulx* déclara en 1940 que Mlle Lajoie était de la « famille spirituelle de Jeanne d’Arc » et que, compte tenu de son prénom, « on pourrait [l’]appeler la Pucelle de Pembroke ». Elle servait de thème pour des chars allégoriques dans le défilé de la Saint-Jean-Baptiste, et des pèlerinages avaient lieu à sa tombe dans les années 1940. Dans la deuxième moitié du xxe siècle, certaines écoles de langue française en Ontario furent nommées en son honneur, sa lutte fut l’objet d’au moins trois pièces de théâtre et ses actions furent citées en exemples par ceux qui se préoccupaient de la survie du français en Ontario.
Il y a des photographies de Jeanne Lajoie dans le Dictionnaire de l’Amérique française ; francophonie nord-américaine hors Québec, Charles Dufresne et al., édit. (Ottawa, 1988), et dans la Patrie du 7 nov. 1923.
AO, RG 2-102-0-3 ; RG 80-2-0-499, nº 32793.- BAC, RG 31, C1, 1901, Alfred Township, Ontario, div. 4 : 2 (mfm aux AO).- Centre de recherche en civilisation canadienne-française (Ottawa), C2 (Fonds Association canadienne-française de l’Ontario), /21/5 : corr., rapports, 1922 ; /21/8 : rapports, résolutions, 1926 ; /101/9 : corr., résolution, loi, 1923-1924 ; /183/22 : Lajoie, Jeanne ; /186/9 : Longpré, Alfred ; /211/4 : corr., juill.-oct. 1923 ; /212/1-2 : corr., févr.-déc. 1924 ; /212/4-5 : corr., 1925-1926 ; /212/6 : corr. et coupures de presse, 1927 ; Edmond Clouthier, « Quinze années de lutte ! 1910-1925 : catéchisme de la question scolaire ontarienne » (texte dactylographié, [1925]).— Le Droit (Ottawa), sept. 1923–déc. 1924, 6 mars 1930.— P.-F. Sylvestre, « Naissance de Jeanne Lajoie, la “pucelle de Pembroke” », l’Express (Toronto), 3–9 févr. 2004 : 3.— Robert Choquette, Langue et Religion : histoire des conflits anglo-français en Ontario (Ottawa, 1975).— Alfred Longpré, l’Éveil de la race : un épisode de la résistance franco-ontarienne, Pembroke, 1923–27 ([Pembroke, Ontario, 1930]).— Peter Oliver, Public & private persons : the Ontario political culture, 1914–1934 (Toronto et Vancouver, 1975), 92–124.— Frère Urbain-Marie [J.-A. Delisle], Jeanne Lajoie : l’héroïne de Pembroke (Laprairie, Québec, [1942 ?]).— F. A. Walker, Catholic education and politics in Ontario [...] (3 vol., Toronto, 1955–1987 ; 1–2 réimpr., 1976), 2.
Henri Pilon, « LAJOIE, JEANNE (baptisée Marie-Jeanne-Alberta) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/lajoie_jeanne_15F.html.
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Auteur de l'article: | Henri Pilon |
Titre de l'article: | LAJOIE, JEANNE (baptisée Marie-Jeanne-Alberta) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |