LACHAPELLE, EMMANUEL-PERSILLIER (baptisé Marie-François-Pierre-Emmanuel), médecin, rédacteur en chef, officier, professeur, administrateur scolaire et administrateur d’hôpitaux, né le 21 décembre 1845 à Sault-au-Récollet (Montréal-Nord), fils de Pierre Persillier, dit Lachapelle, qui fut négociant, « gentilhomme campagnard » et maire, et de Zoé Toupin ; décédé célibataire le 1er août 1918 à Rochester, Minnesota, et inhumé le 6 à Montréal.

Les parents d’Emmanuel-Persillier Lachapelle étaient de vieille souche canadienne-française, puisque dès 1685 Étienne Persillier, dit Lachapelle, originaire du Périgord, en France, était venu s’établir en Nouvelle-France. De 1857 à 1865, le jeune Emmanuel-Persillier fait ses études classiques au petit séminaire de Montréal, que son père a fréquenté en 1828–1829, puis il étudie la médecine à l’école de médecine et de chirurgie de Montréal, rattachée au Victoria College de Cobourg, en Ontario. Après avoir reçu son diplôme de médecin en 1869, il entre à l’Hôtel-Dieu de Montréal et devient l’associé, à son cabinet privé, du professeur Thomas-Edmond Odet* d’Orsonnens, qui sera, de 1880 à 1887, président de l’école de médecine. En 1871, il fait partie du groupe des médecins qui mettent sur pied la Société médicale de Montréal. Il compte aussi parmi les membres fondateurs de l’Union médicale du Canada, revue créée grâce à l’initiative du docteur Jean-Philippe Rottot*, en particulier, et dont le premier numéro paraît en janvier 1872. Lachapelle sera rédacteur en chef de cette revue en 1876–1877, puis, de 1878 à 1882, il composera, avec ses collègues Séverin Lachapelle et Adolphe Lamarche, le comité de rédaction. Toujours en 1872, il est également nommé médecin du 65e bataillon (fusiliers Mont-Royal) et le demeure jusqu’en 1886, bien qu’il ne participe pas à la campagne de répression de la révolte des Métis en 1885, dans le Nord-Ouest canadien. Compagnon de collège de Louis Riel* au petit séminaire de Montréal, il a appuyé ce dernier à l’élection partielle fédérale de septembre 1874 dans la circonscription manitobaine de Provencher ; deux ans plus tard, comme médecin, il certifiera que Riel était atteint d’aliénation mentale.

Professeur à l’école de médecine et de chirurgie de Montréal à compter de septembre 1876, Lachapelle prend une part très active à la querelle qui a débuté en février entre l’université Laval et l’école à propos de l’établissement d’une faculté de médecine à Montréal. En 1878, à l’instar de Rottot, il opte pour aller enseigner à la nouvelle succursale de l’université Laval, à Montréal, choix qu’il maintient lorsque l’entente entre les deux établissements est rompue l’année suivante [V. Thomas-Edmond d’Odet d’Orsonnens]. Il occupe l’un des deux postes de secrétaire de la faculté de médecine de 1878 jusqu’en 1889. Professeur titulaire, il enseigne la pathologie générale ainsi que, dès 1879–1880, la physiologie. En 1888–1889, on lui confie la médecine légale et il accepte d’enseigner la pathologie comparée à l’École vétérinaire française de Montréal, fondée en 1886 par Victor-Théodule Daubigny* et rattachée à l’université Laval. L’année 1891 marque la fin de la querelle universitaire et l’union des deux parties dans une nouvelle faculté de médecine de l’université Laval à Montréal. Lachapelle en sera le doyen de 1908 jusqu’à sa mort.

Ce sont ses qualités d’administrateur et sa position de secrétaire de la faculté de médecine de l’université Laval à Montréal qui ont fait de Lachapelle le personnage clé de la fondation de l’hôpital Notre-Dame de Montréal en 1880. Par ailleurs, ses nombreuses relations dans les milieux de la bourgeoisie d’affaires canadienne-française et dans les milieux cléricaux lui ont permis de gagner des appuis et d’obtenir des apports très importants pour fonder cet établissement et pour en assurer le fonctionnement. Médecin attitré, Lachapelle en restera l’âme dirigeante pendant toute sa vie. Il est tour à tour ou simultanément surintendant de 1885 à 1905, président du bureau médical de 1890 à 1917, président du conseil médical de l’hôpital de 1907 à 1917 et président du conseil d’administration de 1913 à 1917. Pour une part importante, la fondation de l’hôpital Notre-Dame répond au besoin de la faculté de médecine de disposer d’un établissement où l’on puisse donner l’enseignement clinique aux étudiants, puisque la loi en vigueur depuis 1847 oblige toute école de médecine à avoir accès à un service clinique dans un établissement hospitalier d’au moins 50 lits. Or, la nouvelle succursale se trouvait sans hôpital affilié. Logé dans l’ancien Donegana’s Hotel, rue Notre-Dame, l’hôpital ouvre ses portes le 27 juillet ; il peut accueillir une cinquantaine de malades. Ce sont les professeurs de la faculté de médecine qui gèrent les activités médicales tandis que les Sœurs de la charité de l’Hôpital Général assurent les soins aux malades, l’organisation et la gestion internes. À titre de secrétaire, Lachapelle est chargé d’organiser le nouvel hôpital au cours des premiers mois de son existence. Il n’est pas surprenant non plus que, dès les débuts, et tout au long de ses activités dans cet établissement, le docteur Lachapelle travaille à faire de l’hôpital Notre-Dame un centre moderne, de type universitaire, de soins, d’enseignement ainsi que d’observation et de recherche, pour développer les connaissances médicales. C’est en grande partie grâce à ses efforts et à sa détermination que l’hôpital Notre-Dame gardera toujours cette structure caractéristique de type « hospitalo-universitaire ».

Dès le départ, toutefois, le docteur Lachapelle, comme les autres intervenants dans la fondation de l’hôpital, assigne aussi à l’établissement une fonction de santé publique afin de répondre aux besoins de soins de plus en plus importants de la population canadienne-française de Montréal, et plus particulièrement celle de l’est de la ville. L’hôpital Notre-Dame doit, selon Lachapelle, remplir une mission nationale de protection de la santé de la population canadienne-française. Le docteur Lachapelle se distinguera d’ailleurs tout au long de sa carrière par son action militante dans les domaines de la prévention et de la santé publique.

Militant en faveur de la création de sanatoriums pour les indigents, Lachapelle est plutôt opposé à la déclaration obligatoire des cas de tuberculose-maladie (mais pas des décès), car il craint « qu’en signalant le tuberculeux aux autorités, on risque de lui faire perdre son emploi, on lui inspire naturellement l’idée de cacher son mal, et on l’empêche de se faire soigner par crainte de révéler sa maladie [...] ne vaut-il pas mieux [...], selon lui, gagner la confiance de ce tuberculeux et faire son éducation, afin qu’il sache se rendre inoffensif ». En 1902, il est un des fondateurs de la Ligue antituberculeuse de Montréal. Il est aussi l’un des membres les plus dévoués du conseil d’administration du Royal Edward Institute, œuvre de bienfaisance fondée en 1909 par Jeffrey Hale Burland pour lutter contre la tuberculose. La même année, il accepte de présider la commission royale de la tuberculose, chargée par le gouvernement de Québec de trouver les moyens d’enrayer cette maladie et de vérifier la valeur des traitements.

La pensée d’hygiéniste de Lachapelle apparaît assez bien dans les nombreuses conférences qu’il prononce comme président du Conseil d’hygiène de la province de Québec de 1887 à sa mort ainsi que dans son discours, en 1894, à titre de président de l’American Public Health Association, qui tient son congrès à Montréal. Devant les membres de cette prestigieuse association nord-américaine, il oppose la théorie selon laquelle les maladies épidémiques sont transmises par des miasmes à celle qui veut qu’elles le soient par contagion. « Ces deux théories peuvent être aussi fondées l’une que l’autre, précise-t-il, mais individuellement elles ne sont pas complètes. » Pour combattre ces maladies, il se prononce en faveur d’un service de la quarantaine « ordonné et intelligent », réduit à un minimum de postes d’inspection et de désinfection.

Pour Lachapelle, qui reprend la définition célèbre de l’hygiène, « la prophylaxie en action », Louis Pasteur a révolutionné ce domaine en l’établissant « sur une base scientifique, dont le point fondamental est le microbe pathogène ». Bien que, pour lui, « les nouvelles théories ne détrui[sent] en rien les préceptes antérieurs », celle de Pasteur a permis de comprendre les causes des maladies contagieuses et les mécanismes de transmission, simplifiant les mesures de quarantaine et raccourcissant les périodes d’isolement. Sa foi dans la nouvelle science qu’est la bactériologie lui permet d’entrevoir le jour « où l’on aura accompli la diffusion des préceptes de l’hygiène moderne, et répandu dans toutes les classes la connaissance des conditions de propagation des maladies transmissibles », ce qui permettra d’« espérer que les populations, mieux éclairées, seconderont, au lieu d’entraver, comme cela se voit encore trop fréquemment, les efforts entrepris par les pouvoirs publics, pour préserver la santé générale ». Contredisant certains historiens de la santé publique, qui opposent le lyrisme empirique de la croisade de l’assainissement au xixe siècle et la rigueur du pasteurisme expérimental, Lachapelle n’appartient-il pas aux deux courants comme d’ailleurs la plupart de ses collègues qui composent le Conseil d’hygiène de la province de Québec ? Partisan de l’intervention de l’État pour appliquer les mesures d’isolement et de désinfection, réglementer le commerce des denrées alimentaires, de la viande et du lait, formuler des prescriptions d’hygiène scolaire et domestique, il est discret sur les causes sociales des maladies contagieuses. Lachapelle est persuadé que « c’est en assainissant les quartiers populeux, c’est en surveillant avec soin les cas de tuberculose, c’est en désinfectant les logis infectés et en vulgarisant les notions de l’hygiène moderne sur la prophylaxie de cette maladie, qu’on est parvenu dans ce pays [l’Angleterre], à diminuer de 45 % la mortalité de cette maladie ». Le discours de Lachapelle annonce celui des hygiénistes nord-américains de la première moitié du xxe siècle, pour qui l’action de santé publique repose avant tout sur l’éducation populaire par le militantisme hygiéniste des médecins mais aussi des infirmières et de tous ceux qui sont compétents pour diffuser les progrès de cette nouvelle science appliquée.

Tout au long de sa carrière, Lachapelle a occupé des postes de haute responsabilité. Dès 1877, il est membre du conseil d’administration du Collège des médecins et chirurgiens de la province de Québec avant d’en assumer la présidence, de 1898 à 1907. À titre de président du Conseil d’hygiène de la province de Québec, il marque profondément cet organisme de sa pensée scientifique et de son action d’hygiéniste pratique. Fondé en 1886 et désigné sous le nom de Commission provinciale d’hygiène de Québec pendant ses deux premières années d’existence, le conseil est responsable de la réglementation concernant l’hygiène dans l’ensemble de la province. Les questions touchant les statistiques démographiques, l’épidémiologie, les règlements de salubrité, la prévention des maladies et les bureaux d’hygiène municipaux relèvent de lui. Actif aussi à l’échelle canadienne et internationale, Lachapelle est président de la Canadian Medical Association, président de l’American Public Health Association en 1894, représentant du Canada au treizième Congrès international de médecine à Paris en 1900, membre associé de la Société française d’hygiène de Paris, et chevalier de la Légion d’honneur à compter de 1898. Philanthrope, il s’occupe également de finances : il est censeur de la Banque provinciale du Canada, président de la Société d’administration générale et du Crédit foncier franco-canadien.

Militant à toute épreuve du Parti libéral, Lachapelle a souvent été sollicité comme candidat à la députation ou à un poste de sénateur. Bien qu’il ait fait bénéficier le parti de son influence, il a toujours décliné toute responsabilité dans ce dernier, estimant probablement comme suffisant son engagement social et son militantisme professionnel. De 1910 à 1914, cependant, il a siégé comme membre élu d’une équipe réformiste au Bureau des commissaires de la ville de Montréal, qui constitue alors le gouvernement municipal.

Nationaliste canadien-français, comme en font foi ses écrits et son élection en 1887 à titre de président général de l’Association Saint-Jean-Baptiste de Montréal, Emmanuel-Persillier Lachapelle a su s’attirer le respect et la considération de ses compatriotes anglais. Le Montreal Herald voyait en lui « un second Laurier », tandis que le Star (Montréal), le présentait comme un « homme déterminé, [doué] d’une vaste connaissance des hommes et des choses, et à l’aise financièrement ». Homme d’action avant tout, Lachapelle a peu écrit, ce qui ne facilite pas la reconstruction de son histoire de vie lorsqu’on le compare à l’un de ses contemporains avec lequel il est parfois confondu, Séverin Lachapelle, ou encore à Joseph-Albert Baudoin, qui a consacré sa carrière à la diffusion du message hygiéniste dans le milieu universitaire de Montréal. « Une pensée, disait-il, si grande paraît-elle, ne doit pas être tenue pour telle tant qu’elle n’a pas subi l’épreuve de l’expérience et le contrôle extérieur. » Ses différents biographes demeurent confondus devant une vie active aussi bien remplie, ce qui expliquerait qu’il ne se soit jamais marié, peut-être dans la tradition du célibat catholique dévoué entièrement au service des autres.

Georges Desrosiers, Benoît Gaumer et Othmar Keel

Emmanuel-Persillier Lachapelle a rédigé plusieurs articles parus pour la plupart dans l’Union médicale du Canada (Montréal). Mentionnons dans cette revue : « la Bactériologie, l’Hygiène et la Médecine », 25 (1896) : 705–711 ; « les Progrès de l’hygiène au Canada », 26 (1897) : 530–536 ; « le Médecin et l’Hygiène », 29 (1900) : 664–674 ; « Prophylaxie de la tuberculose », 30 (1901) : 348–357 ; « Hygiène moderne », 31 (1902) : 387–391.

ANQ-M, CE1-4, 23 déc. 1845.— Le Devoir, 2, 5, 6 août 1918.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1912).— Gabrielle Cloutier, « Un disciple de Pasteur : Emmanuel Persillier-Lachapelle, médecin, humaniste et homme de science », Science et Francophonie (Saint-Laurent, Québec), 43 (sept. 1993) : 7–12.— Lucie Deslauriers, « Histoire de l’hôpital Notre-Dame de Montréal, 1880–1924 » (mémoire de m.a., univ. de Montréal, 1984).— Encyclopaedia of Canadian biography [...] (3 vol., Montréal et Toronto, 1904–1907), 2 : 27.— L.-E. Fortier, « Nécrologie : le professeur Emmanuel-Persillier Lachapelle, doyen de la faculté de médecine, 1845–1918 », l’Union médicale du Canada, 47 (1918) : 452–462.— Benoît Gaumer et al., « le Réseau de santé public au Québec de la fin du xixe siècle au milieu du xxe : une opportunité d’engagement politique et social pour des médecins hygiénistes québécois de l’époque », Socialisme (Bruxelles), sept. 1993 (hors-série).— Denis Goulet et al., Histoire de l’hôpital Notre-Dame de Montréal, 1880–1980 (Montréal, 1993).— François Hudon, « l’Hôpital comme microcosme de la société : enjeux institutionnels et besoins sociaux à l’hôpital Notre-Dame de Montréal, 1880–1960 » (thèse de ph.d., univ. de Montréal, 1996).— André Lavallée, Québec contre Montréal ; la querelle universitaire, 1876–1891 (Montréal, 1974).— [Albert LeSage], le Collège des médecins et chirurgiens de la province de Québec, 1847–1947 (Montréal, 1947), 74–76.— L.-D. Mignault, « Histoire de l’école de médecine et de chirurgie de Montréal », l’Union médicale du Canada, 55 (1926) : 444–450, 511–514, 536–542, 597–674.— Claudine Pierre-Deschênes, « Santé publique et Organisation de la profession médicale au Québec, 1870–1918 », dans Santé et Société au Québec : xixexxe siècles, sous la dir. de Peter Keating et d’Othmar Keel (Montréal, 1995), 115–132.— Louis Riel, les Écrits complets de Louis Riel, G. F. G. Stanley, édit. (5 vol., Edmonton, 1985), 5.

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Georges Desrosiers, Benoît Gaumer et Othmar Keel, « LACHAPELLE, EMMANUEL-PERSILLIER (baptisé Marie-François-Pierre-Emmanuel) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 22 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/lachapelle_emmanuel_persillier_14F.html.

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Auteur de l'article:    Georges Desrosiers, Benoît Gaumer et Othmar Keel
Titre de l'article:    LACHAPELLE, EMMANUEL-PERSILLIER (baptisé Marie-François-Pierre-Emmanuel)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
Année de la révision:    1998
Date de consultation:    22 nov. 2024