ROUSSELOT, BENJAMIN-VICTOR, prêtre, sulpicien et curé, né à Cholet, France, le 17 janvier 1823, fils de Jean Rousselot et de Marie Allion, décédé à Montréal le 31 août 1889.
Benjamin-Victor Rousselot était le sixième enfant d’une famille bourgeoise engagée dans des activités manufacturières et bancaires. Après des études classiques à Angers et une année de philosophie chez les sulpiciens à Nantes, il entra au séminaire de Saint-Sulpice, à Paris, au même moment où Ernest Renan y commençait sa théologie. Ce milieu offrait une solide formation tant dans le domaine de l’exégèse biblique que de la théologie. Ouvert à l’influence de l’école catholique allemande, le séminaire manifestait le souci d’intégrer la théologie à la vie et celui de développer un sens historique absent de la tradition scolastique. Influencé par les idées ultramontaines d’Arthur Le Hir, Rousselot ne put se consacrer entièrement à ses études à cause d’une santé fragile et d’une défaillance de la vue ; ces handicaps lui fermèrent la porte du séminaire au moment de son ordination, le 19 décembre 1846, et le conduisirent à œuvrer, durant six ans, auprès des jeunes de son village natal à titre de vicaire. En octobre 1853, il fut finalement admis à la Solitude, noviciat sulpicien d’Issy-les-Moulineaux, Hauts-de-Seine, dirigé par Étienne-Michel Faillon* ; ce dernier, constatant l’incapacité physique de Rousselot d’assumer les tâches intellectuelles de la Compagnie de Saint-Sulpice, l’orienta vers le ministère pastoral de la maison de Montréal, où il l’accompagna à l’occasion de sa seconde visite au Canada en mai 1854.
Dès son arrivée, Rousselot prit connaissance des deux domaines qui occuperont son champ d’activité à Montréal : celui de la paroisse Notre-Dame, endettée et débordée par la tâche de desservir toute la ville au moyen d’un réseau de succursales auxquelles elle se refusait à accorder des pouvoirs juridiques, et celui de l’aumônerie des Sœurs de la Charité de l’Hôpital Général de Montréal (Sœurs grises), dont il poursuivra l’œuvre sociale. En effet, après deux années comme confesseur auprès de ces religieuses, il commença d’élaborer un projet de garderie pour enfants de deux à sept ans en milieu défavorisé. En France, la famille de Rousselot protestait ; elle craignait que la part d’héritage de ce dernier ne fût absorbée par les dépenses qu’il s’apprêtait à faire. Quoi qu’il en soit, on commença d’édifier, le 26 juillet 1858, la salle d’asile Saint-Joseph, rue Saint-Bonaventure, sur un terrain donné par les sœurs grises. Au moment de l’inauguration solennelle présidée par Mgr Ignace Bourget au mois de juin de l’année suivante, la population avait déjà été mise à contribution grâce à de multiples sollicitations privées et publiques effectuées par Rousselot. L’expérience de cette première salle d’asile, inspirée d’un modèle français, s’avérant un succès immédiat, Rousselot entraîna les sœurs grises dans un second projet ; des travaux débutèrent le 6 mai 1860 sur un terrain de la rue Sainte-Catherine, à Montréal, acheté par ce dernier dans le but d’y construire la salle d’asile Nazareth, laquelle sera achevée en décembre 1861. Le succès de cette deuxième maternelle pour « la classe peu aisée » fut assuré par la contribution des parents et des bienfaiteurs, puis également par une subvention mensuelle de 25 cents par pensionnaire accordée par l’Assemblée législative de la province de Québec à partir de 1870. Depuis le début, cet établissement comptait un certain nombre d’aveugles. Au printemps de 1870, Rousselot créa un institut spécialisé pour les enfants aveugles relié au bâtiment de la salle d’asile Nazareth. Cette nouvelle initiative, inspirée des innovations faites en ce domaine à Paris, connut un succès immédiat grâce à l’utilisation de la méthode de Louis Braille ; dès 1871, on constata avec surprise que les nouveaux élèves pouvaient lire, écrire et exécuter des pièces musicales comme n’importe quel autre enfant. Outre cette fondation destinée à devenir l’Institut pour les aveugles, Rousselot contribua, en 1880, à la mise sur pied de l’hôpital Notre-Dame de Montréal, en facilitant au docteur Emmanuel-Persillier Lachapelle* la location d’un immeuble et l’acquisition d’un mobilier approprié, par des contributions personnelles et des garanties.
Depuis le 7 avril 1866, Rousselot avait quitté le poste plutôt effacé d’aumônier pour celui très controversé de curé de la paroisse Notre-Dame, à Montréal. Le décret de la Sacrée Congrégation de la Propagande du 22 décembre 1865 avait trouvé un compromis, accepté par les sulpiciens et par Mgr Bourget, devant ouvrir la porte au démembrement de l’unique paroisse de Montréal [V. Ignace Bourget ; Joseph Desautels]. En réalité, ce décret inaugurait dix années de crise et de querelles au sein du clergé montréalais. Les neuf premiers mois de la cure de Rousselot donnèrent lieu à une guérilla canonique entre l’évêque de Montréal et le supérieur du séminaire de Saint-Sulpice, Joseph-Alexandre Baile. Le premier cherchait à obtenir de Baile la mise en application du décret en lui soumettant un plan de démembrement qui excluait ce dernier de la présidence du conseil de fabrique ; le second prétextait des difficultés devenues insurmontables pour ne pas bouger et ameuter l’opinion publique en faveur des sulpiciens. Coincé dans cette lutte de pouvoir, le nouveau curé se lança dans la restauration et la décoration intérieure de son église, lequel projet sera achevé en 1874.
Rousselot fut souvent tenté de démissionner, puisqu’il favorisait personnellement la politique de l’apaisement et du silence. Son style effacé et discret, comme sa conception ultramontaine du rôle de l’Église, le rapprochaient objectivement de Bourget. Cette affinité se manifesta surtout de 1869 à 1870, durant la période du concile du Vatican et celle de l’affaire Joseph Guibord*. Le concile constituait, selon lui, le remède inspiré par Dieu contre les maux qui rongeaient le siècle, et les fidèles devaient avoir confiance en ses résultats, puis prier. Il endossa entièrement l’affirmation dogmatique de l’infaillibilité pontificale : « Rassurez-vous, si le prêtre se trompe dans son enseignement religieux, il y a quelqu’un pour le redresser [...], son évêque, qui a pour charge principale de veiller sur la doctrine aussi bien que sur les mœurs de son clergé [...] Si l’évêque lui-même se trompe au détriment de la saine doctrine, il y a quelqu’un dans l’Église chargé par son divin fondateur de le redresser [...], le Pape. » Averti, le 18 novembre 1869, par le vicaire général Alexis-Frédéric Truteau* que l’on devait refuser la sépulture ecclésiastique à Joseph Guibord, ex-membre de l’Institut canadien de Montréal, le curé Rousselot obtempéra. Après un procès civil qui donna raison en 1874 à la veuve de Guibord, Henriette Brown, et qui rendit obligatoire l’inhumation dans le cimetière catholique de Côte-des-Neiges, le curé prit position publiquement sur le bien-fondé de la position de l’Église à l’égard de ceux qui lisaient des livres mis à l’index et sur la liberté de celle-ci à l’égard du pouvoir civil : « Il est ridicule qu’un laïque ordonne à un prêtre de jeter de l’eau sur un cadavre et de prier pour le repos de son âme. »
Cet antilibéralisme doublé d’un antigallicanisme de Rousselot n’empêcha pas la reprise des hostilités entre l’évêque et les représentants de la paroisse Notre-Dame, si bien qu’en 1871 le conflit du démembrement connut une nouvelle escalade ; Bourget proposait maintenant une reconnaissance civile des succursales de la paroisse Notre-Dame. En juin 1872, le curé dut cependant passer en Europe et quitter son poste pour l’été, souffrant d’un état de fatigue profond et de violents maux de tête. En son absence, un décret de Pie IX, daté du 30 juillet, vint sanctionner les prétentions de Bourget. Avec le « bill des paroisses » prenant force de loi le 23 février 1875, le curé Rousselot voyait se rétrécir subitement le territoire sous sa responsabilité sans que le fardeau de la dette de la fabrique en fût allégé pour autant. Il consacra ses dernières années à Notre-Dame à d’autres travaux d’embellissement intérieur de l’église puis, le 2 octobre 1882, on le nomma curé de la paroisse Saint-Jacques, à Montréal.
Mise à part son intervention en faveur des manuels des Frères des écoles chrétiennes, protégés traditionnels des sulpiciens, lors de la querelle de 1880 entourant le projet de loi sur l’uniformité des manuels scolaires, Rousselot ne devait plus participer aux débats publics. Sa prudence au moment de l’affaire Louis Riel – qu’il souhaitait dépolitiser au cours d’un service liturgique, tenu à l’église Saint-Jacques en novembre 1885 – fut caractéristique à cet égard. Il sembla concentrer son énergie sur ses œuvres sociales ; dans son testament rédigé en mai 1886, avant d’entreprendre une cure de santé de quelques mois en France, à la suite d’une affection à la moelle épinière, il céda tous ses biens à l’asile Nazareth. Revenu à sa charge pastorale, il entreprit l’agrandissement de l’église Saint-Jacques en 1886. Il mourut le 31 août 1889 du mal qui l’avait atteint trois ans auparavant. L’opinion publique de l’époque a surtout retenu les entreprises considérables de ce curé modeste à l’égard des pauvres et des déshérités de la terre. Les innovations socio-éducatives représentèrent en effet l’aspect le plus original de la carrière de ce sulpicien français, de famille bourgeoise, ayant immigré à Montréal.
ACAM, 355.101 ; 588.201 ; 901.141 ; RLB, 15 ; 18.— Arch. de la Compagnie de Saint-Sulpice (Paris), Dossier 121, no 31.— Arch. départementales, Maine-et-Loire (Angers, France), État civil, Cholet, 17 janv. 1823.— Arch. des Sœurs grises (Montréal), Ancien journal, I : 119s. ; Dossier, Hospice Saint-Joseph, Chronique, I ; Historique ; Dossier, Nazareth, le fondateur, Testament de M. Rousselot, p.s.s. ; Rousselot, Saint-Sulpice ; « Salles d’asile tenues par les Sœurs de la charité de Montréal, dites vulgairement Sœurs grises dans la ville et le diocèse de Montréal » (Montréal, 1870).— ASSM, 21, Lettres de B.-V. Rousselot ; 49, Dossier 56.— Ernest Renan, Souvenirs d’enfance et de jeunesse (Paris, 1883).— La Minerve, 17, 21 mai 1866, 3 sept. 1889.— Allaire, Dictionnaire, I : 482.— Henri Gauthier, Sulpitiana ([2e éd.], Montréal, 1926).— E.-P. Benoît, Histoire de l’hôpital Notre-Dame, 1800–1923 (Montréal, 1923).— Henri Gauthier, La Compagnie de Saint-Sulpice au Canada (Montréal, 1912).— André Labarrère-Paulé, Les instituteurs laïques au Canada français, 1836–1900 (Québec, 1965), 340.— Olivier Maurault, La paroisse : histoire de l’église Notre-Dame de Montréal (2e éd., Montréal, 1957), 64–79.— Estelle Mitchell, Mère Jane Slocombe, neuvième supérieure générale des Sœurs grises de Montréal, 1819–1872 (Montréal, 1964).— Léon Pouliot, « Il y a cent ans : le démembrement de la paroisse Notre-Dame », RHAF, 19 (1965–1966) : 350–383.
Louis Rousseau, « ROUSSELOT, BENJAMIN-VICTOR », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 23 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/rousselot_benjamin_victor_11F.html.
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Auteur de l'article: | Louis Rousseau |
Titre de l'article: | ROUSSELOT, BENJAMIN-VICTOR |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1982 |
Année de la révision: | 1982 |
Date de consultation: | 23 déc. 2024 |