LHERMITTE (Lhermitte, LHermite, Lhermite), JACQUES, ingénieur, officier d’état-major et cartographe, ingénieur et major de la garnison de Plaisance (Placentia) de 1695 à 1714, sous-lieutenant de roi et ingénieur à l’île Royale (île du Cap-Breton), en 1714 et 1715, et lieutenant de roi à Trois-Rivières de 1715 à 1725, né le 8 mai 1659 à Le Breuil (Calvados) et décédé dans le naufrage du Chameau le 27 août 1725.

D’après ses dires, L’Hermitte, qui avait déjà en 1690 neuf ans de service en France dans le corps du génie, aurait interrompu sa carrière cette année-là pour faire campagne en Irlande comme capitaine d’infanterie. Bien qu’il eût réintégré le corps du génie par la suite, il perdit son droit d’ancienneté de sorte qu’en 1694 il était un des 60 officiers victimes d’une réduction des effectifs. (On ne trouve aucune mention de ces faits dans les archives du génie.) Cependant le duc de Gramont le choisit comme ingénieur et cartographe à bord du Gaillard, le vaisseau pavillon de l’escadre du capitaine Saint-Clair. Ce navire avait été armé à Bayonne (où L’Hermitte occupait un poste), en vue d’une expédition contre les Anglais à Terre-Neuve, au cours de l’été de 1694. Les travaux réalisés par L’Hermitte à cette occasion, particulièrement sa carte de la baie de Plaisance, le firent remarquer par Jacques-François de Brouillan [Monbeton], gouverneur de Plaisance. C’est surtout sur la recommandation de celui-ci qu’en 1695 le ministre de la Marine nomma L’Hermitte aux postes d’ingénieur et de major de la garnison de Plaisance.

En plus de ses occupations comme ingénieur, qui prenaient la majeure partie de son temps, il devait encore accomplir les tâches habituelles du major de la garnison. Celles-ci comprenaient la désignation de la garde, l’inspection de la garnison, la distribution des approvisionnements et l’administration de la justice militaire. De plus, Brouillan s’arrangea pour le faire nommer sous-lieutenant de roi, L’Hermitte se trouvant ainsi à détenir l’autorité après le gouverneur et le lieutenant de roi. Brouillan le tenait en haute estime et c’est sans doute pourquoi Joseph de Monic en vint à le détester. Leur désaccord aboutit à une crise lorsqu’en 1701 Monic fit jeter L’Hermitte en prison pendant trois semaines, parce qu’il avait fait copier, par un serviteur, des lettres qui se trouvaient dans le bureau du commandant. Le ministre estima l’attitude de Monic exagérée et le rappela en France, tandis que L’Hermitte s’en tirait avec une légère réprimande.

À part de rares intermèdes comme des expéditions en vue de cartes à dresser ou encore l’organisation du coup de main contre Saint-Jean qu’effectua Auger de Subercase pendant l’hiver de 1704–1705, L’Hermitte passa 17 ans à essayer en vain de mettre les fortifications de Plaisance en état de résister à toute éventualité. Ce fut une lutte sans fin contre le climat, l’isolement des lieux, une politique financière mesquine, l’indifférence des pêcheurs et l’ignorance des fonctionnaires de l’endroit. Les fonds destinés au remplacement des vieilles fortifications de terre et de bois par de la maçonnerie étaient alloués avec parcimonie. Ces sommes suffisaient à peine à réparer, chaque été, les dégâts que les tempêtes hivernales, les vagues et le gel avaient causés aux travaux de l’été précédent. Bien que la cour de Versailles encourageât les armateurs de navires de pêche, particulièrement les Basques, à travailler de concert avec la marine royale, en transportant à Plaisance des travailleurs saisonniers, des matériaux de construction et des bêtes de somme, leur coopération laissait à désirer, même s’ils se savaient menacés de la défaveur royale. Parfois les supérieurs de L’Hermitte à Terre-Neuve ne suivaient pas son avis en matières techniques ou ne tenaient pas compte des méthodes de comptabilité habituellement employées par le corps du génie. À un certain moment, il écrivit que désormais il observerait strictement les instructions qu’il avait reçues ; autrement, disait-il, « je n’en aurais que du reproche ». Cependant, les événements lui donnèrent souvent raison.

L’Hermitte était considéré comme un bon dessinateur, arpenteur et cartographe. En 1698, il fut envoyé en Acadie pour faire un relevé des havres qui pourraient éventuellement être aménagés en ports de mer ainsi qu’un inventaire des ressources naturelles (notamment le bois, pour la construction des navires) sur la côte de l’Atlantique et sur les deux rives de la baie Française (baie de Fundy). Il devait, par la même occasion, juger s’il fallait établir des fortifications à l’embouchure de la rivière Saint-Jean. Il fut affecté à Trois-Rivières en 1715, et peu de temps après on le chargea d’effectuer le relevé topographique et de tracer une carte de la majeure partie de l’île du Cap-Breton et de ses environs. En 1724, il exécuta un relevé des ressources forestières de la région de Gaspé.

Quand les Français abandonnèrent Plaisance en 1713, L’Hermitte joua un grand rôle dans la fondation de la nouvelle colonie de l’île Royale. Il fit une étude rapide de plusieurs havres naturels, afin de choisir le meilleur emplacement qui pût servir de principale place forte à l’industrie de la pêche à la morue. À Louisbourg, il construisit des fortifications, ainsi que des bâtiments temporaires prêts à recevoir les colons de Plaisance et, éventuellement, ceux d’Acadie, puis il prit part aux premières tentatives faites en vue de l’installation des Acadiens à l’île Royale.

À cette époque, ayant passé la soixantaine et souffrant de divers maux et blessures, il ne pouvait plus travailler au même rythme qu’autrefois. Malgré ses protestations, le ministre institua à son intention le poste de lieutenant de roi à Trois-Rivières lequel, en dehors des voyages pour relevés topographiques, était pour ainsi dire une sinécure. En 1718, le Conseil de Marine lui conféra la croix de Saint-Louis et lui assura qu’il n’aurait pas à soumettre ses travaux à l’approbation de l’ingénieur en chef de la Nouvelle-France, Chaussegros* de Léry.

Au cours de l’été de 1725, le vieil ingénieur qui revenait au Canada, à bord du Chameau, périt dans le naufrage du vaisseau au large du Cap Breton, après avoir fait en France un rapport verbal sur les conclusions de son relevé de la région de Gaspé. Son corps n’ayant pas été identifié parmi les naufragés, on ignore s’il était parmi les 180 personnes qui furent enterrées par le missionnaire de la Baleine. Il laissa peu de biens et beaucoup de dettes à ses enfants et à Marie Chevalier, sa femme, qu’il avait épousée à Plaisance le 25 juin 1705. Cela n’a rien de surprenant, car, au cours de ses 30 années de service en Nouvelle-France, il avait essayé de vivre presque uniquement de sa solde, ce que peu d’officiers réussissaient à faire. Il s’était toujours plaint de l’insuffisance de ses revenus en raison du coût de la vie dans la colonie. À la mort de son père, en 1702, il perdit même une petite pension qu’il recevait de sa famille ; l’héritage paternel donna lieu à un procès avec ses frères, restés en France.

Ses cartes constituent le principal legs que nous ayons de lui. Certains exemplaires de ses travaux, qui ont été conservés en France, attestent le grand mérite de son œuvre. Cependant, deux choses contribuèrent à limiter son efficacité comme ingénieur : le « système » et sa propre faiblesse de caractère. L’hégémonie de l’Europe passait avant la mise en valeur des colonies et, dans les carrières coloniales, la consécration s’obtenait plutôt par influence que par le talent. D’autre part, il semble que L’Hermitte fût très susceptible, prenant toute critique ou tout rejet de ses avis comme une méconnaissance de ses talents.

F. J. Thorpe

AJQ, Greffe d’Étienne Dubreuil, 5 oct 1725. — AN, Col., B, 17, 19, 20, 22, 23, 25, 27, 29, 30, 32, 34, 35, 36, 37, 40 ; 48, p.862 ; Col., C11A, 37, 38, 40, 45, 46, 48 ; 120, t.2 ; Col., C11B, 1 ; Col., C11C, 2–7 ; Col., C11D, 3, ff.78, 81, 99, 101, 118 ; Col., E, 285. — Section Outre-Mer, Dépôt des fortifications des colonies, carton 2, nos 99, 103, 106, 107, 109–115 ; carton 3, nos 134, 135. — Comité technique du génie (Paris), Archives, art. 14 (Louisbourg), no 1. — APC, FM 6, Archives maritimes, Port de Rochefort, 1E, 43, f.18. — Le Blant, Histoire de la N.-F., 253. — P.-G. Roy, Inv. testaments. II : 69. — [F. Aubert de La Chesnaye-Desbois], Dictionnaire militaire (Lausanne et Genève, 1743 ; 2e éd., 2 vol., Dresde, 1751), II : 210. — Le Blant, Philippe de Pastour de Costebelle. — McLennan, Louisbourg. — P.-G. Roy, Jacques L’Hermitte, BRH, XI (1905) : 175–180 ; Les officiers d’état-major, RC, 3e sér., XXIV (1919) : 55–61.

[La plupart des écrivains qui ont parlé de Jacques l’Hermitte ont, pour une raison inconnue, donné 1670 comme année de sa naissance. Son acte de baptême a été retrouvé et mentionne que l’Hermitte est né le 8 mai 1659 et qu’il est le fils de Jacques l’Hermitte et de Marie Preaux. Archives départementales, Calvados (Caen), E, État civil, Le Breuil-en-Bessin, Trévières, baptêmes, 15 mai 1659.  f.j.t.]

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F. J. Thorpe, « L’HERMITTE (Lhermitte, L’Hermite, Lhermite), JACQUES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 22 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/l_hermitte_jacques_2F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1969
Année de la révision:    1991
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