KINEUBENAE (Quinipeno, Quenebenaw, qui signifie aigle d’or), chef sauteux mississagué qui vivait sur la rive nord du lac Ontario ; circa 1797–1812.

Pendant la guerre de 1812, un groupe d’indiens mississagués s’assembla près de l’embouchure d’une rivière, à l’extrémité ouest du lac Ontario. Comme les guerriers s’accroupissaient autour de lui, le vieux chef Kineubenae commença lentement à parler du jeûne au cours duquel, grâce aux pouvoirs d’esprits invisibles, il avait obtenu d’être protégé contre les flèches, les coups de tomahawk et même contre les balles. Et il voulut faire la preuve de ce privilège. Il prit un seau d’étain et, non sans difficulté, à cause de son âge, il s’éloigna quelque peu du cercle des auditeurs. Aussitôt qu’il aurait levé le seau devant son visage, un guerrier devait faire feu, et Kineubenae recueillerait la balle dans le seau. Le tireur d’élite croyait, comme les autres, au « don » de Kineubenae, et il fit feu. Le chef tomba sur-le-champ. La bande, avec horreur, découvrit que « le plomb [avait] pénétré dans sa tête et l’ [avait] tué instantanément ». Cette balle fit plus que de tuer un chef respecté ; elle ébranla la croyance de beaucoup de Mississagués dans leur mode de vie traditionnel.

La vie et la mort de Kineubenae symbolisent le déclin des Sauteux connus par les Blancs sous le nom de Mississagués. Né au milieu du xviiie siècle, Kineubenae grandit au cours des dernières décennies de la domination des Sauteux dans ce qui est aujourd’hui le sud de l’Ontario. Deux générations plus tôt, ses ancêtres, partis des lacs Supérieur, Michigan et Huron, avaient déferlé vers le sud et, à peu près en 1700, ils avaient chassé les Iroquois. Par la suite, pendant 75 ans, les Mississagués devaient occuper seuls la rive nord du lac Ontario [V. Wabakinine* ; Wabbicommicot*]. Mais tout cela allait changer après l’éclatement de la Révolution américaine.

Kineubenae assista bientôt à l’arrivée dans ses terres natales de milliers de réfugiés blancs et iroquois. Sans préavis, les Mississagués durent céder leur territoire à l’extrémité ouest du lac, de façon à fournir des terres aux nouveaux venus. Conservant pour eux la « terre des Mississagués », région qui s’étendait de la baie de Burlington (port de Hamilton) à la rivière Credit, ils acceptèrent de céder ces terres en 1784, à condition que « les fermiers [les] aident », et que les Indiens puissent « fixer leur campement et pêcher là où [ils] voudraient », selon ce que Kineubenae affirma plus tard.

En fait – et le chef lui-même s’en plaignit en 1805 – ces promesses ne furent pas tenues. Au dire des Indiens, les fermiers, au lieu de les aider, les « chassaient et tiraient sur [leurs] chiens [...] quand [ils] camp[aient] sur [les] terres [des Blancs...], et jamais [ceux-ci] ne donnèrent la moindre aide promise [aux] vieux chefs ». Pendant ce temps, les Mississagués étaient en voie rapide d’extinction. Le contact étroit avec les Blancs avait introduit dans les villages des maladies comme la petite vérole et la tuberculose, contre lesquelles ils n’étaient point immunisés. Pendant la période de 1787 à 1798, la population des Mississagués de l’extrémité ouest du lac Ontario tomba de plus de 500 à environ 350 âmes.

Chef principal des Mississagués du ruisseau Twelve Mile (ruisseau Bronte), Kineubenae agit souvent, au début du xixe siècle, comme porte-parole des Mississagués. En 1805, par exemple, il négocia avec les Britanniques au sujet de la vente proposée de la terre des Mississagués. Le procès-verbal que l’on a conservé de cette conférence révèle en Kineubenae un fin marchandeur. Le premier jour, il s’opposa fermement à la cession de terres supplémentaires en donnant à William Claus*, surintendant général adjoint des Affaires indiennes dans le Haut-Canada, la raison suivante : « les jeunes gens et les femmes se sont plaints du fait qu’on avait vendu autant [de terres] précédemment ; il est vrai, ajouta-t-il, que nous sommes pauvres, et les femmes disent que notre situation empirera si nous aliénons davantage [de nos terres] ». Ce n’est qu’après que les Britanniques eurent exercé des pressions, le deuxième jour, qu’il plia. En retour de la cession qu’il consentit de toute la partie riveraine du territoire mississagué – les Indiens conserveraient l’intérieur des terres jusqu’en 1818 – Kineubenae arracha aux Britanniques la promesse que les Mississagués conserveraient les embouchures des rivières, de même que leurs droits d’y pêcher.

L’année ne s’était pas écoulée, toutefois, que Kineubenae protestait contre les empiétements des colons dans le domaine des pêcheries. En 1806, il se plaignit d’un Blanc qui s’était emparé de son champ de maïs, au ruisseau Bronte, et qui l’avait ravagé, de même que celui d’une pauvre veuve indienne qui avait quatre enfants à sa charge. Le même colon, au rapport de Kineubenae, était à construire un barrage pour prendre le saumon qui remontait le courant pour frayer. En outre, un squatter blanc de la rivière Credit avait à ce point troublé l’eau « avec du savon, en lavant, et avec d’autres saletés, que le poisson refus[ait] de venir dans la rivière comme à l’accoutumée, et à cause de cela, [leurs] familles [étaient] dans une grande détresse, faute de nourriture ».

En 1812, Kineubenae était devenu extrêmement faible et, de son propre aveu, « trop vieux pour marcher ». Pendant près de deux décennies, il avait dirigé son peuple ; au cours de cette période, la plupart des terres mississaguées avaient été prises par les Blancs, le poisson et le gibier avaient décru considérablement, et le nombre des Mississagués eux-mêmes avait fortement diminué. Puis la guerre entre les Britanniques et les Américains s’était étendue à la rive nord du lac Ontario. C’est à ce moment-là que Kineubenae, désireux de stimuler sa bande en lui donnant un exemple de la puissance de leurs traditions, jeûna et obtint le « don magique [de la protection] du guerrier ». Le fait que ce don ne put résister à une balle fournie par les Blancs allait faciliter, dix ans plus tard, l’apostolat de Peter Jones [Kahkewaquonaby*], qui amènerait à se convertir au christianisme les Mississagués démoralisés.

Donald B. Smith

APC, RG 10, A2, 27 : 420 ; 438 ; « Proceedings of a meeting with the Missisawque Indians », 3 oct. 1810 ; A6, 1834 : 197.— PRO, CO 42/340 : ff.49–53.— Victoria Univ. Library (Toronto), Peter Jones coll., anecdote book, no 53 (« Powwowiska Quenebenaw’s death »).— Canada, Indian treaties and surrenders [...] [1680–1906] (3 vol., Ottawa, 1891–1912 ; réimpr., Toronto, 1971), 1 : 23.— Corr. of Hon. Peter Russell (Cruikshank et Hunter), 2 : 304, 306.— Peter Jones (Kahkewaquonaby), History of the Ojebway Indians ; with especial reference to their conversion to Christianity [...] (Londres, 1861), 108s., 155.

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Donald B. Smith, « KINEUBENAE (Quinipeno, Quenebenaw) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 17 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/kineubenae_5F.html.

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Auteur de l'article:    Donald B. Smith
Titre de l'article:    KINEUBENAE (Quinipeno, Quenebenaw)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1983
Année de la révision:    1983
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