JOE, esclave noir, pressier, né vers 1760 en Afrique, circa 1771–1789.

C’est au mois d’août 1771, à titre d’esclave de William Brown et de Thomas Gilmore, imprimeurs de la Gazette de Québec, que Joe apparaît pour la première fois dans l’histoire du Canada ; les associés déboursent alors les sommes nécessaires à sa sortie de prison. On ignore la date à laquelle Joe est devenu la propriété des imprimeurs, mais il semble que ces derniers possédaient des esclaves noirs depuis au moins 1769. Dans une lettre datée du 29 avril de l’année précédente, Brown se plaint à son ancien patron, William Dunlop, de Philadelphie, de l’embarras que lui causent les jeunes Canadiens engagés à l’imprimerie : impossible de les garder longtemps, sitôt qu’ils acquièrent quelque expérience, ils réclament de plus gros salaires et deviennent insolents. Aussi les deux associés ont-ils décidé d’acheter un esclave noir âgé de 15 à 20 ans, honnête et ayant déjà eu la petite vérole. Ils demandent à Dunlop de leur en acheter un-ils sont prêts à payer un bon prix – et de l’envoyer par bateau, en ayant soin de le faire assurer. Dunlop a peut-être envoyé ainsi plusieurs Noirs à ses deux anciens employés, et on peut supposer que Joe vint au Canada par son intermédiaire. Après le décès de Gilmore, en février 1773, et la dissolution de l’association, en janvier 1774, Brown reste propriétaire des esclaves noirs travaillant alors à l’imprimerie.

Brown fait emprisonner Joe, en août 1774, pour un vol de plus de £4. Après son séjour en prison, qui coûte au maître près de £3, l’esclave revient à l’atelier et y exerce le métier de « presseur » d’imprimerie. Il faut croire que ce travail lui plaît assez puisqu’il n’est plus question de lui avant sa fuite en avril 1777. Brown doit alors payer 17 « chelins » 9 pence pour le retrouver. En novembre, Joe récidive et, cette fois, Brown le remet en prison, ce qui lui occasionne encore quelques dépenses. Joe s’enfuit de nouveau le 25 janvier de l’année suivante. et Brown débourse 10 « chelins » pour récompenser ceux qui l’ont attrapé. Quelques jours avant la Noël de 1778, nouvelle désertion. Cette fois Brown ne se contente pas de mettre Joe en prison, il le fait fouetter par le bourreau, ce qui augmente les frais. En avril 1779, Joe se sauve après avoir volé une petite somme à son maître qui doit encore payer pour le retrouver. Joe reprend la clé des champs en septembre et on le retrouve à bord d’un navire en partance. Brown, qui en a sans doute assez, tente sans succès de vendre son esclave ; la réputation de Joe est connue, son nom apparaissant régulièrement dans la Gazette comme voleur ou fugitif. À la fin de 1785, nouvelle fugue de Joe et nouveau débours de Brown. Le 18 février suivant, le Noir, alors en prison, s’évade en compagnie du criminel John Peters. Le shérif offre £5 de récompense pour retrouver chacun des fugitifs ; Brown promet trois guinées à qui retrouvera son « presseur » que la Gazette de Québec du 4 mai décrit ainsi : « âgé de vint six ans, haut d’environ 5 pieds 7 pouces, un peu picoté, a[yant] plusieurs cicatrices sur les jambes, parl[ant] fluement François & Anglois ». Joe revient chez Brown au mois de juin et semble s’assagir. En 1788, toutefois, il vole de l’eau-de-vie que son propriétaire doit rembourser. Pour l’encourager dans la bonne voie, Brown lui donne de l’argent de poche chaque semaine.

On ne doit pas se surprendre de l’entêtement de Brown à retrouver Joe ; ce « bois d’ébène » (comme on appelait les esclaves noirs à l’époque) coûte cher, en moyenne £40 à £50, soit le double du prix d’un esclave indien. C’est une marchandise rare ; aucun négrier ne venant approvisionner le pays, on doit se procurer ces esclaves soit dans les colonies américaines, soit par l’intermédiaire de marchands qui font le commerce avec les Antilles ou quelquefois la Guinée. Les Noirs sont peut-être aussi plus efficaces puisque plusieurs apprennent un métier tandis que les Indiens se contentent d’être serviteurs ou canotiers.

Si l’on se reporte au contexte de l’époque, Joe n’est pas si mal chez Brown. Les livres de dépenses de l’imprimeur nous apprennent qu’il ne lésine ni sur la nourriture ni sur le vêtement pour son esclave. Les chaussures surtout lui coûtent fort cher ; ceci n’a rien d’étonnant quand on songe aux nombreuses escapades du Noir. En outre, Joe reçoit un cadeau en argent à chaque Nouvel An. Durant le siège de Québec à l’hiver de 1775–1776, Brown, enrôlé dans la milice, fait parfois remplacer par Joe lors de son tour de garde et lui donne un shilling en guise de récompense. Mais la grande chance du Noir consiste surtout en ce que son maître se charge lui-même de le punir de ses forfaits en lui faisant goûter à la prison ou air fouet du bourreau. L’eût-il livré à la justice, Joe aurait pu être pendu dès son premier vol, puisqu’à l’époque un tel crime mérite la potence, et ceci tout aussi bien pour un homme libre que pour un esclave. Égaux devant la justice canadienne. tous deux comparaissent en effet devant les mêmes juges, peuvent en appeler à une cour supérieure et sont sujets aux mêmes châtiments.

À la mort de Brown, à la fin de mars 1789, Joe devient par testament la propriété de Samuel Neilson. Il s’évade encore une fois au mois d’août. Fort de l’expérience de son oncle, Neilson n’insiste pas ; bien que ses maîtres le traitent avec humanité, Joe, de toute évidence, préfère la liberté. On perd toute trace de l’esclave à partir de ce moment.

Thérèse P. Lemay

Les volumes 47, 57, 59, 101–103 de la collection Neilson déposée aux APC (MG 24, B1) contiennent plusieurs références concernant les dépenses faites pour l’esclave Joe par les imprimeurs Thomas Gilmore et, en particulier. William Brown. En outre, de 1777 à 1789, la Gazette de Québec. alors propriété de Brown. a publié de nombreuses annonces, souvent reprises dans la Gazette de Montréal, se rapportant à la vente ou aux fuites de Joe.  [t. p. l.]

M. Trudel. L’esclavage au Canada français.— Hubert Neilson. Slavery in old Canada before and after the conquest. Literary and Hist. Soc. of Québec, Trans., nouv. sér.. 26 (1905) : 19–45.

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Thérèse P. Lemay, « JOE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 23 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/joe_4F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1980
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