HEWITT, JOHN, tonnelier, dirigeant syndical, fonctionnaire et éditeur d’un journal, né le 10 décembre 1843 dans le comté de Limerick (république d’Irlande), fils de William Hewitt, cordonnier, et de Jane Hicks (Hincks) ; le 9 novembre 1876, il épousa à Toronto Elizabeth Thompson, et ils eurent trois fils et une fille ; décédé dans cette ville le 14 mars 1911.

La famille Hewitt quitta l’Irlande en 1847 et s’installa à Toronto, où John apprit le métier de tonnelier au début des années 1860. Il participa à la résistance contre les raids féniens de 1866 [V. Alfred Booker*] et resterait toujours lié à la Veterans « 66 » Association. Élevé dans la religion anglicane, il appartiendrait à l’Orange Lodge No. 212 et à l’Ancient Order United Workmen.

À la fin des années 1860, Hewitt travailla trois ans à New York, ce qui lui donna une précieuse expérience du mouvement syndical. En 1868, il fut délégué au National Labor Union, où on l’élut adjoint de William J. Jessup, secrétaire d’administration du Workingmen’s Union of New York City et correspondant du conseil général de l’International Workingmen’s Association. Au contact de Jessup, du National Labor Union et du tout nouveau syndicat des tonneliers, le Coopers’ International Union of North America, Hewitt acquit des idées fécondes sur la réforme ouvrière.

De retour à Toronto, Hewitt aida à organiser l’assemblée locale no 3 du Coopers’ International Union et en devint secrétaire. Au cours d’une séance tenue en 1870 à Baltimore, les délégués de ce syndicat international le choisirent comme organisateur au Canada. Durant toute l’année 1871, il parcourut l’Ontario afin de syndiquer les tonneliers ; l’année suivante, il accéda à l’une des vice-présidences du Coopers’ International Union. En février 1871, l’assemblée locale no 3 avait nommé Hewitt, E. S. Gooch et James Judge à un comité dont le mandat était de rencontrer d’autres syndicats et sociétés à Toronto en vue de créer une centrale. Le 12 avril, les délégués se réunirent au Moulders’ Union Hall (dans les immeubles de la Compagnie d’assurance de l’Ouest à l’intersection des rues Colborne et Church) et fondèrent la Toronto Trades Assembly. Idéologue en pleine ascension, Hewitt en fut le premier président ; il en serait par la suite secrétaire d’administration.

Quelques mois après sa formation, la Toronto Trades Assembly s’associa au mouvement en faveur de la journée de neuf heures [V. James A. Ryan*]. Le 15 avril 1872, à l’occasion d’un rassemblement à Toronto, Hewitt affirma qu’il fallait diminuer les heures de travail « pour donner aux ouvriers la chance de s’améliorer intellectuellement et physiquement ». En outre, il donna l’impulsion au journal coopératif Ontario Workman, qui parut pour la première fois le 18 avril. Le mois suivant, à Hamilton, il représenta la Toronto Trades Assembly à un important congrès qui, comme la Canadian Labor Protective and Mutual Improvement Association, avait pour objectif de consolider les gains ouvriers. Cet été-là, les dirigeants syndicaux de Toronto, dont Hewitt et son confrère orangiste Edward Frederick Clarke, firent campagne pour les conservateurs aux élections fédérales [V. James Beaty*]. En inspirant de l’expérience acquise dans le mouvement syndical américain, où il avait été impressionné par la réforme monétaire, Hewitt devint le premier chef syndical canadien à reprendre les arguments des populistes tories en faveur des tarifs protecteurs.

Le déclin du métier exercé par Hewitt eut une forte incidence sur ses idées à propos des classes sociales, et sans doute sur une grande partie de son activité. À Toronto, à la distillerie de la Gooderham and Worts, où il travaillait [V. George Gooderham*], c’était l’assemblée locale no 3 qui dictait les heures de travail et les salaires. En mars 1872, soit au moment où elle était à son apogée, ses 96 membres régentaient totalement la pratique du métier de tonnelier dans la ville. Cependant, elle subit un dur revers le mois suivant. Selon Hewitt, l’emploi de briseurs de grève à la distillerie entraîna une forte réduction des salaires. Cette offensive de l’employeur, ajoutée à la mécanisation de la production et à la crise économique, ferait disparaître l’assemblée locale dès le milieu de la décennie. En décembre 1872, dans le Coopers’ Journal, Hewitt déclara que la « machinerie économisant la main-d’œuvre » serait plus justement appelée « machinerie remplaçant la main-d’œuvre ».

Hewitt continua de promouvoir des réformes en publiant des lettres dans l’Ontario Workman. Comme la source de la richesse était la main-d’œuvre, écrivait-il en mars 1873, « nul n’a davantage droit à celle qui est produite que ceux qui l’ont produite ». Il préconisait l’élimination du cens électoral et, pour corriger les inégalités sociales, proposait un système coopératif sous lequel, « avec le temps, tous les systèmes injustes qui donnent à l’homme un avantage indu sur l’homme cesser[aient] nécessairement d’exister ». De plus, il travaillait toujours au regroupement des syndicats. En septembre, la Toronto Trades Assembly tint un congrès à Toronto en vue de créer un organisme national. Bien que seuls des délégués ontariens y aient participé, ce congrès se prononça en faveur de la fondation d’un organisme permanent, le Canadian Labor Union. Hewitt en fut élu secrétaire (John W. Carter accéda à la présidence et Daniel John O’Donoghue*, au poste de premier vice-président) et devint également membre du comité des statuts et règlements. À ce double titre, il encouragea l’opposition au régime gouvernemental d’immigration assistée. Il n’était pas du tout d’accord pour que l’on subventionne la venue d’ouvriers étrangers qui viendraient concurrencer la main-d’œuvre canadienne.

À compter de 1873, la Toronto Trades Assembly exerça une grande influence sur les questions du travail, par exemple l’emploi de main-d’œuvre carcérale et la révocation de l’Acte pour amender la loi criminelle relative à la violence, aux menaces et à la molestation, qui avait été adopté en 1872 et qui semblait interdire les piquets de grève et autres formes de protestation ouvrière. Cependant, la participation de Hewitt diminua. Conservateur bien connu dans le quartier St David, où il habitait, il obtint par faveur en 1873 un poste de commis au nouveau service des eaux de Toronto. En février 1874, il démissionna officiellement de la Toronto Trades Assembly. Toutefois, il témoigna en 1889 devant la commission royale d’enquête sur les relations entre le capital et le travail au Canada. Interrogé par ses anciens alliés syndicaux John Armstrong* et Samuel R. Heakes, il réaffirma alors ses positions sur les heures de travail, la coopération et les monopoles.

Après avoir quitté la Toronto Trades Assembly, Hewitt se rapprocha des orangistes et des conservateurs. De 1877 à 1879, il fut, avec Edward Frederick Clarke, corédacteur et copropriétaire de l’influent périodique de l’ordre d’Orange, le Sentinel and Orange and Protestant Advocate. Il fut maître de sa loge, fut affilié un temps à une association d’élite, les Royal Black Knights of Ireland, et, en 1898–1899, fut maître de comté au sein de l’ordre. Pendant ses cinq dernières années, il occupa le poste rémunéré de trésorier de la Provincial Grand Lodge of Ontario West. Il fit également de l’action politique. Ainsi, il contribua de près à l’inscription d’un représentant ouvrier (Clarke) sur la liste des candidats tories dans Toronto aux élections provinciales de 1886 et, aux élections fédérales de 1896, il fut l’un des dirigeants de la campagne au terme de laquelle John Ross Robertson remporta la victoire dans Toronto East. Au moment de sa mort en 1911, il était commis en chef au service de perception de la taxe sur l’eau. Décédé chez lui, rue Seaton, il fut inhumé au cimetière Mount Pleasant après des obsèques à l’église congrégationaliste Bond Street.

À compter de 1873, la carrière de John Hewitt avait ressemblé à celle de nombreux fonctionnaires tories, mais, jeune homme, il avait joué un rôle marquant dans le syndicalisme naissant et dans la fondation de deux organismes d’une importance capitale, la Toronto Trades Assembly et le Canadian Labor Union. À cette époque du moins, il croyait en ceci : « nous avons vu déjà poindre le jour de la Coopération » car « le progrès du mouvement ouvrier ne peut conduire qu’à un seul résultat, à savoir la justice et l’égalité des droits pour tous les hommes ».

Gregory S. Kealey et Christina Burr

AN, RG 31, C1, Toronto, 1871, St David’s Ward, div. 1 : 8s. ; 1901, Ward 2, div. 22 : 9 (mfm aux AO).— AO, RG 80-2-0-105, no 37264 ; RG 80-5-0-70, no 12955.— DBC, Dossier Eugene Forsey.— Mount Pleasant Cemetery (Toronto), Tombstone inscription.— Evening Telegram (Toronto), 15 mars 1911.— Globe, 15 mars 1911.— Ontario Workman (Toronto), 1872–1874.— Sentinel and Orange and Protestant Advocate (Toronto), 1877–1911.— Trades Union Advocate (Toronto), 11 janv. 1883.— John Battye, « The nine hour pioneers : the genesis of the Canadian labour movement », le Travailleur (Halifax), 4 (1979) : 25–56.— Canada investigates industrialism : the royal commission on the relations of labor and capital, 1889 (abridged), G. [S.] Kealey, édit. (Toronto et Buffalo, N.Y., 1973).— Canadian Labor Union, Proceedings of the Canadian Labor Union congresses, 1873–77, L. E. Wismer, compil. (Ottawa, 1951).— Coopers’ International Union of North America, Proc. (Cleveland, Ohio), 1871–1873.— Coopers’ Journal (Cleveland), 1870–1874.— Dict. of Toronto printers (Hulse).— Eugene Forsey, Trade unions in Canada, 1812–1902 (Toronto, 1982).— G. S. Kealey, Toronto workers respond to industrial capitalism, 1867–1892 (Toronto, 1980 ; réimpr., 1991).— David Montgomery, Beyond equality : labor and the radical Republicans, 1862–1872 (New York, 1967 ; réimpr., Urbana, Ill., 1981).

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Gregory S. Kealey et Christina Burr, « HEWITT, JOHN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/hewitt_john_14F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
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