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HENEKER, RICHARD WILLIAM, homme d’affaires et homme politique, né le 2 mai 1823 à Dublin ; en 1856, il épousa en Angleterre Elizabeth Tuson, et ils eurent trois fils ; décédé le 15 août 1912 à Bournemouth, Angleterre.
Richard William Heneker fréquenta la University College School de Londres. Il étudia l’architecture en suivant des cours privés, semble-t-il, et entra à l’âge de 19 ans au bureau de Charles Barry, architecte des édifices du Parlement de Westminster (Londres). Après avoir travaillé chez Barry jusqu’à la fin des années 1840, il s’établit à son compte. En plusieurs occasions, il exposa des dessins à la Royal Academy of Arts ; en 1846, à un concours, il y remporta le deuxième prix pour l’esquisse d’une gare de chemin de fer. Au début des années 1850, il était membre associé du Royal Institute of British Architects et avait un bureau avec un collègue, Frederick Lawford.
En 1854, la firme Heneker and Lawford exposait encore des esquisses à la Royal Academy. Rien ne laissait deviner que Heneker entamerait bientôt une carrière d’homme d’affaires au Canada. Aucun indice n’explique non plus comment un architecte en vint à exercer tant d’influence à la British American Land Company. Propriétaire d’une bonne partie des terres des Cantons-de-l’Est du Bas-Canada, cette compagnie avait été fondée dans les années 1830 par un groupe dont faisait partie John Galt*. Son fils Alexander Tilloch* en fut commissaire de 1844 à 1856. Installé à Sherbrooke, le commissaire était le principal représentant de la compagnie en Amérique du Nord et, par le fait même, l’un des plus puissants personnages des Cantons-de-l’Est. En 1855, Galt manifesta le désir de se consacrer exclusivement à sa carrière politique et à ses affaires personnelles. Puis il se laissa convaincre de rester encore un an à la compagnie ; Heneker fut alors nommé commissaire adjoint. À la démission de Galt en 1856, Heneker accéda au poste de commissaire, qu’il occuperait jusqu’en 1902.
En se rendant à Sherbrooke en 1855, Heneker s’était arrêté à Lowell, au Massachusetts. Peut-être l’avait-on informé qu’il pourrait tirer de cette visite des leçons utiles à l’exercice de ses nouvelles fonctions. La coopération entre les diverses entreprises qui utilisaient la même source d’énergie hydraulique l’impressionna particulièrement. Elle était possible, nota-t-il, parce que « beaucoup de gens dét[enaient] des actions de chacune des compagnies ». En fin de compte, lui-même acquerrait de l’ascendant au sein du milieu des affaires de Sherbrooke en jouant un rôle important dans diverses entreprises. On peut d’ailleurs avancer qu’il parvenait à ses fins justement à cause de cette sorte d’ubiquité. Ainsi, en 1866, il profita du fait qu’il était à la fois commissaire de la British American Land Company et propriétaire de facto de la principale source d’énergie hydraulique de Sherbrooke pour obtenir la création de la A. Paton and Company (rebaptisée en 1868 Compagnie manufacturière Paton de Sherbrooke). Cette usine de lainages serait le principal employeur de la ville pendant une bonne partie de la fin du xixe siècle [V. Andrew Paton*]. Heneker en serait président jusqu’en 1902. De même, il figura en 1859 parmi les fondateurs de la Banque des Townships de l’Est. En 1874, il était président de la banque et, à ce titre, il aidait au besoin l’usine de lainages. De 1892 à 1902, il fut aussi président de la Sherbrooke Gas and Water Company, qui avait loué, de la British American Land Company, des propriétés situées en bordure des plus grosses chutes de la ville. La multiplicité des rôles de Heneker était telle que, en 1888, en comparaissant devant la Commission royale d’enquête sur les relations entre le capital et le travail au Canada, il se présenta ainsi : « gentleman ou banquier, comme il vous plaira. J’ai, si je puis me permettre cette expression, un nombre varié d’occupations. »
Cette réponse déplut aux supérieurs de Heneker à la British American Land Company. Même s’il avait présidé à la réduction des propriétés de l’entreprise à Sherbrooke (celles-ci étaient passées de 1 200 acres en 1857 à 607 acres en 1884), les administrateurs londoniens s’inquiétaient : Heneker préférait investir dans les propriétés sherbrookoises au lieu de les vendre. Ils restreignirent donc ses pouvoirs de promoteur immobilier et lui ordonnèrent de se consacrer à la liquidation des avoirs de la société.
Par ailleurs, Heneker participait pleinement à la vie sociale de la population anglophone et protestante des Cantons-de-l’Est. À son arrivée, les anglophones étaient majoritaires tant à Sherbrooke que dans la région environnante. Il ne ménagea aucun effort pour maintenir la vitalité de ce groupe et se dépensa particulièrement dans le secteur de l’éducation. Entré en 1859 au conseil d’administration du Bishop’s College de Lennoxville, il devint vice-chancelier et président du conseil en 1875 ; de 1878 à 1900, il fut chancelier. En outre, il fut membre associé (non votant) du comité protestant du Conseil de l’instruction publique de 1876 à 1881, membre ordinaire de 1881 à 1900, puis président du comité de 1892 à 1900. Actif à divers titres au sein de l’Église d’Angleterre, surtout en tant que délégué à des synodes diocésains, provinciaux et généraux, il dirigea la campagne en vue de l’établissement de l’hôpital protestant de Sherbrooke, dont il fut également le premier président de 1888 à 1902. De plus, il prêta son concours à plusieurs sociétés de colonisation qui recrutaient des colons de langue anglaise pour les Cantons-de-l’Est.
Heneker n’eut pas une carrière politique impressionnante, mais là aussi, il défendit les intérêts de la population anglophone. Après avoir fait campagne comme conservateur indépendant dans la circonscription de Sherbrooke aux élections provinciales de 1867 il fut battu par Joseph Gibb Robertson*, mais il prit sa revanche l’année suivante en lui succédant à la mairie de Sherbrooke. Les conseillers municipaux choisissaient le maire dans leurs rangs, et Heneker, qui appartint au conseil municipal en 1867–1868 puis de 1876 à 1882, fut élu à nouveau pour un an en 1877. Cette fois, son élection souleva des inquiétudes parmi les Canadiens français car, l’année précédente, il avait déclaré que la majorité francophone ne devrait pas avoir droit à la majorité des sièges au conseil puisqu’elle détenait seulement un quart des propriétés de la ville.
Pendant près d’un demi-siècle, Richard William Heneker poursuivit deux objectifs : bâtir une économie régionale contrôlée par des résidents des Cantons-de-l’Est et préserver l’influence de la population anglophone. En 1902, quand il quitta le Canada, aucun de ces buts n’était atteint. Lui-même et un petit groupe d’hommes d’affaires locaux avaient tenté de mettre leurs ressources en commun pour créer une économie dont ils seraient les maîtres. Ils appartenaient à une bourgeoisie régionale, mais la grande bourgeoisie montréalaise, dont l’emprise s’étendait de plus en plus, étouffait leurs ambitions, comme celles des bourgeois d’autres régions du Canada à la fin du xixe siècle. Heneker vit donc l’usine de lainages passer aux mains d’intérêts montréalais dominés par George Stephen* et, même si la Banque des Townships de l’Est continua d’appartenir à des intérêts locaux jusqu’en 1912, il put constater que les établissements bancaires plus importants, qui lui livraient une concurrence de plus en plus farouche, grignotaient ses profits. La population anglophone déclina en même temps que l’économie locale : dès 1902, elle était minoritaire. Quand Heneker se retira en Angleterre, il quitta donc une région bien différente de celle qu’il avait tenté de bâtir au cours de ses premières décennies au Canada.
AN, MG 24, 154 ; MG 30, C128, 5.— Bishop’s Univ. Arch. and Special Coll. (Lennoxville, Québec), Corporation minutes ; Trustees’ minutes.— CIBC [Canadian Imperial Bank of Commerce] Arch. (Toronto), RG 4 (Eastern Townships Bank), board of directors, minutes.— Cleyn and Tinker Company Arch. (Huntingdon, Québec), Paton Manufacturing Company papers.— Canada, Commission royale sur les relations du travail avec le capital au Canada, Rapport (5 vol. en 6 vol., Ottawa, 1889), 4, 2e part..— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1898 et 1912).— Algernon Graves, The Royal Academy of Arts [...] (8 vol., Londres, 1905–1906 ; réimpr. en 4 vol., East Ardsley, Angleterre, 1970).— J. I. Little, Nationalism, capitalism, and colonization in nineteenth-century Quebec : the upper St Francis District (Kingston, Ontario, 1989) ; « Watching the frontier disappear : English-speaking reaction to French-Canadian colonization in the Eastern Townships, 1844–90 », REC, 15 (1980–1981), no 4 : 93–111.— Québec, Parl., Doc. de la session, 1890–1901, rapports du surintendant de l’Instruction publique, 1888–1900.— Ronald Rudin, « The Megantic outlaw and his times : ethnic tensions in Quebec in the 1880s », Études ethniques du Canada (Calgary), 18 (1986), no 1 : 16–31 ; « Naissance et Déclin d’une élite locale : la Banque des Cantons de l’Est, 1859–1912 », Rev. d’hist. de l’Amérique française (Montréal), 38 (1984–1985) : 165–179 ; « The transformation of the Eastern Townships of Richard William Heneker, 1855–1902 », REC, 19 (1984–1985), no 3 : 32–49.
Ronald Rudin, « HENEKER, RICHARD WILLIAM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/heneker_richard_william_14F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/heneker_richard_william_14F.html |
Auteur de l'article: | Ronald Rudin |
Titre de l'article: | HENEKER, RICHARD WILLIAM |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |