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HARDISTY, ISABELLA CLARK (Clarke) (Lougheed, lady Lougheed), femme du monde influente et mécène, née probablement le 18 avril 1861 au fort Resolution (Fort Resolution, Territoires du Nord-Ouest), fille de William Lucas Hardisty* et de Mary Anne (Ann) Allen, nièce de Richard Charles Hardisty* et, par alliance, de Donald Alexander Smith* ; le 16 septembre 1884, elle épousa au fort Calgary (Calgary) James Alexander Lougheed*, et ils eurent quatre fils et deux filles ; grand-mère du premier ministre de l’Alberta Edgar Peter Lougheed* ; décédée le 13 mars 1936 à Calgary.
Le père d’Isabella Clark Hardisty travailla toute sa vie pour la Hudson’s Bay Company ; il fut agent principal du district du fleuve Mackenzie en fin de carrière, de 1868 jusqu’à sa retraite dix ans plus tard. Sa mère naquit dans le district de la Colombie, probablement au fort Vancouver (Vancouver, Washington), mais, devenue orpheline, elle fut élevée dans les territoires de traite nordiques. Ils avaient tous deux des ancêtres autochtones et européens.
Mlle Hardisty, qu’on appelait Belle ou Bella, vécut à la maison jusqu’à l’âge de six ans environ, avant de partir étudier à l’école de Mathilda Davis* à St Andrews (Manitoba). Elle se rappellerait le long voyage qu’il fallut faire en bateau York, à pied et par voie de terre en chariot couvert pour y parvenir. En cours de route, elle attrapa la scarlatine et, après quelques mois à St Andrews, elle passa sa convalescence chez ses grands-parents paternels, Richard et Marguerite (Margaret) Hardisty, à Lachine (Montréal). Entre 1868 et 1875, Belle fréquenta le Wesleyan Female College à Hamilton, en Ontario, où le programme d’enseignement mettait un accent particulier sur les arts ; elle y reçut un bon enseignement général et apprit de plus la peinture, le piano et l’orgue [V. Robert Steele Ambrose*], champs d’intérêt qu’elle cultiverait toute sa vie. Après son départ du collège, elle rejoignit sa famille dans le Nord-Ouest. Même si la vie y était souvent dure, elle garda d’agréables souvenirs de ses années là-bas et partagerait avec un journaliste ses souvenirs du « merveilleux » fleuve Mackenzie. L’éducation nordique de sa mère servit bien à la famille quand celle-ci dut survivre durant sept mois au fort Rae (Old Fort Rae, Territoires du Nord-Ouest) avec 50 livres de farine et le corégone pêché dans le Grand lac des Esclaves.
Lorsque William Lucas Hardisty prit sa retraite, il emmena d’abord sa famille à Winnipeg – où les Hardisty passèrent l’hiver avec Smith et sa femme –, puis à Lachine. En 1883, deux ans après la mort de son père, Belle rendit visite à son oncle Richard Charles au fort Calgary ; elle y rencontra l’avocat James Alexander Lougheed, arrivé lui aussi depuis peu dans le hameau. De toute évidence, ils firent connaissance à l’église méthodiste, où elle jouait de l’orgue et où il supervisait l’école du dimanche. Le couple se maria en 1884 et emménagea dans une petite maison, ancien magasin de confection que James Alexander rafraîchit en installant la première fenêtre en baie de la communauté.
La presse locale documente l’apport de Mme Lougheed à la vie sociale de Calgary tout au long de la transformation de la petite colonie en un centre commercial et politique influent dans l’Ouest, ainsi que son ascension au rang d’hôtesse la plus en vue de la ville, en particulier après la nomination de son mari au Sénat en 1889. Elle fut présidente de la Ladies’ Aid de l’église méthodiste et trésorière de la Women’s Hospital Aid Society en 1890. Cinq ans plus tard, à l’occasion d’un rassemblement public auquel participaient lady Aberdeen [Marjoribanks] et d’autres dignitaires, elle proposa la création d’une section locale du National Council of Women of Canada ; elle fit ensuite partie de son comité directeur et fut vice-présidente de la section albertaine de l’organisme de 1896 à 1898. En 1909, elle devint la première présidente de la section de Calgary du Victorian Order of Nurses for Canada et, la même année, contribua à la création du Colonel Macleod Chapter de l’Imperial Order Daughters of the Empire, dont elle accepta la vice-régence. La première réunion de la section et bien d’autres se tinrent chez elle, et elle resterait présidente honoraire de l’Imperial Order Daughters of the Empire jusqu’à sa mort. Dans ces entreprises, elle travailla avec des femmes qui partageaient ses idées, comme son amie Jean Anne Pinkham [Drever], femme de l’évêque anglican de Calgary.
Mme Lougheed adhérait au mouvement City Beautiful [V. John Seabury Pearce*], qui déferla sur l’Ouest à la fin des années 1800 et au début des années 1900. Grâce aux succès financiers de James Alexander, le couple put construire un vaste manoir en 1891–1892, qu’il nomma Beaulieu (qui serait aussi connu sous le nom de Lougheed House et désigné lieu historique national). La résidence, avec ses jardins aménagés, accueillit des membres de la famille royale et d’autres figures importantes. Les journaux décrivirent souvent, avec maints détails, Beaulieu et ses visiteurs, qui attirèrent l’attention du pays et nourrirent l’image d’un nouvel Ouest raffiné. En 1911, les Lougheed reçurent la violoniste virtuose de réputation internationale Mary Kathleen Parlow* lorsqu’elle retourna dans sa ville natale au cours d’une tournée nord-américaine.
L’année suivante, la visite à Calgary du duc de Connaught [Arthur*], alors gouverneur général, de sa femme et de leur fille témoigna des aptitudes sociales de Mme Lougheed. Comme le rapporta le Calgary News Telegram, « contrairement à la coutume », le couple vice-royal, qui resta à Beaulieu, « demanda que ses hôte et hôtesse ne quittent pas leur demeure durant le séjour royal ». En 1919, les Lougheed donnèrent une somptueuse réception en plein air en l’honneur du prince de Galles à l’occasion de sa première visite au Canada. Quand ce dernier revint avec son jeune frère, le prince Albert, en 1927, Mme Lougheed fut, tout comme la femme d’Edmund Taylor, associé de longue date de James Alexander, l’une des deux hôtesses qui les reçurent à dîner. La presse locale rapporta que sa fille, mariée, Dorothy Isabel (Isabelle) Hussey, était une des « partenaires de danse favorites » du prince de Galles lorsqu’il venait à Calgary.
Beaucoup de femmes de la haute société de Calgary possédaient des maisons de campagne à Banff, où elles se rendaient régulièrement, et Mme Lougheed ne faisait pas exception. Le Crag and Canyon de Banff annonçait souvent sa venue ; en juin 1919, il rapporta que lady Lougheed (son mari était chevalier depuis trois ans) arrivait pour « ouvrir sa résidence de Banff pour la saison ». Au cours d’une de ces visites, elle et ses fils Clarence Hardisty et Norman Alexander causèrent un certain émoi. Au retour du sénateur à Ottawa, ils firent fi de ses conseils et partirent à Banff en automobile avec leurs invités. Leur arrivée triomphale dans la première voiture à entrer dans le parc national autour de la ville fut toutefois rapidement freinée quand on saisit leur véhicule, conformément aux règlements du parc qui interdisaient l’accès aux voitures. Non déconcerté, le groupe passa la journée dans le parc avant de récupérer l’automobile et de rentrer à la maison. Mme Lougheed accompagna également souvent son mari dans ses déplacements à l’étranger liés à l’exercice de ses fonctions officielles. Après l’un de ces voyages, en 1923, elle confia au Morning Albertan qu’elle avait passé « un moment absolument délicieux à Paris » et parla du « beau bois de Boulogne et des superbes boutiques qu’ils avaient visitées ». « [Rome est] tout simplement merveilleuse […] J’aimerais y passer le reste de ma vie », dit-elle d’un ton songeur. Toutefois, une visite à Naples lui laissa une « impression de saleté et d’effroyable pauvreté ».
Suffisamment influencé par le caractère sociable de sa femme et par son amour de la musique, du théâtre et de la danse, James Alexander mit de côté quelques aspects de son éducation méthodiste stricte. Le couple fonda le Sherman Grand Theatre, salle de 1 500 places, qui ouvrit ses portes le 5 février 1912 dans un immeuble de bureaux que Lougheed avait construit. En janvier suivant, on y lança l’Orchestre symphonique de Calgary, dont Mme Lougheed fut membre fondatrice et, jusqu’à sa mort, présidente honoraire. La famille Lougheed gardait une loge au Sherman Grand Theatre, où Mme Lougheed assistait régulièrement à des événements (musicaux et autres). Là, en octobre 1912, dans un numéro de vaudeville des adolescents Fred et Adele Astaire, le public calgarien découvrit le tango.
Diplomate accomplie, Mme Lougheed accepta divers rôles, mais se prononça peu sur l’activisme politique ou féministe. Cependant, en 1909, lorsque la ville de Calgary proposa un règlement pour interdire aux femmes de voter aux élections municipales, elle affirma au Morning Albertan : « Je pense évidemment que les femmes mariées devraient avoir le droit de voter. J’ose croire que toute personne impartiale partage ce sentiment. J’ai toujours voté et je n’aimerais pas du tout renoncer à ce privilège. Ce ne serait pas juste. »
Lady Lougheed reconnaissait l’importance des premiers colons du Nord-Ouest et fut la première présidente de la Women’s Pioneer Association of Southern Alberta, fondée en 1922. Elle vivait toutefois à une époque où les frontières raciales devenaient de plus en plus étanches dans l’Ouest et, même si les journaux et les magazines rapportaient en détail ses activités, peu d’éléments semblent indiquer qu’elle s’identifiait aux femmes sang-mêlé. L’élite sociale à laquelle elle appartenait connaissait assurément ses origines autochtones. Comme l’écrivit Sylvester Clark Long, journaliste d’ascendance mixte qui se faisait appeler Chief Buffalo Child Long Lance, dans le Mentor en 1924, « [c]ertains des meilleurs citoyens de l’Ouest canadien sont d’origine écossaise ou indienne. Lady Lougheed, épouse de sir James Lougheed, ministre de l’Intérieur, est sang-mêlé. » Mais Mme Lougheed savait parfaitement comment préserver sa réputation et se tenir à l’écart des sujets controversés comme le métissage et le racisme.
Après la mort de son mari, en 1925, Isabella Clark Lougheed resta à Beaulieu. On reconnut sa contribution à la communauté de nombreuses manières. La ville posa un geste des plus significatifs en lui permettant de demeurer chez elle, jusqu’à la fin de sa vie, même si, en 1934, elle avait acquis le domaine pour non-paiement des taxes. En effet, la baisse de la valeur des propriétés durant les années 1920 avait décimé la fortune du couple, et le patrimoine du père de lady Lougheed avait été dilapidé par ses frères et sœurs. Grâce à la décision de la municipalité, Mme Lougheed continua de jouer son rôle de première dame de l’Ouest et de recevoir des invités pour divers événements, comme les célébrations du Nouvel An quelques mois à peine avant sa mort, en mars 1936. Son service funéraire à la Pro-Cathedral Church of the Redeemer attira des centaines de personnes qui vinrent honorer la mémoire de cette pionnière de Calgary.
À Edmonton, en 2017, nous avons publié le livre intitulé Metis pioneers : Marie Rose Delorme Smith and Isabella Clarke Hardisty Lougheed.
AM, Matilda Davis School coll., box 2, file 2 (notebook) ; HBCA, Biog. sheets, Hardisty, William Lucas.— GA, M 729 (George and John McDougall family fonds), file 74 ; M 2465, file 7A ; M 4843-13-14 ; M 5908, file 1489.— Lougheed House, Arch. & Coll. (Calgary), Jennifer Bobrovitz file ; Lougheed family Bible ; Donald Smith coll.— Albertan (Calgary), 14, 17 mars, 14 nov. 1936.— Calgary Herald, 17 sept. 1884 ; 29 nov. 1895 ; 21 mars, 5 oct. 1912 ; 15 sept. 1919 ; 13 août 1927 ; 17 déc. 1932 ; 13–14 mars 1936.— Calgary News Telegram, 7 févr., 4 sept. 1912.— Calgary Tribune, 30 nov. 1895.— Calgary Weekly Herald and Alberta Livestock Journal, 6 janv. 1892.— Globe, 17 oct. 1891.— Morning Albertan (Calgary), 21 oct. 1907, 28 oct. 1909, 3 mai 1923.— E. B. Price, « Alberta’s women pioneers will form organization », Calgary Herald, 21 mars 1922 : A1–A2.— Canadian Women’s Press Club, Calgary Branch, The Calgary Club woman’s blue book (Calgary, 1915).— Central United Church, Calgary, They gathered at the river, 1875–1975, J. F. Perry, édit. (Calgary, 1975).— Madeleine Johnson, « Lady Isabella Lougheed » (texte dactylographié, 1996 ; exemplaire à la Lougheed House, Arch. & Coll.).— Buffalo Child Long Lance [S. C. Long], « Indians of the northwest and west Canada », Mentor (New York), 12, 2 (mars 1924) : 1–40.— Marjorie Norris, A leaven of ladies : a history of the Calgary Local Council of Women (Calgary, 1995).— [E. B. Price], « Canadian women in the public eye : Lady Lougheed », Saturday Night, 16 sept. 1922 : 27.— D. B. Smith, Calgary’s Grand story : the making of a prairie metropolis from the viewpoint of two heritage buildings (Calgary, 2005).— Wesleyan Female College, Annual catalogue (Hamilton, Ontario), 8 (1868–1869)–14 (1874–1875).
Doris Jeanne MacKinnon, « HARDISTY, ISABELLA CLARK (CLARKE) (Lougheed, lady Lougheed) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/hardisty_isabella_clarke_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/hardisty_isabella_clarke_16F.html |
Auteur de l'article: | Doris Jeanne MacKinnon |
Titre de l'article: | HARDISTY, ISABELLA CLARK (CLARKE) (Lougheed, lady Lougheed) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2019 |
Année de la révision: | 2019 |
Date de consultation: | 21 déc. 2024 |