GRACE, THOMAS, dit père James, prêtre et capucin, né en décembre 1755 à Knocktopher (république d’Irlande), fils de Richard Grace et d’Elizabeth O’Neil ; décédé le 2 mars 1827 à Halifax.

Thomas Grace fit ses études au monastère capucin de Bar-sur-Aube, en France, et il entra dans cette communauté le 25 juillet 1774. Ordonné prêtre à Bordeaux, en 1777, il retourna ensuite en Irlande où il exerça durant plusieurs années son ministère à Callan, puis sans doute en d’autres endroits. En 1789, on le nomma missionnaire en Nouvelle-Écosse, sous l’autorité du supérieur des missions dans cette colonie, le père James Jones*, capucin lui aussi. Voyageant via Terre-Neuve, Grace arriva à Halifax au début de 1790 et fut affecté à la mission de la baie St Mary.

La tâche d’un missionnaire en Nouvelle-Ecosse exigeait tant de qualités qu’il était presque impossible de les trouver toutes chez un même homme. Étant donné que la plupart des catholiques de la colonie disposaient de peu d’argent et ne pouvaient se payer de superflu, le prêtre devait avoir recours à une aide extérieure ou se suffire à lui-même. Mais la débrouillardise nécessaire pour survivre consistait non seulement à apprendre à subvenir à ses besoins sans le secours financier des fidèles, mais aussi à exercer trente-six métiers, à agir avec le tact d’un diplomate et à parler couramment plusieurs langues. Un missionnaire en Nouvelle-Écosse devait donc pouvoir travailler le bois, faire la cuisine, se frayer un chemin en forêt, manœuvrer une embarcation, pratiquer la médecine et le droit et, enfin, être l’ami de ses ouailles et même de ceux qui ne l’étaient pas. Il devait, en outre, être fidèle à sa religion, sans que les autorités coloniales puissent le soupçonner de « papisme » Enfin, il lui fallait parler français avec les Acadiens, gaélique avec les Irlandais et les Écossais, anglais avec un certain nombre, micmac peut-être à l’occasion et ne jamais oublier son latin, pour les besoins du culte. Tous ces impératifs exigeaient un homme d’une grande vitalité, sinon d’une grande force physique, un homme d’une certaine prestance et assez fort psychologiquement pour supporter la solitude, étant peut-être le seul à des milles à la ronde à savoir lire et écrire, et étant pendant des mois privé de tout contact avec d’autres missionnaires. Pourtant, ceux qui avaient suffisamment de force morale, de volonté et de foi pouvaient y arriver et même connaître le succès.

Malheureusement, rien de cela ne convenait à Grace. Selon Jones, c’était un religieux saint et humble, mais peu efficace dans son rôle de missionnaire ; la lecture du bréviaire l’absorbait beaucoup trop, remarquait Jones, ce qui laisse entendre qu’il était plus porté à la méditation qu’à l’action. Dans l’ensemble, le supérieur des missions paraît avoir bien jugé Grace. Esprit réfléchi, peu préparé au choc qui l’attendait en se retrouvant parmi des pêcheurs sans ressources, sur un sol rocailleux, Grace mécontenta ses supérieurs parce qu’il ne parvint pas à bâtir les églises et les presbytères dont on avait un pressant besoin. En outre, il ne disait la messe que le dimanche et avait si peu confiance en lui qu’il s’abstenait de prêcher. Cependant, on ne pouvait lui imputer tout le blâme pour les difficultés qu’il éprouvait. Ainsi, pendant qu’il exerçait son ministère à la baie St Mary, les Acadiens firent peu de cas de lui, se souvenant que leur dernier pasteur irlandais, l’abbé William Phelan, était parti en emportant une importante somme d’argent qu’ils avaient ramassée pour construire une église. En 1791, pensant que les ennuis de Grace à la baie St Mary n’étaient pas tant causés par ses déficiences que par la conduite scandaleuse de Phelan, Jones envoya le « simple et bon » capucin à Memramcook, au Nouveau-Brunswick, en qualité de vicaire de l’abbé Thomas-François Le Roux*.

Toutefois, Grace ne resta pas longtemps au Nouveau-Brunswick ; vers 1792, on lui confia sa propre mission qui comprenait le littoral de la Nouvelle-Écosse, de Sheet Harbour à Liverpool. Là encore, Grace fit son possible, mais il ne se montra pas assez dynamique au gré de ses supérieurs. Desservant surtout les établissements de Ketch Harbour, de Prospect et de la région de Chezzetcook, il demeura dans sa mission jusqu’à l’automne de 1801 ; il semble qu’il fit alors une dépression nerveuse. En novembre 1802, Edmund Burke*, vicaire général de la Nouvelle-Écosse, en était presque au point de ne plus savoir que faire de Grace. Ce dernier se trouvait alors à Halifax, vivant parmi les pauvres, et ce n’est qu’en 1805 qu’il retourna à sa mission, obéissant à un ordre formel du coadjuteur de Québec, Mgr Joseph-Octave Plessis.

Quand Mgr Plessis, devenu évêque, visita Grace en 1815, il trouva à redire contre presque tout ce qui se rapportait à « cette misérable colonie ». Dans son journal, il nota ce qui suit à propos du missionnaire « Ce prêtre [...] n’a pas encore un logis à lui, et en change chaque jour, allant dîner chez l’un des habitans, coucher chez l’autre. Jusqu’à cette année, il n’avait pas eu de chapelle, ou plutôt il en avait eu autant que d’habitations [...] Mais comment réformer un homme de cet âge, qui a ses allures prises de longue main, et des allures Irlandaises ? qui, avec la dévotion d’un excellent moine, se trouve engagé dans une desserte pour laquelle il n’est nullement calculé [...] qui depuis dix ans ne porte que des haillons, parce qu’il se croit trop près de la mort pour se faire habiller ? » Malgré tout, Mgr Plessis fut assez compréhensif pour accepter le fait que le vieux prêtre était incapable de faire son travail. Par la suite, Grace se porta bien pendant quelques années, mais il dut assez tôt aller vivre à Halifax où l’abbé John Loughnan subvint à ses besoins et lui administra les derniers sacrements en 1827. Il fut inhumé à Ketch Harbour, près de l’église.

La carrière et le caractère de Thomas Grace suscitent des questions sur la qualité de son instruction et de sa préparation, sur sa personnalité et sur son influence auprès de ses ouailles. Peut-être fut-il un homme simple et plutôt crédule, mais il parlait trois langues, l’anglais, le français et, naturellement, le latin. Il avait étudié en France et cela en faisait un homme relativement cultivé pour l’époque en Nouvelle-Écosse. Pour ce qui est de l’aspect pratique de sa préparation, aucun des premiers missionnaires de la Nouvelle-Écosse n’avait l’expérience des conditions qui les attendaient, ni ne savaient comment les affronter. Grace était foncièrement humble, et c’est au milieu des pauvres travailleurs qu’il se sentait le plus heureux. Il avait eu la sagesse de ne pas chercher à soutirer sa subsistance de gens aussi démunis que ses pêcheurs irlandais, et il n’est donc pas étonnant qu’il semble avoir été aimé par un grand nombre. À Ketch Harbour se trouve un vieux puits, le Father Grace’s Well, ainsi appelé parce que Grace l’avait béni lors d’une période de sécheresse et que, depuis ce temps, il ne s’est jamais tari. Bien qu’il y ait peu de traditions précises se rapportant à Grace, les gens se hâtèrent, après sa mort, de faire savoir aux visiteurs qu’ils avaient fait partie du « district du vieux père Grace ».

Terrence M. Punch

L’auteur tient à remercier le conservateur des AD, Aube (Troyes) et le révérend Gerald B. Murphy de Ketch Harbour, N.-E., qui ont fourni des renseignements supplémentaires concernant Thomas Grace. [t. m. p.]

AD (Aube), Couvent des capucins irlandais (Bar-sur-Aube), reg. des vêtures et professions, 24 sept. 1773, 25 juill. 1774.— Arch. of the Archdiocese of Halifax, J. M. McCarthy papers, D–2 (visite de Mgr Denaut, 1803).— Cyril Byme, « The Maritime visits of Joseph-Octave Plessis, bishop of Quebec » N. S. Hist. Soc., Coll., 39 (1977) : 23–47.— [H.-R. Casgrain], Mémoire sur les missions de la Nouvelle-Écosse, du cap Breton et de lîle du Prince-Édouard de 1760 à 1820 [...] réponse aux Memoirs of Bishop Burke par Mgr O’Brien [...] (Québec, 1895), 42, 62–63, 66–69, 81.— Johnston, Hist. of CatholicChurch in eastern N.S.— T. M. Punch, Some sons of Erin in Nova Scotia (Halifax, 1980).— Père Pacifique [de Valigny] [H.-J.-L. Buisson], « le Premier Missionnaire de langue anglaise en Nouvelle-Écosse » Soc. de géographie de Québec, Bull. (Québec), 26 (1932) : 46–62.

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Terrence M. Punch, « GRACE, THOMAS, dit père James », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 22 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/grace_thomas_6F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
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