FORBES, JOHN (baptisé Jean-Paul-Antoine), prêtre, père blanc et évêque, né le 10 janvier 1864 à l’île Perrot, Bas-Canada, fils de John Forbes, cultivateur, et d’Octavie Léger ; décédé le 13 mars 1926 à Billère, près de Pau, France.
John Forbes est issu d’une famille d’ascendance écossaise que le jeu des alliances maritales a intégrée par la langue et la religion à la population canadienne-française. Le prénom de John, par lequel le désigne son entourage depuis son jeune âge et qu’il portera toute sa vie, rappelle ses racines ancestrales. Ses parents s’installent à Montréal en avril 1869. Aîné d’une famille qui comptera 16 enfants, John reçoit une éducation profondément religieuse. On l’inscrit en septembre 1870, avec son frère cadet Guillaume*, au jardin d’enfance que tiennent les Sœurs de la charité de l’Hôpital Général de Montréal dans l’asile Nazareth. Grâce à leur oncle maternel Odilon Léger, commerçant à l’aise qui s’intéresse à leur éducation, John et Guillaume fréquentent de 1872 à 1878 l’académie commerciale catholique de Montréal, dirigée par un pédagogue de renom, Urgel-Eugène Archambeault*. Tous deux sont considérés comme des élèves brillants, dociles et pieux. Les sulpiciens, qui sont les pasteurs de leur paroisse et les aumôniers de leur collège, les orientent tout doucement vers le sacerdoce. Ils en font leurs servants de messe, leur donnent des cours de latin dans le presbytère de la paroisse Notre-Dame puis, en septembre 1878, les accueillent en classe de méthode au petit séminaire de Montréal. Les deux frères revêtent la soutane le 13 mai 1883 durant leurs études de philosophie et terminent en 1886 leurs études théologiques. C’est l’heure des choix décisifs qui transforment les rêves en réalité. La lecture, à l’automne de 1881, du récit du martyre de deux missionnaires catholiques en Urundi (Burundi, Afrique) avait allumé chez John le désir de vouer sa vie à l’apostolat auprès des Africains. Sa rencontre en 1883 avec un père blanc, venu à Montréal faire connaître les œuvres de la Société des missionnaires d’Afrique, congrégation fondée en 1868 par l’archevêque d’Alger (Algérie), Mgr Charles-Martial Lavigerie, avait si bien avivé son zèle qu’il aurait aimé partir dès ce moment pour l’Afrique. Les sulpiciens lui avaient alors conseillé de mûrir son engagement missionnaire. Le temps a fortifié sa décision et, le 12 août 1886, grâce à l’aide financière du sulpicien Jean-Amable Trémolet, il s’embarque à destination de l’Afrique. De son côté, son frère Guillaume optera pour le clergé séculier ; il sera évêque de Joliette puis archevêque d’Ottawa.
Forbes arrive le 3 septembre 1886 à Maison-Carrée, la maison mère et le noviciat des Pères blancs, non loin d’Alger. Il revêt l’habit le 22 septembre et, par l’intériorisation des règlements et de la spiritualité de sa communauté, il devient peu à peu le père Forbes. Il s’initie dans ses temps libres à la musique et à l’arabe. En 1887, il fait une autre année de théologie au séminaire Saint-Louis de Carthage, tout près de Tunis, en Tunisie. Il y prononce son serment de missionnaire le 25 septembre 1888 et est ordonné le 6 octobre. Il rêve de partir en mission, mais ses supérieurs le destinent plutôt à l’enseignement. Il est envoyé à Jérusalem où, d’octobre 1888 à septembre 1889, il est surveillant d’études au séminaire Sainte-Anne, dit Collège français, puis professeur de français et de grec et directeur spirituel jusqu’en septembre 1893. Cette école apostolique forme un clergé de rite oriental pour desservir diverses chrétientés indigènes toujours unies à l’Église romaine. Rappelé ensuite à la maison mère, Forbes y est sous-directeur du noviciat, professeur d’arabe et de kiswahili, et directeur spirituel jusqu’à l’été de 1900. Deux événements importants marquent son séjour dans cette maison. Il se rend à Londres avec son supérieur Mgr Léon Livinhac, en janvier 1894, pour exposer à lord Rosebery et au cardinal Herbert Alfred Vaughan la situation religieuse en Ouganda, où les agissements de l’Imperial British East Africa Company, chargée de mettre en valeur les régions sous protectorat britannique, ont envenimé les relations entre catholiques et protestants. (Le gouvernement britannique versera, en mars 1898, une indemnité de 10 000 £ aux missions équatoriales en compensation des dommages causés par des protestants.) Le père Forbes effectue, de septembre 1895 à septembre 1896, une tournée au Canada pour solliciter la charité des catholiques, aviver leur esprit missionnaire et recruter de futurs missionnaires. Cette tournée devait paver la voie à la fondation d’une maison des Pères blancs au Canada.
Les temps sont mûrs à l’été de 1900. L’épiscopat, les sulpiciens et bien des leaders spirituels croient que le zèle apostolique est trop peu développé en Amérique, tout particulièrement chez les séminaristes. À l’instigation du sulpicien Charles Lecoq, les Pères blancs chargent le père Forbes d’établir un postulat ou une école apostolique au Canada. Malgré son vif désir d’œuvrer dans les missions africaines, ce dernier s’incline devant la volonté de ses supérieurs et, le 2 juillet 1900, il arrive à Montréal. Mgr Paul Bruchési*, dont l’archidiocèse est déjà surchargé d’œuvres, émet des réserves. Le père Forbes a plus de succès à Québec. Mgr Louis-Nazaire Bégin l’autorise officiellement, le 11 mars 1901, à y ouvrir une maison d’études et de recrutement, mais l’informe qu’il ne peut soutenir financièrement les Pères blancs. Qu’à cela ne tienne ! Depuis son arrivée au Canada, le père Forbes a pu ramasser, grâce entre autres à des prédications et des conférences au Canada et aux États-Unis, les sommes nécessaires à la fondation. Le 10 août 1901, il s’installe au 41, rue des Remparts, dans un logis qu’il a loué près de l’université Laval, où les étudiants suivront des cours de théologie. Il est bientôt secondé par deux pères blancs venus d’Afrique et accueille, le 28 août, ses six premières recrues de la province de Québec. Le 8 septembre, Mgr Bégin bénit officiellement le nouveau postulat, qui se transporte dès le mois de mai 1902 dans une maison au 37, des Remparts. Les débuts sont modestes. Pendant les 13 années où le père Forbes en sera supérieur, le postulat recevra en moyenne six nouveaux candidats annuellement, sauf en 1909–1910 où il n’en aura aucun. Après une année de formation, les postulants vont faire leur noviciat à la maison mère d’Alger et leur scolasticat à Carthage. Afin de faire connaître l’œuvre et le travail des Pères blancs, le père Forbes multiplie les conférences, souvent agrémentées par sa lanterne de projection, dans les paroisses et les séminaires, et lance, en janvier 1905 à Québec, le mensuel les Missions d’Afrique des Pères blancs, encore publié aujourd’hui sous le titre de Mission ; il y ajoutera une édition anglaise, The African missions of the White Fathers, en janvier 1909.
Le père Forbes aide aussi à l’établissement d’un postulat des Sœurs missionnaires de Notre-Dame d’Afrique, communauté fondée en 1869 par le cardinal Lavigerie et Marie-Renée Roudaut, dite mère Marie-Salomé. À la demande de cette dernière, il sollicite l’approbation de Mgr Bégin qui, après quelques hésitations, consent à cette nouvelle fondation. Quatre sœurs blanches arrivent d’Alger, dont une Canadienne, Marie Bourque, dite sœur Claire, le 26 octobre 1903, et ouvrent un postulat dans l’ancien logis des Pères blancs ; en 1913, l’accroissement des effectifs les amènera à se transporter à Lévis.
Durant toutes ses années de supériorat, le père Forbes n’est retourné qu’une fois en Afrique, en 1911, pour une retraite de 30 jours à la maison mère. Son rêve d’être missionnaire en Afrique l’habite toujours et c’est avec grande joie qu’il apprend, en mai 1914, qu’on l’a nommé professeur à l’école supérieure de Rubaga (Kampala), en Ouganda. Il quitte Québec le 4 juillet. Le déclenchement de la Première Guerre mondiale modifie toutefois son itinéraire. Appelé à remplacer le supérieur de l’école apostolique que dirigent les Pères blancs à Bishop’s Waltham, en Angleterre, il demeure à ce poste jusqu’au 15 mars 1915. En mai, il est enfin à Rubaga, où il prend officiellement le titre de supérieur de l’école Sainte-Marie, qui a ouvert ses portes en février 1908 pour préparer de jeunes catholiques indigènes, par l’étude de l’anglais entre autres, à occuper des postes dans le gouvernement, dans l’armée ou chez de grands propriétaires. L’établissement accueille quelque 160 enfants en 1915–1916. Le père Forbes est en poste depuis presque trois ans lorsqu’il apprend, le 18 février 1918, qu’il a été nommé évêque de Vaga et coadjuteur du vicaire apostolique de l’Ouganda, Mgr Heinrich Streicher. Il est sacré évêque le 19 mai. Le vicariat englobe alors l’Ouganda, l’Ankole, le Toro et le Bunyoro, et une partie du Congo belge (République démocratique du Congo), territoire, selon le père, « tout aussi considérable en superficie que [la] grande province de Québec ». Chaque année, il fait sa visite pastorale, à bicyclette jusqu’en 1921, puis en motocyclette. Il passe une dizaine de jours dans chaque poste, où il confesse, confirme et réconforte, attentif aux besoins spirituels et à la bonne gouverne des populations indigènes. L’éducation des Noirs est pour lui un sujet de préoccupation et il voudrait voir s’installer des frères enseignants qui seconderaient les missionnaires. Dans ce but et aussi pour trouver de l’argent pour construire une église à Rubaga, qui serait sa cathédrale, il vient à Montréal de mars 1922 à décembre 1923. Ses démarches porteront fruit : en 1926, quatre Frères de l’Instruction chrétienne quitteront Laprairie (La Prairie) pour les missions de l’Ouganda et, grâce aux dons qu’il a recueillis, au-delà de 100 000 $ selon son biographe l’abbé Élie-Joseph-Arthur Auclair, la cathédrale sera ouverte au culte cette année-là.
Mgr John Forbes n’assistera toutefois pas à ces heureux événements. Aux prises avec des problèmes cardiaques, il doit quitter Rubaga en février 1925. Il passe quelques mois à Mombasa, au Kenya, va à Paris, puis se rend à Billère, où une crise le terrasse le 13 mars 1926. Il est inhumé au cimetière des Pères blancs à Pau. Premier Canadien à entrer dans la Société des missionnaires d’Afrique et premier évêque canadien de cette communauté, le père Forbes aura aussi été l’un des précurseurs de l’élan missionnaire qu’allait connaître le Canada français à compter des années 1920.
C’est aux Arch. des Pères blancs (Montréal) que l’on trouve la documentation la plus riche sur le père John Forbes, notamment sa correspondance personnelle et ses rapports annuels. Ce dernier a fait l’objet d’une biographie très fouillée par l’abbé É.-J.[-A.] Auclair, intitulée Vie de Mgr John Forbes, le premier père blanc canadien, évêque de Vaga et coadjuteur de l’Ouganda, 1864–1926 ([Québec, 1929]).
ANQ-M, CE601-S50, 10 janv. 1864.— Le Devoir, 15 mars 1926.— J. F., « Mgr John Forbes, des Pères blancs », la Semaine religieuse de Montréal, 6 mai 1926.— Canada ecclésiastique, 1901–1927.— Lionel Groulx, le Canada français missionnaire : une autre grande aventure (Montréal et Paris, 1962).— Guy Laperrière, les Congrégations religieuses : de la France au Québec, 1880–1914 (2 vol. parus, Sainte-Foy, Québec, 1996– ), 2.— « Le Premier Père blanc canadien, son Exc. Mgr John Forbes », Missions d’Afrique des Pères blancs (Québec), 47 (1951) : 261–271.
Huguette Filteau et Jean Hamelin, « FORBES, JOHN (baptisé Jean-Paul-Antoine) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/forbes_john_1864_1926_15F.html.
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Auteur de l'article: | Huguette Filteau et Jean Hamelin |
Titre de l'article: | FORBES, JOHN (baptisé Jean-Paul-Antoine) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |