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DUPUIS, JOSEPH-NARCISSE (baptisé Narcisse), homme d’affaires, né le 24 avril 1859 à Saint-Jacques-de-l’Achigan (Saint-Jacques, Québec), fils de Joseph Dupuis et d’Euphrasie Richard ; le 26 septembre 1882, il épousa dans la paroisse Saint-Jacques, à Montréal, Albertine Francœur (décédée le 30 mai 1915), et ils eurent 13 enfants, dont 7 lui survécurent, puis le 25 juillet 1917, à New York, Muriel Gertrude Barry, et de ce mariage naquit une fille ; décédé le 25 septembre 1932 à Montréal et inhumé trois jours plus tard au cimetière Notre-Dame-des-Neiges, dans la même ville.
Joseph-Narcisse Dupuis entreprend ses études au collège Masson de Terrebonne, dans le Bas-Canada. Après la mort de son père en 1864, il s’établit à Montréal avec sa famille. C’est probablement à partir de ce moment qu’il fréquente l’académie commerciale catholique de Montréal. Son frère aîné, Joseph-Nazaire*, fonde en 1868 un magasin de nouveautés au coin des rues Sainte-Catherine et Montcalm. L’entreprise, connue sous le nom de J. N. et J. O. Dupuis vers 1871, revêt un caractère familial, car les frères Dupuis s’y investissent tôt. À l’instar de ses frères plus âgés, Joseph-Narcisse y travaille très jeune, dans son cas dès 14 ans. Après un intermède durant lequel il occupe un emploi à l’épicerie de gros et de détail D. Masson et Compagnie [V. Marc-Damase Masson*] (probablement entre 1875 et 1880), il devient en 1882, en même temps que son frère Alexis, un des associés du commerce désigné Dupuis Frères depuis 1877. Ces derniers se joignent à leurs frères Joseph-Odilon et Louis-Napoléon, qui ont pris le relais de la direction du magasin à la mort de leur aîné Joseph-Nazaire, en 1876. Toujours en 1882, l’entreprise est relocalisée à son emplacement définitif, au coin des rues Sainte-Catherine et Saint-André.
Le 11 novembre 1897, Joseph-Narcisse devient l’unique propriétaire de Dupuis Frères. Grâce à lui, la firme bénéficiera d’une expansion sans précédent et se transformera en un grand magasin canadien-français. En effet, entre 1897 et 1900, Dupuis achète des commerces avoisinants pour accroître la superficie du magasin, dont les « nombreux stocks de toutes natures couvrent maintenant [...] 62,000 pieds au lieu de 28,000 », selon un article publié dans la Presse le 8 décembre 1900. Le nombre d’employés passe de 75 à 225, tandis que le chiffre d’affaires augmente de 150 %. On entreprend d’importantes rénovations et on multiplie les rayons (meubles, cuisine et salle à manger, mercerie, vêtements, bijouterie). Tout est mis en œuvre pour faire de Dupuis Frères un grand magasin comparable à Henry Morgan and Company Limited [V. Henry Morgan*] ou Eaton [V. sir John Craig Eaton* ; Timothy Eaton*] : modernité des installations, insistance sur la publicité et la décoration, nouvelles techniques de gestion des ressources humaines. En 1904, le magasin occupe une superficie de 85 000 pieds carrés et compte près de 400 employés ; depuis 1897, le chiffre d’affaires a alors augmenté de 300 %.
En mars 1908, Dupuis constitue sa compagnie en corporation au fédéral sous le nom de Dupuis Frères (Limitée) avec un capital-actions de 500 000 $ ; il prend le titre de président et poursuit l’expansion amorcée une décennie plus tôt. Entre 1910 et 1915, l’entreprise ajoute les rayons de l’électroménager, de la librairie, des articles de piété, de la viande et des légumes, des phonographes et des fourrures. En 1911, Armand-Joseph Dugal devient directeur-gérant du magasin. Son engagement semble déterminant, car, en trois ans, le chiffre d’affaires annuel augmente considérablement en passant de 493 012 $ à 1 413 513 $. On lui attribue par ailleurs le slogan évocateur le Magasin du peuple.
Dupuis Frères (Limitée) se présente comme un commerce canadien-français. Mû par ses valeurs patriotiques, Dupuis promeut l’usage du français en donnant, en 1916, 50 médailles en or décernées aux élèves de dernière année de la Commission des écoles catholiques de Montréal qui ont le mieux réussi l’étude de cette langue. Sous son impulsion, le commerce développe également son rayon destiné aux membres du clergé (comprenant notamment des bijoux et des vêtements liturgiques), avec qui Dupuis entretient des liens étroits et dont il deviendra, dans les années 1920, le fournisseur exclusif.
Avec l’appui de Dupuis, 200 employés de Dupuis Frères (Limitée) mettent sur pied en 1919 un syndicat catholique et national. Cette association, qui occupera une place centrale dans la vie des travailleurs, crée une caisse de secours mutuels pour les frais funéraires ou occasionnés par la maladie, et établit un comité des réclamations. Comme dans les autres grands magasins, les femmes composent une partie importante de la main d’œuvre. Pour des femmes issues de la classe ouvrière, le métier de vendeuse est très respectable et procure une fierté certaine. Elles participent activement à la culture de l’entreprise, influencée par la domesticité et l’idéologie des sphères séparées. Le magasin devient également pour elles un lieu de socialisation.
En 1921, le chiffre d’affaires atteint un peu plus de 4 millions de dollars. La compagnie se constitue en corporation la même année (cette fois au provincial), sous le nom de Dupuis Frères, Limitée, avec un capital-actions de 4 millions de dollars. Le magasin ouvre de plus un comptoir postal et commence à publier un catalogue en français qui laissera un souvenir collectif à d’innombrables consommateurs de la province de Québec. Cette année-là, l’entreprise envoie près de 20 000 exemplaires de son catalogue de 32 pages qui promeut 587 articles. Pendant plusieurs décennies, elle contribuera ainsi à démocratiser la vente au détail et à changer les habitudes d’achat au Québec, particulièrement dans les régions éloignées. Les années 1920 représentent un véritable âge d’or pour Dupuis Frères, Limitée et les grands magasins occidentaux en général, qui fascinent les clients par leurs décors somptueux, leurs vitrines, leurs soldes et leurs événements spéciaux. En 1923, le commerce élit domicile dans un nouvel immeuble de six étages. « Cet édifice, explique le Devoir le 15 décembre, apporte à Dupuis Frères 116,000 pieds de plancher qui, ajoutés aux 88,000 pieds des vieux magasins, forment 204,000 [pieds]. »
C’est aussi en 1923 que Dupuis vend tous ses actifs à Dupuis Frères, Limitée pour des actions ordinaires de 2 millions de dollars. Son neveu, Albert Dupuis, fils d’Alexis, est élu président en 1928 ; Joseph-Narcisse prend alors le poste de président honoraire, qu’il occupera jusqu’à sa mort en 1932. À partir de la crise économique des années 1930 et, à plus forte raison, après la Deuxième Guerre mondiale, les grands magasins amorcent leur déclin, cédant lentement la place à d’autres types de magasins à grande surface. L’esprit familial que Dupuis a instauré chez Dupuis Frères, Limitée commence sérieusement à s’effriter avec la grève des employés de 1952. En raison de difficultés financières, la famille Dupuis vend le magasin à des intérêts privés en 1961. Malgré plusieurs tentatives de redressement, la faillite survient en 1978 ; 700 personnes perdent ainsi leur emploi.
Conservateur en politique – Dupuis aurait souscrit environ 200 000 $ à la caisse du parti fédéral –, l’homme d’affaires a été pressenti comme candidat aux élections fédérales de 1926 et comme sénateur en 1932. De 1920 jusqu’à sa mort, il occupe la vice-présidence de l’Imprimerie populaire Limitée, compagnie éditrice du Devoir, quotidien montréalais nationaliste fondé par son ami proche Henri Bourassa*. Les deux hommes aiment discuter politique extérieure et histoire contemporaine. Directeur de la Compagnie du chemin de fer du Grand Tronc, puis de la Compagnie du chemin de fer de Montréal et des comtés du sud, Dupuis s’engage aussi dans des œuvres de charité ; il fait notamment partie du conseil d’administration de la Société de Saint-Vincent-de-Paul et de l’hôpital Notre-Dame.
À l’instar de la plupart des autres grands magasins de l’époque, Dupuis Frères, Limitée a dû éponger de nombreuses critiques (quant à la concurrence aux petits commerces, par exemple). Grâce à son esprit d’entrepreneur, Joseph-Narcisse Dupuis a néanmoins atteint une position enviable dans le milieu des affaires à Montréal. Sa volonté de commercer en français dans l’est de la ville a placé sa compagnie au cœur de la vie et de l’imaginaire de milliers de Canadiens français.
BAC, R233-114-9, Québec, dist. Laurier-Outremont (175), sous-dist. Outremont (56) : 1.— BAnQ-CAM, CE601-S29, 2 déc. 1888 ; CE601-S33, 26 sept. 1882, 7 oct. 1883, 20 mai 1885, 24 févr. 1887, 3 août 1888, 17 sept. 1889, 18 févr. 1891, 10 mai 1892, 15 mars 1894 ; CE601-S51, 20 sept. 1889, 17 oct. 1891, 15 juill. 1899 ; CE601-S173, 2 juin 1895, 4 mars 1897, 3 sept. 1898 ; CE605-S31, 25 avril 1859.— École des hautes études commerciales, Service des arch. (Montréal), P049 (fonds de Dupuis Frères Limitée), A (administration générale), 3 (hist.).— FD, Notre-Dame (Montréal), 11 juill. 1900, 16 nov. 1905, 2 juin 1915.— Le Canada (Montréal), 1er oct. 1904, 14 juin 1916, 11 mai 1932.— Le Canard (Montréal), 10 juill. 1880.— Le Devoir, 30 mai 1921 ; 2, 6 déc. 1922 ; 8 mai, 15, 17 déc. 1923 ; 24 nov. 1926 ; 10 mars, 6, 9 juill. 1928 ; 26 sept. 1932.— Gazette (Montréal), 27–28 juill. 1917 ; 21 juill. 1926 ; 26 sept. 1932.— Le Nouvelliste (Trois-Rivières, Québec), 21 juill. 1926.— La Presse, 8 déc. 1900, 8 juill. 1917, 15 mars 1919, 23 mars 1923.— Le Soleil, 9 déc. 1922.— Annuaire, Montréal, 1869–1933.— BCF, 1922.— Émile Benoist, Monographies économiques (2e éd., Montréal, 1925), 3–10.— Josette Dupuis-Leman, Dupuis Frères, le magasin du peuple : plus d’un siècle de fierté québécoise (Montréal, 2001).— École des hautes études commerciales, Service des arch., « Dupuis Frères Limitée : le magasin du peuple, 1868–1978 » : web.archive.org/web/20200919142646/http://experience.hec.ca/dupuis_et_freres (consulté le 4 janv. 2021).— Stéphanie Piette, « “S’amuse bien qui s’amuse chez Dupuis” : la culture de travail des employées de Dupuis Frères entre 1920 et 1960 » (mémoire de m.a., univ. de Montréal, 2012).— Prominent people of the province of Quebec, 1923–24 (Montréal, s.d.).— Statistique Canada, les Grands Magasins au Canada, 1923–1976 (Ottawa, 1979).— John Willis, « Cette manche au syndicat : la grève chez Dupuis Frères en 1952 », le Travail (St John’s), 57 (2006) : 43–91.
En collaboration avec Stéphanie Piette, « DUPUIS, JOSEPH-NARCISSE (baptisé Narcisse) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 18 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/dupuis_joseph_narcisse_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/dupuis_joseph_narcisse_16F.html |
Auteur de l'article: | En collaboration avec Stéphanie Piette |
Titre de l'article: | DUPUIS, JOSEPH-NARCISSE (baptisé Narcisse) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2022 |
Année de la révision: | 2022 |
Date de consultation: | 18 déc. 2024 |