CARBRAY, FELIX, comptable, homme d’affaires, homme politique et fonctionnaire, né le 22 décembre 1835 à Holland Farm, dans la banlieue de Québec, fils de Neal (Niall) John Carbery et de Catherine Connolly, originaires du comté de Tyrone (Irlande du Nord) ; le 2 mai 1854, il épousa à Notre-Dame de Québec Margaret Carbery, et ils eurent six filles et quatre fils, puis le 25 octobre 1902, à New York, Bridget Carbray, veuve de Nicholas Knight (Karrol) Connolly et sœur de sa première femme ; décédé le 20 décembre 1907 dans sa résidence de la rue Hamel, à Québec, et inhumé au cimetière St Patrick le 23 décembre.
Felix Carbray fait ses études à l’Académie commerciale des Frères des écoles chrétiennes à Québec. Par la suite, il est comptable chez L. et C. Têtu et Compagnie (qui deviendra Têtu et Garneau [V. Pierre Garneau]), grossistes de marchandises sèches à Québec. Il y demeure une quinzaine d’années avant de se lancer, en 1869, à son propre compte, dans une entreprise d’expédition de marchandises. L’année suivante, il s’associe à Francis Alexander Routh sous la raison sociale de Carbray and Routh. À titre de marchands commissionnaires, les associés servent avant tout d’intermédiaires entre les producteurs et les distributeurs forestiers, tout en agissant aussi comme agents pour les compagnies de bateaux à vapeur laurentiens et transocéaniques. Au début des années 1870, la concurrence est vive au port de Québec entre les firmes d’expédition et les marchands commissionnaires dans le commerce du bois. Les producteurs indépendants sont sollicités de toute part par des entreprises comme la Carbray and Routh qui leur offrent d’écouler leur production auprès des barons du bois. La Carbray and Routh cherche à s’approprier les marchés régionaux dont une portion échappe aux grandes compagnies forestières de Québec. En 1873, elle a déjà investi plus de 30 000 $ dans son commerce. Elle possède également un navire en copropriété qu’elle semble utiliser à ses fins, en plus de droits de coupe sur certaines bonnes concessions forestières. À cette époque, les rapports des agences de crédit mentionnent qu’elle fait face à ses dettes sans trop de difficultés et qu’elle réussit même à réaliser quelques profits. Elle est donc bien ancrée dans le milieu des affaires québécois.
Entre 1875 et 1878, la Carbray and Routh ouvre un bureau à Montréal, au 195 rue des Commissaires. Routh y devient le représentant de la compagnie. La crise affecte cependant le rendement de la firme. Ses ressources financières qui étaient évaluées entre 20 000 $ et 35 000 $ en 1875 ne sont plus que de 10 000 $ à 20 000 $ en 1878. La reprise des années 1880 ne lui profite guère. Bien que son activité commerciale exige peu d’immobilisations et de marchandises en stock, la compagnie met plus d’une dizaine d’années à retrouver une certaine aisance financière. En 1879, le fils de Carbray, Herbert John William, entre dans l’entreprise, qui prend alors le nom de Carbray, Routh and Company.
L’arrivée de son fils dans la compagnie permet à Carbray de réaliser un rêve, celui de faire de la politique. Candidat du Parti conservateur dans Québec-Ouest aux élections provinciales de 1881, il bénéficie de l’aide de Thomas McGreevy*, éminence grise de sir Hector-Louis Langevin et trésorier du Parti conservateur dans la région de Québec. Les deux hommes, dont les familles sont irlandaises, semblent se connaître et se comprendre à un point tel que McGreevy donne à Carbray, durant la campagne électorale, une propriété située à Trois-Rivières, à l’extrémité de la rue Bonaventure. Ces liens entre eux pourraient venir de relations d’affaires, mais également du fait que la sœur de l’épouse de Carbray est mariée à Nicholas Knight Connolly, membre de la Larkin, Connolly and Company qui est étroitement associée à McGreevy. La campagne électorale dans Québec-Ouest est ardue. L’adversaire de Carbray, Owen Murphy, ancien maire de Québec, lui fait une chaude lutte. Entre ces deux représentants de la communauté irlandaise, tous deux militants au sein des sociétés locales, s’ouvre une décennie d’affrontements politiques dont Carbray remporte la première manche grâce à une majorité de 91 voix.
Au Parlement, l’expérience professionnelle de Carbray est mise à profit. En 1882, il est nommé aux comités permanents des chemins de fer, canaux, lignes télégraphiques et compagnies minières et manufacturières, des comptes publics et des industries. Fidèle à la ligne de parti, Carbray ne tarde pas toutefois à éprouver un certain malaise devant certaines décisions du gouvernement de Joseph-Adolphe Chapleau*. Ainsi, en mai 1882, il confie à McGreevy que le projet du gouvernement de vendre en deux tronçons le chemin de fer Québec, Montréal, Ottawa et Occidental à l’entreprise privée lui cause un certain agacement. En juillet 1882, quand Joseph-Alfred Mousseau*, devenu premier ministre, nomme William Warren Lynch*, un Irlandais protestant, représentant de la communauté irlandaise au sein du cabinet, Carbray en éprouve un profond ressentiment, car il se croyait tout désigné pour ce poste. En septembre 1883, Carbray se sent complètement trahi, lui qui a défendu tout au long des sessions de 1882 et de 1883 la vente du Québec, Montréal, Ottawa et Occidental et la position gouvernementale : Québec est momentanément écarté comme emplacement du terminus du chemin de fer canadien du Pacifique. Il blâme particulièrement Louis-Adélard Senécal* et son syndicat dans lequel McGreevy a investi une centaine de milliers de dollars. S’agit-il d’une prise de position personnelle en faveur des intérêts locaux et québécois qui ont été négligés au cours des dernières années par le triumvirat Chapleau, Mousseau et Senécal ? Il est difficile de l’affirmer à cause des liens qui existent entre Carbray et McGreevy. Il se peut que la faction catholique irlandaise de Québec, au sein du Parti conservateur provincial, ait souhaité un partage plus équitable des largesses gouvernementales.
À compter de ce moment, Carbray prend ses distances par rapport au Parti conservateur. À l’occasion, il fraye avec l’opposition. La pendaison de Louis Riel*, en novembre 1885, l’éloigne davantage des conservateurs. Pour lui, la cause des Métis est juste, même s’il n’approuve pas le rôle qu’y a tenu Riel ; il a malgré tout souscrit à son fonds de défense, au moment de son procès, et à la demande de commutation auprès des autorités fédérales. Au delà des querelles linguistiques et ethniques que suscite cet épisode, querelles auxquelles ne se mêle pas Carbray, les revendications des Métis lui rappellent sans nul doute la situation qui règne en Irlande à cette époque.
Actif au sein des associations irlandaises de la ville de Québec, Carbray suit de près la question de l’autonomie irlandaise qui est fortement discutée en Angleterre en 1886. Il saisit l’occasion pour présenter à l’Assemblée législative, en avril, une adresse qu’il a concoctée avec Honoré Mercier*, chef de l’opposition, et James McShane*, député libéral de Montréal-Ouest. Elle réclame l’application à la question irlandaise d’un principe fondamental du parlementarisme britannique : l’octroi de la responsabilité ministérielle dans les affaires locales. Présentée sous la forme la plus polie, afin de ne pas froisser le pouvoir impérial, cette proposition suscite un vif débat. À mots couverts, elle peut être perçue comme un geste réprobateur, une dénonciation de l’ingérence du pouvoir central. Comme l’explique un journaliste de la Patrie, la question du Home Rule irlandais renvoie en filigrane à celle de Riel et aux événements troublants qu’a engendrés sa condamnation à mort au Québec. Le débat qu’elle occasionne fait ressortir les dissensions qui existent entre ceux qui soutiennent « le parti des Pendards et des Orangistes » et ceux qui veulent jouir de plus d’autonomie politique par rapport au gouvernement fédéral. Même si l’Assemblée adopte à l’unanimité la proposition de Carbray, le 16 avril 1886, elle demeure tiraillée par de profondes divisions d’origine ethnique, religieuse et régionale.
Aux élections provinciales qui suivent, en octobre, le flirt de Carbray avec l’opposition libérale lui nuit considérablement. Selon l’Électeur, sir Adolphe-Philippe Caron tente même de le remplacer par William Sharples, son beau-frère. Même s’il réussit à se maintenir, Carbray est devenu persona non grata pour certains conservateurs. Malgré l’influence de McGreevy, il est défait par Owen Murphy, qui obtient une faible majorité de huit voix.
Carbray retourne alors à ses affaires. La Carbray, Routh and Company s’intéresse toujours au commerce du bois et elle est même une des premières à pénétrer le marché sud-américain. Carbray et son associé montréalais se lancent aussi dans le commerce du charbon. Sous la raison sociale de F. Carbray and Routh, ils deviennent en 1889 les agents généraux de la Général Mining Association et de la Low Point, Barrasois and Lingan Mining Company, de la Nouvelle-Écosse. Au début des années 1890, ils sont également les agents généraux de deux compagnies minières du Cap-Breton, dont la North Sydney Coal and Railway Company Limited qui a une capacité de production annuelle de 300 000 tonnes de charbon. Homme d’affaires accompli, qui s’exprime autant en français, en anglais, en italien, en portugais, en espagnol qu’en gaélique, Carbray a été nommé consul du Portugal à Québec en 1888.
Toujours lié à McGreevy, Carbray profite, entre autres, des travaux entrepris par la Larkin, Connolly and Company au bassin Louise, à Québec. L’accession de McGreevy à la présidence de la Compagnie de navigation du Richelieu et d’Ontario, en 1890, est encore plus bénéfique. En 1891, la Carbray, Routh and Company obtient le contrat d’approvisionnement de cette compagnie maritime, et se voit accorder simultanément ceux du chemin de fer canadien du Pacifique et du chemin de fer de Québec et du lac Saint-Jean. Tout au long de la décennie, du moins jusqu’au décès de McGreevy en 1897, cette relation semble durer. Membre de la Commission du havre de Québec de 1891 à 1895, Carbray veille peut-être de son côté aux intérêts de la Larkin, Connolly and Company [V. Patrick Joseph Larkin*], principal maître d’œuvre des réfections importantes apportées aux infrastructures de ce port. En 1893 , il essaie en vain de transiger avec Caron afin d’éviter aux Connolly les poursuites judiciaires qui suivent le scandale McGreevy-Langevin.
Carbray a été élu dans Québec-Ouest aux élections provinciales de 1892. Son second mandat est plutôt terne. Il intervient surtout sur des questions budgétaires et de développement ferroviaire. Il défend également les intérêts locaux, tout particulièrement ceux de la Compagnie du chemin de fer de Québec, Montmorency et Charlevoix, de la Compagnie du chemin de fer de Québec et du lac Saint-Jean et de la Compagnie de pouvoir électrique de Montmorency. Réélu aux élections provinciales de 1897, grâce à la division du vote libéral, il siège alors du côté de l’opposition. Ses interventions en Chambre sont peu fréquentes et concernent surtout des questions budgétaires. Sa santé est d’ailleurs défaillante. Il ne se représentera pas en 1901. Toute son attention est alors tournée vers ses affaires.
Cette année-là, la Carbray, Routh and Company entreprend sa dissolution. Une nouvelle entreprise est aussitôt formée, la Carbray, Son and Company. Felix et un autre de ses fils, William John, sont désormais seuls en affaires et ils limitent leur activité à Québec. En juillet de la même année, la F. Carbray and Routh cesse aussi d’exister et est liquidée l’année suivante. Le père et le fils continuent d’être actifs dans le transport du charbon qu’ils écoulent surtout dans l’ouest de l’Ontario et l’État de New York. Ils sont, entre autres, les représentants de la Pittsburgh and Erie Coal Company et de la Lehigh and Wilkesbarre Coal Company. En 1905, la Carbray, Son and Company se dote même d’une filiale, la Carbray Coal and Storage Company, à Québec. Au décès de Carbray, deux ans plus tard, son fils continue seul.
Sur la tombe de Felix Carbray, on retrouve cette simple épitaphe : « Toute sa vie a été remplie d’un travail fructueux et utile. » En un sens, cette phrase représente bien ce personnage peu éloquent. Cependant, elle ne laisse pas entrevoir son rôle au sein de la communauté irlandaise de Québec. Carbray avait bien représenté ses compatriotes en militant au sein d’organisations comme la United Irish League, l’Irish National Association et l’Institut catholique et littéraire de Saint-Patrice de Québec où il avait assumé des postes de direction. Certes, son action n’était pas toujours désintéressée, mais il avait presque réussi, avec le groupe de McGreevy, à établir un lobby puissant. Privée de certains chefs de file, la communauté irlandaise de Québec allait voir son influence diminuer tout au long du xxe siècle.
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Jean Benoit, « CARBRAY, FELIX », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/carbray_felix_13F.html.
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Auteur de l'article: | Jean Benoit |
Titre de l'article: | CARBRAY, FELIX |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
Année de la révision: | 1994 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |