BROWN, ERIC, fonctionnaire, administrateur artistique, auteur, conférencier et cultivateur, né en août 1877 à Nottingham, Angleterre, l’un des neuf enfants de John Henry Brown et d’Emma Wardle ; le 25 décembre 1910, il épousa à Toronto Florence Maud Sturton, et ils n’eurent pas d’enfants ; décédé le 6 avril 1939 à Ottawa.

Le père d’Eric Brown était un conseiller municipal de Nottingham ; sa mère mourut quand il avait quatre ans. Une blessure sportive obligea Eric à interrompre ses études à la Nottingham High School ; pendant sa longue convalescence, il lut avec voracité et se convertit à la Science chrétienne. Il conserverait toute sa vie une passion pour la lecture et la Science chrétienne. Cette dernière lui inspira sa conviction que l’art devait favoriser le progrès moral. Renonçant à l’université, Eric apprit le métier d’artiste auprès de son frère plus âgé, le peintre paysagiste Arnesby Brown, cultiva le coton avec un cousin sur l’île Nevis, dans les Antilles, et tint une ferme dans le Lincolnshire. Pendant son séjour dans cette région d’Angleterre, il se fiança à Florence Maud Sturton, qui avait étudié au Newnham College (établissement pour filles officiellement affilié à la University of Cambridge en 1948), malgré l’opposition de la famille de celle-ci, pour laquelle les perspectives de carrière de Brown semblaient peu reluisantes.

Vers 1909, Arnesby présenta Eric au marchand d’art montréalais Frank Robert Heaton, qui le convainquit qu’un Anglais ambitieux pouvait bien gagner sa vie dans la toute jeune communauté artistique du Canada. Selon les mots de Florence Maud, l’intervention de Heaton fut « une réponse à une prière ». Brown arriva au Canada peu après ; il travailla d’abord à Montréal, où il s’occupa d’une exposition de peintures britanniques prêtées, puis à l’Art Museum of Toronto, où il communiquait fréquemment avec le banquier et collectionneur Byron Edmund Walker*. En juin 1910, Walker devint président du Conseil consultatif des beaux-arts [V. Sydney Arthur Fisher*], organisme notamment responsable de la Galerie nationale du Canada à Ottawa. Il organisa la nomination de Brown, en septembre, au premier poste de conservateur à temps plein de l’établissement, un des rares emplois salariés dans le domaine des arts au Canada. (Les conservateurs à temps partiel qui l’avaient précédé, John William Hurrell Watts* et Lawrence Fennings Taylor, étaient des architectes du ministère des Travaux publics.) Cette stabilité financière permit à Brown d’épouser Florence Maud, qui enseignait à Toronto. Leur union était une alliance personnelle et professionnelle pleine de dévotion, fondée sur une foi religieuse commune (Florence Maud adhérait elle aussi à la Science chrétienne), ainsi que sur des champs d’intérêt et des valeurs qu’ils partageaient.

Brown prit en charge une galerie qui existait depuis une trentaine d’années et qui logeait dans un édifice du gouvernement fédéral consacré au service des pêches et administré par le ministère des Travaux publics. Des années plus tard, Brown raconterait que, peu après son entrée en fonction, un garçonnet lui demanda : « Dites, monsieur, où est la baleine ? » La galerie avait une portée nationale nulle, un personnel réduit, un budget minuscule et une collection sans grand intérêt. En 1912, on la déplaça dans une aile du nouveau Musée commémoratif Victoria et Brown contribua à la rédaction de la Loi constituant en corporation la Galerie nationale du Canada, en vertu de laquelle elle acquit son indépendance en juin de l’année suivante. Désormais directeur de la galerie, Brown disposait d’un budget de 100 000 $ en 1915, dont il consacrait la majeure partie à l’achat d’œuvres d’art. Cette somme diminua considérablement tout au long de la Première Guerre mondiale, et ne retrouverait pratiquement jamais une telle ampleur. La collection que Brown amassa malgré ces contraintes financières, travaillant au début en étroite collaboration avec Walker, constituerait son plus important legs. Persuadé qu’« aucun pays ne [pouvait] devenir une grande nation tant qu’il ne posséd[ait] pas de grand art », Brown visait à monter la plus belle collection possible de peintures européennes, et la collection la plus représentative et complète de peintures canadiennes. Walker et lui visitaient régulièrement des marchands d’art et des collectionneurs européens, et employaient des conseillers pour trouver des toiles de grands maîtres à prix abordable, leur valeur ayant monté en flèche après la guerre. Durant les années 1920, ils acquirent les œuvres produites dans le cadre du programme canadien d’art militaire (officiellement connu sous le nom de Fonds de souvenirs de guerre canadiens), ainsi que des gravures et des dessins, et constituèrent la collection de sculpture.

Brown exerça aussi une profonde influence sur l’évolution de l’art canadien en offrant son amitié, ses encouragements et son soutien à des artistes contemporains, dont Thomas John (Tom) Thomson*, les membres du groupe des Sept et Emily Carr*. Beaucoup de critiques traitaient cette nouvelle génération avec dérision. Par exemple, Hector Willoughby Charlesworth*, qui préférait les œuvres de peintres plus traditionnels, comme Mary Augusta Catharine Reid [Hiester*] et Carl Henry Ahrens, les considérait avec dédain comme des peintres « de qualité inférieure » dénués de « sensibilité artistique » ; pour sa part, le premier ministre William Lyon Mackenzie King* qualifiait leur art de « perversion ». Brown, au contraire, avait la certitude que, « en croyant au Canada, et en le comprenant », ces artistes mettaient au monde un mode d’expression proprement canadien. Comme il l’écrivit en 1913, « un esprit national émerge lentement […] Il y a des peintres qui trouvent l’expression de leur pensée dans les vastes prairies de l’Ouest, dans les espaces silencieux du Nord, au bord des torrents et des petits lacs de montagne, et dans la profonde solitude des forêts en hiver. »

La galerie acheta ses premières toiles des futurs membres du groupe des Sept en 1912, huit ans avant sa formation, et, en 1915, ajouta à sa collection le tableau de Thomson intitulé Northern river. Brown demeura un partisan enthousiaste de la formation durant les années suivantes, notamment de son travail qui figura dans la collection d’art canadien présentée aux expositions de l’Empire britannique à Wembley (Londres), en 1924 et 1925, et au Musée du Jeu de paume à Paris deux ans plus tard (premières expositions du groupe à l’étranger). Brown fit la connaissance de Carr à Victoria en 1927. Elle affirmait avoir depuis longtemps renoncé à la peinture, par frustration, mais ce n’était pas tout à fait juste. Il la convainquit de contribuer à une exposition de la galerie, lui acheta trois toiles et l’encouragea à reprendre ses pinceaux. La présence de Carr dans la collection établit solidement la portée nationale de la galerie. Après la mort de Brown, l’artiste témoigna de l’inspiration qu’il lui avait insufflée, dans une lettre à Florence Maud où elle disait qu’il l’avait « empêchée de baisser les bras ». Elle écrivait aussi : « Je lui dois tant, car j’étais accablée de désespoir quant à mon travail quand il est venu dans l’Ouest, m’a tirée de là et m’a forcée à me remettre au travail. »

Brown favorisait ses préférés dans des expositions, des conférences et des articles. Ce fait entraîna parfois des tensions avec les administrateurs de la galerie, et éveilla un sentiment de marginalisation chez des artistes qui travaillaient dans un style plus traditionnel. En 1932, plus d’une centaine d’artistes, conduits par Edmund Wyly Grier* (garçon d’honneur au mariage de Brown) et représentant les tendances conservatrices de l’Académie royale des arts du Canada, adressèrent une pétition au gouvernement de Richard Bedford Bennett* pour faire renvoyer Brown. Cette initiative en amena toutefois plus de 300 autres, notamment Alexander Young Jackson*, à prendre sa défense. Après cela, il était devenu inattaquable.

Apôtre infatigable, Brown voyait la galerie comme un outil pour sortir les Canadiens d’une apathie bien enracinée en matière artistique. Florence Maud dirigeait des visites de la collection, les samedis matins étaient réservés aux enfants, et les portes restaient ouvertes le dimanche, grande innovation pour une galerie d’art au Canada. L’incendie qui détruisit l’édifice central du Parlement, en février 1916, fournit une preuve supplémentaire de l’approche audacieuse de Brown. À la suite de cet événement, les députés et sénateurs réquisitionnèrent le Musée commémoratif Victoria, privant la galerie de locaux pendant cinq ans. Brown y vit toutefois une occasion d’accroître l’influence de l’institution grâce à des prêts, des expositions itinérantes et des conférences que lui-même, Florence Maud et d’autres personnes présentèrent dans tout le pays. Il organisa également des expositions annuelles d’art canadien, envoya des reproductions en couleur dans les écoles, diffusa des diapositives de lanterne magique et des films sur l’art, forma des professionnels de galerie et attribua des bourses d’études. Il publia des catalogues de la collection et des essais avant-gardistes sur l’histoire de l’art canadien. Il donna des conférences novatrices à la radio de la Canadian Broadcasting Corporation et à la télévision de la British Broadcasting Corporation. Les fondations américaines Carnegie et Rockefeller fournirent des fonds pour la réalisation de nombreuses initiatives. Brown et son assistant Harry Orr McCurry avaient commencé à travailler avec elles vers la fin des années 1920 : ils avaient compris l’importance de ce financement à l’époque où de telles sources n’existaient pas au Canada. Brown couronna sa carrière en 1938 avec une exposition rétrospective intitulée « A century of Canadian art », à la Tate Gallery de Londres.

Après son élection par ses pairs, Brown devint président de l’Association of Art Museum Directors et vice-président de la Museums Association de Grande-Bretagne. Il était membre honoraire de la Royal Scottish Society of Painters in Watercolours, et reçut la médaille du jubilé du roi George V (1935) et la médaille du couronnement du roi George VI (1937). Malgré toutes ses réalisations, Brown échoua sur deux points notables. Premièrement, son soutien des artistes canadiens contemporains s’accompagnait d’un mépris conservateur, et parfois total, des courants artistiques internationaux influents comme le postimpressionnisme, le futurisme et le cubisme. La galerie ne commença à acquérir ce genre de peintures qu’après sa mort, à des prix beaucoup plus élevés. Deuxièmement, même si Brown exerça continuellement des pressions, il n’atteignit pas son objectif d’établir une galerie nationale permanente construite à cette fin. Cela n’arriverait que longtemps après son époque, en 1988, quand on ouvrit les portes de l’édifice conçu par Moshe Safdie.

Grand et mince, Eric Brown avait un nez proéminent, s’habillait avec élégance et portait un monocle, allure curieusement britannique pour un défenseur des arts canadiens. Cependant, Florence Maud et lui éprouvaient un profond attachement pour le Canada. Sans prétention, chaleureux, pleins d’esprit et courtois, ils partageaient leur amour de la randonnée, du canot, du camping et du ski avec beaucoup d’artistes canadiens plus jeunes et œuvraient dans le milieu du théâtre à Ottawa. Leurs amis du monde des arts et d’ailleurs se rencontraient régulièrement dans leur maison, au 657, Echo Drive, où Brown mourut après une courte maladie. Il fut enterré au cimetière Beechwood. Il avait réussi à faire de la galerie une véritable institution nationale, et de ses artistes favoris, des icônes canadiennes.

Andrew Horrall

Eric Brown est l’auteur de « Canada and her art », American Academy of Political and Social Science, Annals (Philadelphie), 45 (janvier 1913) : 171–176. Il n’existe aucune correspondance personnelle entre Brown et sa femme, Florence Maud. De plus, ils ont laissé très peu de documents contenant des détails sur leur vie privée ; ceux que nous avons glanés proviennent principalement de la courte biographie de Brown, rédigée par Florence Maud et publiée sous le titre Breaking barriers : Eric Brown and the National Gallery ([Ottawa, 1964]). On ne connaît pas la date de naissance exacte de Brown. Dans son dossier d’employé de la fonction publique, conservé au Musée des beaux-arts du Canada, Bibliothèque et Arch. (Ottawa), PC 105/1133, il a simplement écrit 1878, sans mois, ni jour, alors que, selon sa biographie et son monument funéraire – dont une image se trouve sur le site Web d’Ancestry.com, « Registres du cimetière Beechwood, Ottawa, Canada, 1873 à 1990 », Eric Brown : www.ancestry.ca (consulté le 8 mai 2017) –, il serait né en 1877 ; nous considérons ces deux dernières sources comme les plus fiables.

Le Musée des beaux-arts du Canada et BAC possèdent respectivement plusieurs portraits et un certain nombre de photographies de Brown.

BAC, « Journal personnel de William Lyon Mackenzie King », 14 avril 1934 : www.bac-lac.gc.ca/fra/decouvrez/politique-gouvernement/premier-ministres/william-lyon-mackenzie-king/Pages/journal-mackenzie-king.aspx (consulté le 8 mai 2017) ; R2336-0-6.— Musée des beaux-arts du Canada, Bibliothèque et Arch., Eric and Maud Brown fonds.— Univ. of Toronto Libraries, Thomas Fisher Rare Book Library, ms coll. 1 (Sir Edmund Walker papers).— Ottawa Evening Journal, 6 avril 1939 : 1, 12.— J. S. Boggs, The National Gallery of Canada (Toronto, 1971).— J. D. Brison, Rockefeller, Carnegie, and Canada : American philanthropy and the arts and letters in Canada (Montréal et Kingston, Ontario, 2005).— F. M. Brown, « Eric Brown : his contribution to the National Gallery », Canadian Art (Ottawa), 4 (novembre 1946–été 1947) : 8–15, 32–33.— Emily Carr, Growing pains : the autobiography of Emily Carr (Toronto, 1946).— H. W. Charlesworth, « The National Gallery a national reproach : many fine British and French works, but selections in Canadian section away below standard », Saturday Night, 9 déc. 1922 : 3.— W. G. Constable, « Eric Brown as I knew him », Canadian Art, 10 (automne 1952–été 1953) : 114–119.— Ross King, Defiant spirits : the modernist revolution of the Group of Seven (Kleinburg, Ontario, 2010).— Musée des beaux-arts du Canada, Rapport annuel, 1920–1940.— Douglas Ord, The National Gallery of Canada : ideas, art, architecture (Montréal et Kingston, 2003).— Tate Gallery, A century of Canadian art : catalogue (Londres, 1938).

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Andrew Horrall, « BROWN, ERIC », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 16 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/brown_eric_16F.html.

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Auteur de l'article:    Andrew Horrall
Titre de l'article:    BROWN, ERIC
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2020
Année de la révision:    2020
Date de consultation:    16 nov. 2024