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BRODIE, ROBERT, homme d’affaires, né le 11 mai 1835 à Montréal, fils de Charles Brodie et d’Elizabeth Kerr ; le 31 octobre 1865, il épousa à Québec Jane Blair, fille de David Blair, de Lotinière, Bas-Canada, et ils eurent trois filles et deux fils ; décédé le 30 mai 1905 à Québec.
Les parents de Robert Brodie, originaires d’Écosse, avaient immigré au Bas-Canada en 1831. Brodie étudie à Montréal puis, à l’âge de 15 ans, entre au service de la Henry Morgan and Company, maison spécialisée dans le commerce de marchandises sèches. En 1855, il quitte cette entreprise pour s’établir à Québec où son frère Charles possède un commerce de farine et de provisions rue Saint-Paul. Le magasin, ouvert en 1850 et de taille modeste, présente en 1858 un inventaire commercial évalué entre 500 £ et 750 £. À la suite du décès de Charles en 1859, Robert et son frère William forment une nouvelle association sous la raison sociale de W. and R. Brodie. Leurs assises financières sont suffisantes pour obtenir une bonne cote de crédit et réaliser des profits. On les considère comme de bons administrateurs, mais un peu près de leurs sous.
En 1868, un troisième frère, Thomas, se joint à Robert et William en tant qu’associé. La W. and R. Brodie traverse sans peine les années 1860 et la décennie qui suit. Sa croissance est stable, dénuée de soubresauts. Au début de 1880, ses ressources financières sont évaluées entre 50 000 $ et 75 000 $ puis entre 75 000 $ et 100 000 $, en 1881. L’entreprise maintient sans difficulté cette dernière évaluation tout au long de la décennie. Désormais, elle monopolise le secteur de la distribution de la farine à Québec, dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie. Son réseau s’étend même jusqu’aux Maritimes. Sa grande concurrente durant les années 1870, la J.-B. Renaud et Compagnie, subit une dépréciation importante dans la valeur de ses ressources financières à la suite du décès de l’actionnaire principal, Jean-Baptiste Renaud*, en 1884. La W. and R. Brodie bénéficie donc de cette circonstance particulière, mais aussi des retombées de la Politique nationale [V. sir Samuel Leonard Tilley*].
Les trois frères Brodie aspirent à faire partie de l’élite commerciale de Québec. Une de leurs premières sphères d’influence est la Banque de Stadacona, fondée en 1873. En 1879, ils s’opposent vivement à la liquidation de cette banque. Avec Evan John Price* et Charles Pentland, ils forment un groupe minoritaire qui s’insurge contre cette décision. Selon une circulaire signée par Robert Chambers, maire de Québec et président de l’assemblée des actionnaires, la banque affiche un bilan positif. Au dernier exercice financier, plus de 990 890 $ ont déjà été versés au fonds de capital et l’établissement a également réussi à effectuer de bons placements, malgré le ralentissement notoire des affaires. Il est donc incongru de vouloir procéder à sa liquidation, sous le prétexte que son rendement et sa marge de profit ne lui permettent plus d’être concurrentiel. Au dire des opposants, la procédure de vote sur cette question cruciale a été escamotée. Des 4 231 voix enregistrées pour la liquidation, plus de 2 000 provenaient de procurations, ce qui hypothéquait sérieusement la confidentialité du scrutin par ballottage et contrevenait aux modalités prévues par la charte de la banque. Cet usage peu orthodoxe des règles avait faussé les résultats du scrutin, où 3 699 voix avaient été enregistrées en faveur de la survie de l’entreprise bancaire. La réprobation des Brodie est néanmoins insuffisante pour faire contrepoids, et la Banque de Stadacona ferme définitivement ses portes.
Cette défaite affecte peu la position de Robert Brodie au sein de l’élite commerciale de Québec ; elle semble avoir toujours été marginale, tout comme celle de ses frères. Brodie est un artisan de la première heure dans cette tentative de diversifier l’économie de la ville de Québec, au lendemain de la crise de 1873. En effet, en 1883, il est un des organisateurs et actionnaires de la Riverside Worsted Company, filature de laine connue d’abord, en 1881, sous le nom de Canada Worsted Company. Dès 1885, la manufacture possède un fonds de capital payé de 200 000 $, mais son seuil de rentabilité est peu propice à l’injection de nouveaux capitaux. Réorganisée en 1886, sous le nom de Quebec Worsted Company, son capital cette fois est limité à 60 000 $. Deux ans plus tard, 50 000 $ ont déjà été versés. Toutefois, le conseil d’administration et son président, Pierre Garneau, ne parviennent pas à faire fructifier l’entreprise, qui est finalement vendue en 1890 au groupe d’Andrew Paton*, de Sherbrooke. Brodie est le seul Québécois à conserver un siège au conseil d’administration. À cette époque, il possède encore un certain pouvoir décisionnel, mais sa position est fragile. L’explosion d’une chaudière en 1891, qui entraîne la destruction d’une grande partie de la manufacture, met fin momentanément aux espoirs de diversifier l’économie de la ville de Québec par une industrie textile. Au cours d’une assemblée spéciale des actionnaires, on confie à Brodie la tâche de liquider l’entreprise.
Brodie continue toutefois d’investir dans le secteur du textile, mais de façon beaucoup moindre. Actionnaire minoritaire au sein de la Compagnie manufacturière Paton de Sherbrooke, il ne se voit plus confier de tâches administratives. Cependant, en 1894, une réorganisation administrative de la Montmorency Cotton Manufacturing Company, fondée en 1889 et affiliée à la Dominion Cotton Mills de Montréal, permet à Brodie et à d’autres investisseurs québécois de reprendre pied dans le secteur du textile. Une filiale, la Riverside Manufacturing Company, est créée, dont Robert et William Brodie sont actionnaires. Présidées par l’homme d’affaires montréalais, Charles Ross Whitehead*, la Montmorency Cotton Manufacturing Company et la Riverside Manufacturing Company en viennent à une fusion en 1898, sous le nom de Compagnie des filatures de coton de Montmorency ; son capital de 200 000 $ est principalement souscrit et payé par la communauté d’affaires de Québec. Malgré une croissance de la demande sur les marchés chinois et africain, les investisseurs québécois vont perdre, à compter des années 1900, leur intérêt majoritaire dans la compagnie, qui passera aux mains d’un groupe montréalais dirigé par Louis-Joseph* et Rodolphe* Forget. En 1905, la filature deviendra une filiale de la Dominion Textile Company.
Dans les années 1890, la W. and R. Brodie consolide ses positions commerciales. À compter de 1893, elle cumule des ressources financières évaluées entre 100 000 $ et 150 000 $. Cependant, au décès de Thomas Brodie, en 1894, l’entreprise est liquidée. Robert et son frère William en profitent pour se retirer.
Les deux frères entreprennent alors une seconde carrière, centrée sur l’administration de leur portefeuille d’actions. Ils ont investi, en général, dans les secteurs de la finance, du transport, du textile, de la sidérurgie et des mines. Robert s’est surtout intéressé aux placements bancaires tandis que William a privilégié l’industrie et les mines. En effet, au moment de son décès, Robert détient 39 200 $ d’actions dans quatre banques et une société de fiducie ; 70 % de cet avoir est placé dans la Banque canadienne de commerce. Dans le secteur industriel, il possède un actif de 15 300 $, la moitié de ce que William détient en valeurs mobilières. Les deux frères ont surtout investi dans la Dominion Textile Company et la Nova Scotia Steel and Coal Company Limited. Les spéculations minières sont davantage du ressort de William, quoique Robert ait placé un faible montant (3 200 $) dans des compagnies de prospection et d’extraction en Nouvelle-Écosse et en Colombie-Britannique. William a, pour sa part, fait des placements miniers en Nouvelle-Écosse et dans l’État de Washington, placements qui ne lui ont rien rapporté. Les compagnies de transport ont aussi attiré les deux frères. Quelque 10 000 $ ont été engouffrés dans ce type d’entreprise. Ils ont surtout investi dans la Compagnie des steamers de Québec Limitée et, dans une moindre mesure, dans la Québec and Levis Ferry Company Limited ainsi que dans la Micmac Steamship Company Limited, en Nouvelle-Écosse. Ils ont également placé de l’argent dans des compagnies d’assurances : l’Aetna Life Insurance Company (Connecticut, État-Unis), la London and Lancashire Life Assurance Company, la Royal Insurance Company (Liverpool) et la Scottish Provincial Assurance Company (Aberdeen). Chacun d’eux possède des polices d’assurance-vie qui valent entre 10 000 $ et 14 000 $. La seule différence notable entre les avoirs des deux frères est dans le secteur de la propriété immobilière : tandis que Robert possède une résidence sur la Grande Allée, William n’a à son décès, en 1908, qu’un lot au cimetière Mount Hermon, où ses frères ont été enterrés.
Tout au long de leur vie, les Brodie ont démontré une grande solidarité familiale. Ils ont entrepris ensemble leur progression commerciale et sociale. Ils se sont consacrés au développement et à la croissance de leur firme, qui leur a permis de frayer avec l’élite et ses réseaux de pouvoir. Cependant, ils n’ont jamais réussi à imposer leurs vues et ils sont demeurés marginaux. Robert Brodie a peut-être été celui qui a le plus cru à cette ascension sociale. Il a tenté de la concrétiser, mais sans plus de succès que son frère William. Néanmoins, Robert a été fidèle à l’image qu’il projetait. Presbytérien convaincu et adepte de la tempérance, il avait banni l’alcool de sa vie, prônant même sa suppression par une loi gouvernementale. Administrateur prudent, il avait toutefois un peu erré en croyant, comme son frère William, à la possibilité de diversifier l’économie de la ville de Québec.
AC, Québec, État civil, Presbytériens, Chalmers Free Church (Québec), 1er juin 1905 ; Minutiers, E. G. Meredith, 21 août 1903, 28 nov. 1905, 30 juill. 1908.— ANQ-M, CE1-121, 8 sept. 1836.— ANQ-Q, CE1-67, 31 oct. 1865 ; CN1-294, 31 juill. 1879 ; T11-1/28, no 613 (1859) ; 30, nos 4704 (1891), 5640–5641 (1895).— Baker Library, R. G. Dun & Co. credit ledger, Canada, 8 : 131.— Le Canadien, 29 juill. 1879.— L’Électeur, 13–14, 19, 21 févr. 1891.— Quebec Chronicle, 31 mai 1905.— Quebec Morning Chronicle, « Special trade ed. », mai 1894.— Le Soleil, 19 oct. 1900, 31 mai 1905.— Benoit, « le Développement des mécanismes de crédit et la Croissance économique d’une communauté d’affaires », 283s., 306, 390s., 394.— Bradstreet commercial report, 1862–1864 ; 1867 ; 1871–1873 ; 1875 ; 1878–1881 ; 1883 ; 1885 ; 1887–1889 ; 1891 ; 1893.— Cyclopœdia of Canadian biog. (Rose et Charlesworth), 2 : 374s..— Poulin, « Déclin portuaire et Industrialisation », 83.
Jean Benoit, « BRODIE, ROBERT », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 22 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/brodie_robert_13F.html.
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Auteur de l'article: | Jean Benoit |
Titre de l'article: | BRODIE, ROBERT |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
Année de la révision: | 1994 |
Date de consultation: | 22 nov. 2024 |