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BOURGEAU (Bourgeault), VICTOR, menuisier, charpentier, sculpteur et architecte, né le 26 septembre 1809 à Lavaltrie, Bas-Canada, fils de Basile Bourgeault, maître charron, et de Marie Lavoie, décédé à Montréal le 1er mars 1888.
Victor Bourgeau semble avoir commencé très jeune à travailler pour l’entreprise paternelle. Durant les années 1820, on le retrouve apprenti menuisier et charpentier, pour le compte de son oncle et homonyme, sur les chantiers de construction de la région de Lavaltrie. Dans l’ensemble, on sait peu de chose de sa formation. Lorsqu’il épouse Edwidge Vaillant, le 17 juin 1833, il ne peut signer les registres. Ses biographes imputent à la situation financière précaire de son père cette absence de formation scolaire.
Durant les années 1830, un événement, rapporté par la tradition orale et transcrit par ses biographes, aurait modifié le cours de la carrière de Bourgeau. Artisan accompli, il aurait rencontré, à Montréal, le peintre italien Angelo Pienovi* qui, sans ressources, aurait offert de lui enseigner les techniques du dessin. Même si cette légende demeure invérifiable, il n’en reste pas moins qu’un fait important dut se produire, à cette époque, puisque par la suite on retrouve Bourgeau sachant lire et écrire et bon dessinateur.
Les premiers travaux connus de Bourgeau sont exécutés en 1839 à Boucherville, où il reçoit un paiement pour avoir réalisé un couronnement d’autel et quelques autres ornements. Ces œuvres ont malheureusement été détruites au cours de l’incendie de l’église Sainte-Famille en 1843. L’artisan, qui se définit comme menuisier et sculpteur, réalise différents ouvrages à l’église Notre-Dame de Montréal, dont une chaire, fort vantée à l’époque et citée par ses biographes comme un « petit chef-d’œuvre d’élégance et de solidité ».
C’est véritablement après 1847 que Bourgeau entreprend une longue et fructueuse carrière d’architecte. À son arrivée à Montréal, durant les années 1830, il a assisté à un renouvellement total de l’architecture, qui épouse de plus en plus les styles néo-classique et néo-gothique ; avec les architectes James O’Donnell*, John Wells et William Footner, John Ostell* est peut-être l’un de ceux qui incarnent le plus cette tendance et dont l’influence est déterminante durant les années 1840–1850. Plusieurs faits permettent de penser que Bourgeau s’est formé à l’école d’Ostell. Les travaux menés par ce dernier demandant l’intervention de nombreux collaborateurs, il est probable que Bourgeau se soit engagé comme clerc, ce qui était à l’époque la seule voie d’accès à la profession d’architecte ; de plus, Ostell est le précurseur immédiat de Bourgeau dans le domaine de l’architecture religieuse et conventuelle. Après 1850, Bourgeau complétera certaines œuvres entreprises par Ostell (celui-ci ayant orienté sa carrière vers les affaires) et prendra sa relève auprès de l’évêché et des communautés religieuses. En plus, il assumera une continuité sur le plan stylistique comme en témoignent ses premières œuvres architecturales.
En 1849, au moment où Bourgeau commence à voler de ses propres ailes, s’ouvre un premier chantier d’importance : l’agrandissement de l’église Sainte-Anne, à Varennes. L’architecte nouvellement établi a alors l’occasion de manifester une des qualités de son art, soit celle de s’inscrire dans la tradition architecturale. En effet, en procédant à l’élargissement de la nef entre les tours et les chapelles, il reprend un mode de transformation élaboré en 1734 à l’église Notre-Dame de Montréal. Ce type d’intervention fut sans contredit de nature à mettre en évidence l’architecte pratique, adepte des solutions logiques et déjà expérimentées. En 1850, la fabrique de Sainte-Rose (Laval) retient ses services pour la construction d’une nouvelle église. Là encore, fidèle à l’héritage architectural, il érige une façade néo-classique modelée sur celle de l’église Sainte-Geneviève (aujourd’hui à Pierrefonds), bâtie en 1839 d’après les plans de Thomas Baillairgé*. Cette première grande église met en évidence une deuxième qualité de l’artisan-architecte de Lavaltrie il possède suffisamment son métier pour répondre à des commandes importantes et utilise un vocabulaire technique qui plaît.
Dès lors, le succès de Bourgeau est assuré. Il ne cessera de livrer les plans et de surveiller les chantiers d’un grand nombre de constructions. Olivier Maurault dans Marges d’histoire [...] et Gérard Morisset* dans son inventaire des œuvres d’art en ont déjà recensé un grand nombre, mais seule une recherche plus approfondie pourra rendre justice au talent et à la capacité de travail de cet architecte prolifique, auteur, selon une étude en cours, d’une centaine d’édifices. Une fois terminée l’église à Sainte-Rose, Bourgeau livre les plans de plusieurs bâtiments, où se dénote une certaine influence de Baillairgé. L’église Saint-Vincent-de-Paul (Laval) en 1857 est un exemple de cette continuité d’un néo-classicisme tardif. Plus modestes, celles de la région de Joliette : Saint-Alexis (1852), Saint-Félix-de-Valois (1854), L’Assomption-de-la-Sainte-Vierge (1863), située dans le village de L’Assomption, Saint-Antoine (1869), à Lavaltrie, témoignent de la capacité d’adaptation de l’architecte à des programmes réduits. Tous les édifices de ce type ont en commun deux caractéristiques : ils ont une façade écran sur laquelle se développe une ornementation, sans égard à la structure qui se profile à l’arrière, et sont dotés de clochers typiques, de plan octogonal ou circulaire, à deux tambours superposés et surmontés d’une flèche. Et c’est là presque une signature de Bourgeau. Ces clochers, comme certaines façades d’ailleurs, sont empruntés aux traités d’architecture. La parenté entre ce premier type d’édifices et quelques œuvres des Américains Benjamin Henry Latrobe et Minard Lafever est évidente.
En même temps, Bourgeau se fait le promoteur d’une architecture néo-gothique. L’église Saint-Pierre-Apôtre, à Montréal, érigée en 1852–1853, les cathédrales L’Assomption, à Trois-Rivières, terminée en 1858, et Saint-Germain, à Rimouski, complétée en 1862, témoignent de la maîtrise de l’architecte dans ce style nouveau pour l’Église catholique. Les œuvres néo-gothiques de Bourgeau ne sont cependant pas des créations originales, comme en témoigne la parenté manifeste entre la cathédrale de Trois-Rivières et l’église londonienne St Luke. Ses emprunts à l’architecture britannique et américaine se révèlent nombreux. Sa grande réalisation en architecture néo gothique demeure la réfection du décor intérieur de Notre-Dame de Montréal. Les plans avaient été soumis dès 1857, mais les travaux s’échelonnent jusqu’en 1880. L’objectif était de modifier l’apparence intérieure de l’édifice, jugée trop sobre. Le décor intérieur de Notre-Dame exprima si bien le goût du Québec en matière d’architecture qu’il devint rapidement un modèle suivi sur une grande échelle à travers la province.
Mais l’architecture néo-gothique amena une inévitable confusion entre les églises catholiques et protestantes et, une fois passée la première vague de cette architecture adoptée pour le symbolisme de ses formes héritées des grands moments du monde chrétien d’Occident, cette parenté formelle entre des édifices de culte différent entraîna une réaction assez violente dans la province. À Montréal, ce sont les jésuites et Mgr Ignace Bourget qui préconisent un retour aux formes classiques et aux agencements baroques. C’est sans contredit ce dernier qui donne le ton avec son projet, élaboré dès 1852, de reconstruction de la cathédrale Saint-Jacques (aujourd’hui basilique Marie-Reine-du-Monde), à Montréal, sur le modèle de la basilique Saint-Pierre de Rome. Bourgeau est envoyé à Rome en 1857 afin d’y étudier et mesurer la basilique Saint-Pierre. Dans un premier temps, il s’oppose au projet, jugeant, après l’avoir vue, que Saint-Pierre ne pouvait se copier et être réduite. Tenace, l’évêque de Montréal envoie sur place le père Joseph Michaud, qui mesure l’ensemble et prépare une maquette, en 1871. Les travaux de construction débutent à Montréal en 1875 et Bourgeau accepte de les surveiller. La cathédrale Saint-Jacques est consacrée en 1885, sans toutefois être achevée avant 1890. Elle devient dès lors le symbole du mouvement ultramontain et l’affirmation de la suprématie du style néo-baroque dans l’architecture religieuse catholique au Québec.
La plupart des églises que Bourgeau érigera après 1865 seront de ce style, particulièrement les décors intérieurs. Ceux-ci reprennent le modèle simplifié de Saint-Pierre de Rome avec voûte à caissons, traitée de manière large, nef divisée par une colonnade en trois vaisseaux et retable simple, intégré à l’architecture, qui laisse la place pour l’érection d’un baldaquin, élément baroque par excellence. Les décors intérieurs des églises Saint-Barthélémy (non loin de Berthierville) et L’Assomption-de-la-Sainte-Vierge sont deux exemples éloquents du talent architectural de Bourgeau.
Celui-ci fut également actif dans le domaine de l’architecture conventuelle. Le couvent des Sœurs de la Charité de l’Hôpital Général de Montréal (Sœurs grises), construit de 1869 à 1871 d’après les plans de Bourgeau et de son associé, Alcibiade Leprohon, et menacé de démolition dans les années 1970, reprend les grandes lignes de l’architecture traditionnelle qui se perpétue chez les communautés religieuses, sauf pour les façades dotées d’un parement en pierre à bossage et ornées d’ouvertures encadrées de pierre de taille. La chapelle, érigée de 1874 à 1878, s’articule à certains éléments de style roman. Ailleurs, comme à l’Hôtel-Dieu de Montréal, Bourgeau adoptera plus simplement le néo-baroque, notamment lors de l’érection de la coupole au-dessus de la chapelle.
L’association Bourgeau-Leprohon semble avoir amené une plus grande variété dans l’œuvre respective des deux architectes. L’association apparaît vers 1870, au moment où débutent les travaux du couvent des Sœurs de la Charité de l’Hôpital Général. Par la suite, ils se verront confier la construction de quelques édifices où l’éclectisme est plus visible, notamment des édifices commerciaux comme l’hôtel situé près du marché Bonsecours, érigé en 1861, et l’entrepôt d’Examen de Montréal, construit en 1875. Une des dernières grandes réalisations de Bourgeau sera l’élaboration, vers 1885, des plans du Collège canadien à Rome, édifice alors évalué à $200 000.
Bourgeau mourut le 1er mars 1888, à l’âge de 78 ans, au moment où il se rendait par affaires chez les sœurs grises. Il avait perdu son épouse en 1877 et ses deux enfants, l’un en bas âge et l’autre alors qu’il était jeune avocat. Le 4 mai 1878, il avait épousé à Montréal, en secondes noces, Delphine Viau. À ses contemporains, il laissa l’image d’un travailleur acharné et d’un homme exigeant. Le « père Bourgeau » était devenu une légende sur les chantiers de construction qu’il visitait, toujours coiffé d’un chapeau haute-forme qui ne le quittait jamais.
Oubliée dans la vaste production de la seconde moitié du xixe siècle, l’œuvre de Victor Bourgeau commence à peine à être redécouverte et appréciée. Il ne faudrait toutefois pas trop chercher à l’isoler de celle des autres architectes de la même période. Ce n’est que dans son époque et par l’environnement architectural du xixe siècle que peut s’expliquer une œuvre aussi diversifiée qu’importante.
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Luc Noppen, « BOURGEAU (Bourgeault), VICTOR », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/bourgeau_victor_11F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/bourgeau_victor_11F.html |
Auteur de l'article: | Luc Noppen |
Titre de l'article: | BOURGEAU (Bourgeault), VICTOR |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1982 |
Année de la révision: | 1982 |
Date de consultation: | 20 déc. 2024 |