BOUCHER, ADÉLARD-JOSEPH (baptisé François-Adélard-Arthur), organiste, maître de chapelle, marchand de musique, propriétaire de revue, compositeur, numismate et professeur, né le 27 juin 1835 à Maskinongé, Bas-Canada, fils de François-Xavier-Olivier Boucher, médecin, et d’Émilie Munro, née aux États-Unis ; le 24 avril 1854, il épousa à Montréal Philomène Rousseau, et ils eurent 15 enfants ; décédé le 16 novembre 1912 à Outremont, Québec.

Orphelin de père à cinq mois et de mère à l’âge de neuf ans, Adélard-Joseph Boucher fut envoyé au Mount St Mary’s College d’Emmitsburg, dans le Maryland, par son tuteur, François-Antoine La Rocque*, demi-frère de sa mère. C’est là que de 1845 à 1851 il reçut des enseignements en piano, orgue, chant, flûte et violon de Henry Dielman. En septembre 1851, il entreprit des études au séminaire sulpicien d’Issy-les-Moulineaux, près de Paris, puis en mars 1852, au collège de la Providence à Amiens, dirigé par les jésuites. À son retour au Canada en août 1852, il s’installa définitivement à Montréal et, dans les quelque dix années qui suivirent, entra au service de la maison Morison, Cameron, and Empey, étudia le droit dans le bureau de George-Étienne Cartier*, travailla pour la Compagnie du chemin de fer de Montréal et Bytown, dont il était secrétaire à la fin de 1854, la Commission seigneuriale de 1855 à 1858, et la Compagnie de dépôt et de prêt du Canada au cours de la même période. Tenté par la politique en 1858, il posa sa candidature à une élection partielle dans Maskinongé contre Jean-Baptiste-Éric Dorion* et George Caron, mais se retira presque aussitôt pour assurer l’élection de ce dernier. La même année et jusqu’en 1861, il participa activement aux activités littéraires du Cabinet de lecture paroissial, y prononçant des « discours » sur des sujets d’ordre esthétique, religieux et liés à l’histoire du Canada. Par ailleurs, l’année 1858 marqua l’amorce d’une carrière musicale : il fut organiste de Saint-Pierre-Apôtre de Montréal de 1858 à 1860, maître de chapelle de la même église en 1859–1860, après y avoir mis sur pied une maîtrise. De là, il passa à l’église Saint-Jacques, où il demeura trois ans comme organiste. En 1860, il fonda la Société Sainte-Cécile.

La carrière de Boucher connut un tournant important en 1861. L’intérêt qu’il avait manifesté jusque-là pour le commerce déboucha sur une association avec Laurent et Laforce, propriétaires d’une maison d’édition et d’importation de Montréal ; Boucher fut pendant une année le chef du rayon de musique. L’année suivante, en association cette fois avec Joseph-Amable Manseau, il acheta le fonds de commerce de la J. W. Herbert and Company et de Laurent et Laforce, et ouvrit un magasin au 131, Notre-Dame. L’association de Boucher et Manseau fut marquée par la publication de musique en feuilles et, surtout, par la fondation en 1863 du mensuel littéraire les Beaux-Arts, dont ils furent les propriétaires-éditeurs jusqu’à la fin de la même année. Après la dissolution de la société en 1864, Boucher fonda seul la compagnie A. J. Boucher, qui allait durer jusqu’en 1975, et s’installa dans un premier temps au 260, Notre-Dame.

Les difficultés que Boucher connut au cours des premières années d’existence de l’établissement expliquent peut-être qu’il ait repris, en 1865, les fonctions interrompues deux ans plus tôt à l’église Saint-Jacques, cette fois comme maître de chapelle, et qu’il ait vendu les quelque 4 000 pièces de la « magnifique et précieuse COLLECTION NUMISMATIQUE » qu’il avait rassemblée ; l’intérêt pour cette collection l’avait poussé à fonder en 1862, avec Stanley Clark Bagg* et Joseph-Amable Manseau, la Société numismatique de Montréal, ainsi qu’à présider cette société, la première et la seule au Canada jusque vers 1890. On peut vraisemblablement expliquer par les mêmes raisons la fondation et la parution, à partir du 1er septembre 1866, du mensuel le Canada musical ; le but avoué de cette publication, « créer et répandre le bon goût de la musique et des beau-arts en général », n’était pas détaché de tout intérêt commercial, comme le montre la réclame abondante du journal. Entièrement consacré aux nouvelles, aux programmes, aux anecdotes et aux annonces sur la musique, le périodique, qui comptait 300 abonnés, cessa de paraître après un an et ne revit le jour qu’en 1874, cette fois pour une période prolongée de sept ans.

Quoi qu’il en soit, à compter de 1868, l’activité de Boucher tendit à se diversifier. Premier maître de chapelle de l’église du Gesù de Montréal, il en dirigea le chœur et l’orchestre jusqu’en 1882, et offrit tout au long de cette période de nombreux concerts de musique sacrée et profane, « consacrés, la plupart, à des buts de bienfaisance et de charité ». En 1869, on le retrouve professeur au collège Sainte-Marie, au pensionnat Villa-Maria en 1870, au pensionnat Mont-Saint-Marie et à l’académie commerciale catholique de Montréal en 1871. L’importance qu’on lui reconnaît vers cette époque comme musicien ou pédagogue pourrait expliquer sa nomination à titre de membre de l’Académie de musique de Québec, peu de temps après sa mise sur pied en 1868.

À compter de 1874, la maison Boucher se spécialisa dans l’importation de musique européenne. Grâce aux contacts qu’il réussit à établir avec les principaux centres de musique de l’Europe, où il se rendit en 1876, Boucher était en mesure de garantir dès novembre de cette année, qu’il pouvait « exécuter avec certitude, dans l’espace de trois ou quatre semaines, toutes commandes [...] pour musique européenne que l’on ne trouverait pas en Amérique ». Les rapports directs avec l’Europe dont se flattait la maison Boucher se maintinrent notamment grâce aux voyages que fit son propriétaire au cours des années qui suivirent. Les efforts de Boucher pour introduire et populariser la musique européenne furent fructueux, ainsi qu’en témoignent les déplacements de son établissement vers cette époque : « en 1875, lit-on dans le Canada musical, il prenait possession d’un magasin plus spacieux, en face de la côte St-Lambert, d’où, sous la pression des affaires toujours croissantes, il transporta son établissement, au printemps de 1879, à la magnifique bâtisse de la succession Beaudry, No. 280, rue Notre-Dame [...] Ce magasin, qui a près de 100 pieds de profondeur et compte quatre étages élevés, passe à juste titre pour le plus bel édifice destiné à cette branche de commerce dans toute l’Amérique. » Le sommet de ce développement coïncida avec la participation de Boucher à l’Exposition du dominion (1880) – un premier prix pour la gravure musicale et pour les éditions musicales européennes, américaines et canadiennes, ainsi qu’une mention honorable pour le journalisme artistique lui furent alors décernés –, avec le retrait du commerce des instruments et de la musique de Joseph Gould, son concurrent, et le déménagement vers l’ouest de Montréal de deux maisons rivales. La maison avait bénéficié de l’effet heureux qu’avait eu sur l’importation de la musique sacrée européenne l’ordonnance de l’évêque de Montréal, qui, à la fin de 1878, réservait par décret aux seules voix d’hommes le chant d’église exécuté jusque-là par des chœurs mixtes. Vers la même époque et jusque vers 1884, année où Boucher transporta son établissement au 1676, rue Notre-Dame, une partie du « magnifique magasin » fut mis à la disposition des mélomanes : un cabinet de lecture donnait libre accès aux journaux artistiques et aux revues musicales de France, de Belgique, d’Angleterre, d’Espagne, d’Italie, des États-Unis et du Canada ; de plus, une salle de concert servait, entre autres, de lieu de répétition. En 1882, Boucher ouvrit, avec son fils François, un magasin à Ottawa. Ses absences fréquentes de Montréal servirent de prétexte à l’abandon des fonctions qu’il pouvait exercer encore, notamment celle de maître de chapelle au Gesù. Toutefois, de 1890 à 1912, il reprit du service, cette fois comme maître de chapelle à l’église Saint-Jean-Baptiste de Montréal.

À l’examen, les débuts de la vie de Boucher peuvent paraître incertains. En réalité, le cumul des études et des expériences des 30 premières années trace les voies de sa longue existence, marquée par la diffusion de la musique sous toutes ses formes. Comme musicien, la figure d’Adélard-Joseph Boucher vient loin derrière celle des grands musiciens du dernier tiers du xixe siècle au Québec. Ses compositions demeurent de médiocres exemples de la littérature de salon de la première moitié du siècle. Le choix des messes en musique, exécutées, selon un témoignage d’époque, « avec beaucoup d’habileté » aux grandes fêtes de l’année liturgique, montre par ailleurs une inclination vers le genre dramatique auquel allaient s’opposer successivement Léon XIII et Pie X, et à leur suite, le clergé diocésain. Enfin, rien ne permet d’attester d’un succès quelconque dans l’enseignement de la musique. Il semble juste toutefois de prétendre que l’action soutenue exercée par Boucher auprès de chœurs amateurs qu’il contribua à mettre sur pied et à diriger fait de lui un des pionniers de la musique à Montréal et le précurseur de musiciens comme Guillaume Couture. II en est de même du rôle qu’il a joué dans la publication de périodiques musicaux : encore aujourd’hui, le Canada musical demeure une source précieuse de renseignements sur la vie musicale au Canada dans le dernier tiers du xixe siècle.

Lucien Poirier

Adélard-Joseph Boucher est le compilateur du Catalogue abrégé de nouveaux morceaux favoris composés par des auteurs européens et américains pour piano et chant publiés ou importés (Montréal, 1864), du Tableau synoptique et synchronique de l’histoire du Canada [...] (depuis 1534 jusqu’à 1854) (Montréal, [1854 ?]) et d’une deuxième édition [...] (depuis 1506 jusqu’à 1858) ([1858 ?]), et l’auteur de discours publiés dans l’Écho du Cabinet de lecture paroissial (Montréal) entre 1858 et 1861. Il est aussi le compositeur d’au moins trois pièces musicales : Coecilia, mazurka caprice ; les Canotiers du St-Laurent, quadrille canadien ; et Jolly dogs galop. Ces pièces ont été publiées à Montréal entre 1861 et 1866.

AC, Montréal, État civil, Catholiques, Cimetière Notre-Dame-des-Neiges (Montréal), 20 nov. 1912. ANQ-M, CE1-51, 24 avril 1854. ANQ-MBF, CE1-10, 27 juin 1835.— Le Devoir, 29 mars 1975.— La Minerve, 16 févr. 1866.—Annuaire, Montréal, 18621900.—Les Beaux-Arts (Montréal), 18631864. Raymond Boily, Monnaies, Médailles et Jetons au Canada ([Québec], 1980), 69s.— Maria Calderisi [Bryce], l’Édition musicale au Canada, 1800–1867 (Ottawa, 1981), 30, 60s., 86, 99s.— Le Canada musical (Montréal), 18661881. Adélard Desrosiers, Histoire de la musique, de l’antiquité à nos jours (Montréal, 1939), 70.— Dictionnaire biographique des musiciens canadiens (2e éd., Lachine, Québec, 1935), 3234.— L’Écho du Cabinet de lecture paroissial, 1 (1859) : 25, 29, 9093 ; 2 (1860) : 46, 293296 ; 3 (1861) : 75 ; 6 (1864) : 166s., 181183.— Encyclopedie de la musique au Canada (Kallmann et al.). Clifford Ford, Canada’s music : an historical survey (Agincourt [Toronto], 1982), 57s., 81. J. Hamelin et al., la Presse québécoise, 2 : 3234, 83, 214. Helmut Kallmann, « A century of musical periodicals in Canada », Canadian Music Journal (Sackville, N.-B.), 1, no 1 (automne 1956) : 373 : no 2 (hiver 1957) : 25–36 ; A history of music in Canada, 1534–1914 (Toronto et Londres, 1960 ; réimpr., [Toronto], 1987), 106, 113–115, 125, 128, 135, 151, 194, 258. G. M. Leclerc, « la Musique religieuse d’Alexis Contant et son apport à la vie musicale de Montréal » (mémoire de m.a., univ. d’Ottawa, 1992), 20. T. J. McGee, The music of Canada (New York et Londres, 1985), 72. E. C. MacMillan, Music in Canada ([Toronto], 1955), 26. [J.-L.-]O. Maurault, « Adélard Boucher (18351912) », la Musique (Québec), 2 (1920) : 36 ; « Adélard Boucher (18351912) », SRC, Mémoires, 3e sér., 32 (1938), sect. : 8597 ; « les Musiciens du passé : Adélard Boucher », Entre-Nous (Montréal), 1 (19291930) : 69. Pierre Quenneville, « Guillaume Couture (1851–1915) : l’éducateur, le directeur artistique et le musicien d’église » (thèse de ph.d., univ. de Montréal, 1988), 59. P. J. Slemon, « Montreal’s musical life under the Union, with an emphasis on the terminal years, 1841 and 1867 » (mémoire de m.a., McGill Univ., Montréal, 1975). Wallace, Macmillan dict.

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Lucien Poirier, « BOUCHER, ADÉLARD-JOSEPH (baptisé François-Adélard-Arthur) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/boucher_adelard_joseph_14F.html.

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Auteur de l'article:    Lucien Poirier
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
Année de la révision:    1998
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