Titre original :  Portrait of Blackburn (1916).

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BLACKBURN, VICTORIA GRACE, journaliste et écrivaine, née le 17 avril 1865 à Québec, cinquième fille de Josiah Blackburn* et d’Emma Jane Delamere ; décédée célibataire le 4 mars 1928 à London, Ontario.

Victoria Grace Blackburn naquit à Québec, peut-être pendant que son père, éditeur du London Free Press, s’y trouvait pour affaires politiques ou journalistiques. Elle étudia au Hellmuth Ladies’ College à London puis enseigna aux États-Unis dans les années 1890. Elle avait commencé à écrire en 1894 dans le Free Press, alors sous la direction de son frère Walter Josiah, et devint critique littéraire et dramatique de ce journal en 1900. Elle passa quelque temps à étudier la critique à New York et, de 1906 à 1910, avec ses sœurs, elle séjourna en Europe, où elle prit un bain de culture. Nommée en 1918 directrice adjointe de la rédaction, elle exercerait cette fonction jusqu’en 1928. Pendant trois décennies, elle fut l’une des personnalités marquantes de la scène culturelle de London. Dans ses commentaires, elle pouvait exprimer de l’arrogance, notamment envers London (une ville qui « n’a pas assez cru en elle-même »), ou affirmer son admiration pour des chefs-d’œuvre tels les portraits d’Emma Hart par Romney, la poésie de Wordsworth ou le palais des Doges à Venise.

S’il est raisonnable de penser que le népotisme favorisa la carrière de Victoria Grace Blackburn au Free Press – sa sœur Susan May fit aussi partie du personnel et des actionnaires –, on ne saurait évaluer équitablement ses collaborations (souvent signées du pseudonyme de Fanfan) sans reconnaître sa productivité et ses qualités intellectuelles. Outre des critiques, elle publia dans le Free Press des articles de fond, des récits de voyage, des éditoriaux et des poèmes. Travailler pour un quotidien imposait certaines limites à son travail d’écriture et donna lieu à quelques maladresses. Par exemple, en 1913, elle décrivit Helen Keller avec approbation (mais de manière aujourd’hui embarrassante) en la qualifiant de « grande Prêtresse des aveugles » et, en 1924, elle fit ses adieux à un écrivain du comté de Middlesex, Peter Gilchrist McArthur, dans les termes suivants : « [c’est] un fils du sol et un gentleman, un gentleman tel que, peut-être, seul un fils du sol peut l’être. Le sol dont il était le fils est avant tout le sol canadien. » Dans un texte sur Mlle Blackburn, le professeur James Albert Spenceley, de London, lui reconnaîtrait de grandes sensibilités littéraires et lyriques.

À part ses collaborations au Free Press, Victoria Grace Blackburn écrivit des dizaines de poèmes, au moins deux pièces de théâtre et un roman. De ses vers, dont certains sont superficiels, émergent certains procédés et thèmes caractéristiques : passages soudains de la satire à la tragédie, don pour l’aphorisme, prédilection pour la langue archaïque, les lieux exotiques (la France de la Renaissance, par exemple), les esthètes torturés et l’amour malheureux. Ses deux pièces en un acte, conservées aux University of Western Ontario Archives, sont un drame, « Seal of confession », qui se déroule dans la maison d’un prêtre en France, et une satire, « The little gray », qui se passe à New York dans un atelier de couture. La première explore un thème qui lui était cher, le sacrifice de soi. La seconde illustre son amour du dialecte, de l’humour et de la satire dirigée contre sa propre classe sociale. Toutes deux sont pleines de lourdeurs de mise en scène.

Les écrits de Victoria Grace Blackburn sur la Première Guerre mondiale surpassent le reste de sa production. Dans Christ in Flanders, un des quatre poèmes d’elle inclus dans une anthologie préparée par John William Garvin* et parue à Toronto en 1918, Canadian poems of the Great War, les blessures d’une survivante ressemblent à celles du Christ crucifié. Le roman intitulé The man child, son œuvre la plus réussie, écrit vers 1916 et publié à titre posthume à Ottawa en 1930, mérite une relecture. L’action commence dans les années 1890, dans un cadre inspiré de London et de la région, et se poursuit dans les tranchées de France, où le jeune héros canadien, Jack Winchester, sera tué. Comme beaucoup de romans canadiens sur la guerre, celui-ci parle de volontaires qui avaient de l’« étoffe » et, en recourant au symbolisme populaire, compare le Canada à David aux prises avec le Goliath teuton. Le roman gagne en force à mesure que les épreuves et triomphes de la mère de Jack, veuve, font place aux signes annonciateurs du conflit. Le penchant de Victoria Grace Blackburn pour le drame se manifeste dans la manière dont ses personnages exposent différents points de vue sur la tempête qui se prépare. Il est frappant aussi de constater que, au début, ses personnages les plus intelligents semblent consternés à l’idée que l’Angleterre combat son alliée naturelle, l’Allemagne, aux côtés de la France dissolue. Une fois les hostilités commencées, Jack et un ami quittent l’école de médecine – dont le doyen joue un rôle dans l’histoire – afin de s’enrôler. À un moment donné, The man child devient un roman épistolaire. L’ami de Jack envoie à ses proches une lettre où il demande : « Vous souvenez-vous de ce poème de Walt Whitman que le doyen aime tant [?] » et cite un extrait du poème en question, « Cet engrais ». Peut-être pareille mention est-elle inhabituelle dans une lettre venue du front, mais pas dans un roman qui se passe à London (où l’on connaissait bien l’enthousiasme de Richard Maurice Bucke* pour Whitman) et a été écrit par Mlle Blackburn (qui présenta en 1916 une communication où elle comparait Whitman à Rodin). Après une scène où les deux jeunes gens, égarés dans un no man’s land, sont sous le feu, la dernière ligne (« Quels rites ! Quelles obsèques ! ») a des accents whitmaniens. Un des grands amis de Victoria Grace Blackburn, son coreligionnaire anglican le poète Robert Winkworth Norwood*, figure à peine déguisé dans le roman sous les traits du révérend Norman Brooks. Comme ce dernier, Norwood – rector de l’église Cronyn Memorial de London de 1912 à 1917 – était un penseur moderne et un prédicateur dynamique selon qui la guerre était l’occasion d’instaurer la paix pour de bon.

Déterminée à honorer les Canadiens tués à la guerre, Victoria Grace Blackburn appuya le projet de construction d’un monument avec une flamme perpétuelle à proximité de London. Malgré son appui, on ne put amasser les 10 000 $ nécessaires, mais elle participa à l’érection d’un mémorial plus modeste qui fut terminé en 1926. Grande, charmante et pleine d’humour, Mlle Blackburn était active dans le milieu théâtral de London et dans de nombreux cercles et associations de la ville. Elle participa à la fondation de la section locale du Women’s Canadian Club en 1910, en fut présidente en 1918–1919 et exerça la même fonction au London Women’s Press Club de 1921 à 1923. Aujourd’hui, on a du mal à réprimer un certain scepticisme devant les éloges dithyrambiques dont elle fut l’objet de son vivant, mais son intelligence et ses commentaires suscitaient beaucoup d’admiration. En 1916, John William Garvin la décrivit ainsi dans une anthologie : « auteure au grand esprit et au grand cœur, penseur du vingtième siècle aux idées et à l’expression originales, poétesse qui commence à peine à donner la mesure de son talent ». En 1924, le romancier Arthur John Arbuthnott Stringer reconnut l’acuité de son sens critique. Les témoignages de ce genre continuèrent après son décès. En décembre 1930, le London Advertiser (propriété des Blackburn depuis 1926) cita un avis exprimé dans le Canadian Homes and Gardens de Toronto, à savoir que The man child était « une fort belle contribution à la littérature canadienne et peut-être à la littérature en général ».

À part une plaque commémorative à l’extérieur de la maison du 652 de la rue Talbot, où elle vécut durant 16 ans avec trois de ses sœurs, peu de choses rappellent, à London, l’apport de Victoria Grace Blackburn. Cette Canadienne, qui au début du xxe siècle œuvra dans le journalisme, produisit un roman intéressant et avait une grande maîtrise du vocabulaire, pourrait bien se faire de nouveaux amis au cours du siècle actuel.

James Stewart Reaney

Victoria Grace Blackburn est l’auteure de Fanfan’s poetry (the collected poetical works of Victoria Grace Blackburn), E. H. Jones, édit. (London, Ontario, 1967).

AO, RG 22-321, nº 18961.— St Paul’s Anglican Cathedral (London), RBMS.— Univ. of Western Ontario Arch., J. J. Talman Regional Coll. (London), Blackburn fonds, écrits de Victoria Grace Blackburn.— London Advertiser, 20 déc. 1930.— London Free Press, 22 févr. 1913, 29 oct. 1924, 3 févr. 2002.— Canadian poets, J. W. Garvin, edit. (Toronto, 1916), 383–388.— Nancy Geddes Poole, The art of London, 1830–1980 (London, 1984).— M. L. Lang, Women who made the news : female journalists in Canada, 1880–1945 (Montréal et Kingston, Ontario, 1999).— Flora MacDonald [Merrill (Denison)], « Miss Grace Blackburn », Sunset of Bon Echo (Toronto), 1 (mars 1916–avril/mai 1920), nº 3 : 19.— Michael Nolan, Walter J. Blackburn, a man for all media (Toronto, 1989).— Standard dict. of Canadian biog. (Roberts et Tunnell).— F. B. Ware, History of Cronyn Memorial Church, London, Ontario, 1873–1949 ([St Thomas, Ontario, 1949]).— Who’s who in Canada, 1922.

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James Stewart Reaney, « BLACKBURN, VICTORIA GRACE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/blackburn_victoria_grace_15F.html.

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Auteur de l'article:    James Stewart Reaney
Titre de l'article:    BLACKBURN, VICTORIA GRACE
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
Année de la révision:    2005
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