BROOKING, THOMAS HOLDSWORTH, marchand et leader de la campagne en faveur du gouvernement représentatif à Terre-Neuve, né à Stoke Fleming, Devon, Angleterre, et baptisé en l’église St Petrox, à Dartmouth, le 8 août 1790, fils de Thomas Brooking, douanier de port à Dartmouth, et de Hannah Channel ; à St John’s en 1816, il épousa Frances Mclea, fille d’un marchand écossais, et de ce mariage naquirent trois fils et trois filles ; décédé le 13 janvier 1869 à Londres.
Thomas Holdsworth Brooking était commis quand il vint travailler à Terre-Neuve en 1806 ou 1807, probablement pour le compte de la firme Hunt, Stabb, Preston, and Company, de Torquay., ou plus vraisemblablement pour la Hart, Eppes, Gaden, and Robinson, de St John’s et Londres. Quoi qu’il en soit, lorsque l’associé terre-neuvien de cette dernière compagnie, George Richard Robinson, retourna au « bureau chef », à Londres, en 1818, Brooking devint l’associé en second et la firme adopta le nom de Hart, Robinson, and Company. En 1822, l’associé principal s’étant retiré, la compagnie prit la raison sociale de Robinson, Brooking, and Garland ; l’autre associé était Joseph Bingley Garland, de Poole, qui dirigeait un gros commerce indépendant dans les baies de Trinité et de Bonavista.
Brooking à son tour rejoignit le bureau chef à la fin de 1831, et la direction de la filiale fut confiée à un nouvel associé en second, William Jaffray Hervey. Brooking ne revint jamais dans l’île ; des agents et des associés – parmi lesquels il y eut, un certain temps, deux de ses fils, George Thomas et Marmaduke Hart – se succédèrent à la tête de l’entreprise locale. À la suite du décès de Garland en 1840 et de la retraite de Robinson en 1850, Brooking resta le seul administrateur de la firme avec ses fils, bien que, au moment de sa mort, un certain nombre d’actions fussent détenues par un citoyen de St John’s, Frederick Joseph Wyatt, l’ « associé terre-neuvien ». Finalement, un procès coûteux opposant les deux fils entraîna la disparition de la compagnie en 1873.
La carrière de Brooking est typique de celle des membres du groupe de commerçants qui détenait le pouvoir à Terre-Neuve durant la première moitié du xixe siècle : il était jeune et possédait peu de biens à son arrivée, mais il avait de bonnes relations et il fit son apprentissage dans une entreprise florissante dont il finit par devenir le propriétaire. Il eut la main heureuse en choisissant de s’associer à la Hart, Robinson, and Company, une firme qui survécut à la stagnation prolongée du commerce de la pêche après 1815, et il accéda rapidement à un poste de commande. Dès le début, il était assuré d’une place respectable dans l’échelle sociale de St John’s où dominaient un petit groupe de commerçants de poisson et le noyau d’une classe professionnelle d’avocats et de médecins. Étant donné que les membres du groupe, en atteignant l’âge mûr, regagnaient presque toujours la Grande-Bretagne, les hommes jeunes et instruits obtenaient une marge singulière de liberté et d’autorité. L’île de Terre-Neuve, d’ailleurs, se trouvait dans une période de transition : après avoir été un « territoire de pêche saisonnière » visité par des milliers de pêcheurs mais habité par un petit nombre d’entre eux, elle était en voie de devenir une région populeuse et dynamique qui, en 1815, comptait 60 000 âmes. Avant 1800, l’île n’avait accueilli presque aucun marchand et, pour un jeune homme comme Brooking, elle était un véritable paradis. Il s’y trouvait peu d’institutions gouvernementales, et, à St John’s, la classe moyenne accaparait tous les postes influents et les responsabilités qu’elle pouvait obtenir. Il était inévitable que ces gens entrent en conflit avec le gouverneur et son groupe restreint de fonctionnaires ; en vérité, la période durant laquelle Brooking séjourna à Terre-Neuve en fut une où l’élite arracha graduellement l’autorité aux dirigeants et provoqua l’établissement d’un gouvernement représentatif en 1832.
En jetant un regard sur la participation de plus en plus large de Brooking aux affaires de Terre-Neuve, on peut constater à la fois que les principaux commerçants prirent la direction de la société d’une manière toute naturelle et que les citoyens réclamèrent des changements sociaux et politiques d’une voix de plus en plus pressante, ce qui est un trait marquant de cette époque à Terre-Neuve. Brooking se mêla aux affaires publiques pour la première fois en 1812, alors qu’il fit partie d’un comité chargé de mettre sur pied une loterie en vue de recueillir des fonds pour la construction des routes. Ce recours aux souscriptions privées montre bien les lacunes du gouvernement et la pauvreté de ses revenus à cette époque ; il montre aussi que l’élite des marchands se souciait du progrès, d’autant plus qu’elle vivait dans la colonie pendant toute l’année. En 1816, Brooking remplissait les fonctions de chef du grand jury qui était, dans l’île, le seul organisme à caractère représentatif. Dès lors, il demeura au premier plan de la vie sociale et politique jusqu’à son départ de Terre-Neuve. Il devint président d’un groupe qui tenta de construire un édifice pour les commerçants, puis il fut marguillier de l’église anglicane de St John’s et le premier garde-feu de la région située à la limite est de cette localité. Il fut l’un des membres fondateurs d’un comité chargé d’entrer en contact avec les Béothuks, une race en voie d’extinction [V. William Eppes Cormack] ; il fut également trésorier de la troupe de théâtre amateur de St John’s, président de la St John’s Library Society, membre de la société paroissiale pour l’établissement des cours du soir, président pendant des années de la Chamber of Commerce de St John’s, président du groupe des Amateurs of the Turf et l’un des fondateurs de la Newfoundland Fisherman’s and Shoreman’s Association. En 1825, l’importance de sa participation à la vie sociale lui valut d’être nommé aide de camp colonial du gouverneur avec le grade de lieutenant-colonel dans la milice.
Cependant, Brooking avait des préoccupations plus sérieuses que ne le laisse supposer ce zèle quelque peu mondain, quoique soutenu, pour les bonnes œuvres et il devint peu à peu celui qu’on identifiait aux changements sociaux et politiques qui se produisirent dans l’île. Brooking et quelques autres commerçants, tels Patrick Morris* et William Thomas, devançaient leurs collègues, en ce sens qu’ils percevaient la nécessité de provoquer des changements et de mobiliser derrière ce mouvement de réforme les petits marchands, les artisans et les pêcheurs à l’aise qui vivaient à St John’s. En outre, ils étaient les seuls, à Terre-Neuve, qui pouvaient s’entendre avec le premier et le meilleur propagandiste de la réforme, le docteur William Carson*, un homme brillant en politique mais vif de caractère. L’associé principal de Brooking, George Richard Robinson, élu député tory de Worcester en 1824, défendait les intérêts des réformistes auprès des autorités britanniques.
Brooking s’intéressa à des problèmes sociaux de plus vaste envergure au début de 1817, alors que l’incendie de St John’s, survenant après deux années de marasme et de faillite dans le domaine de la pêche, plongea dans une misère inimaginable les pauvres de la localité. La crise économique se prolongea et, en 1821, le grand jury présenta une requête, écrite probablement par Brooking en qualité de chef de cet organisme, laquelle préconisait l’intervention du gouvernement pour soulager les infortunés et recommandait même l’émigration des Terre-Neuviens vers la Grande-Bretagne ou vers d’autres parties de l’Amérique du Nord. Le gouvernement britannique s’occupa de subvenir aux besoins les plus pressants, mais le problème de la pauvreté ne fut pas résolu à sa source, et, en 1822, Brooking devint membre d’un autre comité mis sur pied pour venir en aide aux miséreux. C’est également cette année-là qu’il manifesta un intérêt (qui allait s’avérer sérieux et durable) pour l’éducation en créant un comité ayant pour but de fonder une école gratuite.
À mesure qu’il s’intéressait de plus près à la confusion et à la pauvreté qui régnaient dans la société de Terre-Neuve pendant la période post-napoléonienne, Brooking acquit la conviction que seuls des changements radicaux pouvaient redresser la situation. Si, en 1819, il ne souhaitait rien d’autre, semble-t-il, qu’un organisme municipal à St John’s capable de maîtriser les « fléaux » et de lutter contre le danger d’incendie qui était une menace permanente, il eut tôt fait de se joindre aux efforts accomplis par Carson et Morris en vue d’obtenir la réforme globale des lois s’appliquant à Terre-Neuve. Au début des années 20, les réformistes en vinrent à croire que la situation des insulaires tant au point de vue moral que matériel ne pouvait être améliorée que par un régime de gouvernement représentatif. À la suite des pressions exercées par ces gens, les autorités impériales présentèrent en 1824 trois nouvelles lois qui supprimaient l’ancien mode de gouvernement et instauraient des réformes dans le système judiciaire et administratif.
Bien qu’elles fussent loin d’avoir un caractère révolutionnaire, les nouvelles mesures étaient importantes sur le plan symbolique : elles signifiaient que le gouvernement britannique allait désormais considérer Terre-Neuve en pratique comme une colonie et non plus comme un territoire de pêche. Elles prévoyaient l’établissement d’un Conseil exécutif non électif ; Brooking fut nommé à cet organisme, mais ni lui ni les autres réformistes n’étaient satisfaits des progrès accomplis et l’agitation se poursuivit. La lutte, cependant, porta sur un nouvel objectif : il ne s’agissait plus de persuader le gouvernement britannique de la nécessité des réformes, mais bien de mettre fin aux dissensions dans la société de l’île, et plus particulièrement de vaincre l’apathie de la plupart des gens, surtout à l’extérieur de St John’s, à l’égard de l’ensemble de la question gouvernementale. Par exemple, la nouvelle législation prévoyait la création d’un conseil municipal à St John’s, et Brooking se donna beaucoup de mal pour amener les citoyens à soutenir le projet. Malgré ses efforts, la proposition fut battue à plate couture. Les réformistes, après avoir essuyé cet échec à l’échelon de la localité, s’attaquèrent à un problème plus vaste en cherchant à obtenir un gouvernement « local » pour la colonie tout entière. Brooking et son associé Robinson se consacrèrent sans relâche à cette campagne dans laquelle ils jouèrent un rôle essentiel ; en raison de leur fortune et de leur prestige, ils rendaient le projet respectable aux yeux des autorités britanniques. Robinson soumit des pétitions au parlement, tandis que Brooking présida les réunions réformistes qui se multipliaient à St John’s. Quand Brooking regagna l’Angleterre en 1831, alors que le gouvernement représentatif allait être instauré, le bruit des applaudissements des gens de toutes conditions, Irlandais et Anglais, protestants et catholiques, résonnait encore à ses oreilles. Chacun se félicitait de l’atmosphère d’amitié et de collaboration que la campagne avait créée. Quatre années plus tard, toutefois, la population de Terre-Neuve était profondément divisée, et les commerçants protestants (formant alors le parti conservateur), qui avaient appuyé avec tant d’enthousiasme le projet de gouvernement local, demandaient avec énergie l’abandon de cette expérience sous prétexte que les habitants de Terre-Neuve n’étaient pas mûrs pour la liberté. Thomas Holdsworth Brooking était disposé à admettre qu’il partageait leurs vues.
La carrière de Brooking, bien sûr, ne se termina pas avec son départ de Terre-Neuve à l’âge de 41 ans ; son entreprise prospéra encore du, tant près de 40 années. En Angleterre, cependant, il semble qu’il se détourna des questions sociales et politiques pour se consacrer à ses affaires et, notamment, il spécula sur les terres de l’Île-du-Prince-Édouard conjointement avec Samuel Cunard et d’autres, et il associa sa firme aux importantes activités de la Lloyd de Londres. La fièvre de la réforme avait cédé la place à la recherche individuelle de l’opulence qui fut un trait dominant du monde du commerce de la période victorienne.
Cathedral of St John the Baptist (Anglican) (St John’s), marriage register, 1816.— H. M. Customs and Excise Library (Londres), Customs 65/3, Outport letters (Dartmouth), juin 1788.— PANL, GN 2/1, mars 1819, oct. 1821, oct. 1822, 19 oct. 1825 ; Nfld., Surrogate Court, St John’s, Minutes, déc. 1816.— PRO, BT 107/472, déc. 1818 ; CO 194/68, 344 ; 194/71.— St Petrox Anglican Church (Dartmouth, Devonshire, Angl.), baptismal and marriage registers.— G.-B., Statutes, 5 Geo. IV, c.51, c.67, c.68.— Newfoundlander, sept. 1828, mars 1829, 15 janv. 1869.— Newfoundland Mercantile Journal (St John’s), 7 août 1818–9 mars 1820, mai, nov., 22 déc. 1822.— Public Ledger, déc. 1828, févr. 1829–mars 1832.— Royal Gazette (St John’s), févr. 1812, mars 1817, sept. 1830, 18 déc. 1831, 8 déc. 1840, 11 nov. 1852, 13 janv., 4 mai 1869, 21 janv. 1873, 24 juin 1907.— Gunn, Political history of Nfld., 79.— A. H. McLintock, The establishment of constitutional government in Newfoundland, 1783–1832 [...] (Londres, 1941).— Keith Matthews, The class of ‘32 (St John’s, 1974).
Keith Matthews, « BROOKING, THOMAS HOLDSWORTH », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/brooking_thomas_holdsworth_9F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/brooking_thomas_holdsworth_9F.html |
Auteur de l'article: | Keith Matthews |
Titre de l'article: | BROOKING, THOMAS HOLDSWORTH |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 9 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1977 |
Année de la révision: | 1977 |
Date de consultation: | 2 oct. 2024 |