FRANQUELIN, JEAN-BAPTISTE-LOUIS, cartographe, hydrographe du roi à Québec, né vers 1651 à Saint-Michel de Villebernin (Indre), venu au Canada en 1671, mort en France après 1712.
Franquelin était venu au Canada pour faire du commerce, et de son propre aveu il y connut assez de succès au cours des trois premières années. De fait, il semble avoir réalisé des bénéfices assez considérables pour en vivre pendant les neuf années qui suivirent, à moins que son hôte, Jean Juchereau* de La Ferté, se fût chargé de son entretien. Le gouverneur Buade* de Frontenac le persuada en 1674 d’abandonner le commerce pour se consacrer entièrement à la cartographie. De retour à Québec après ses explorations au Mississipi, Louis Jolliet* avait dressé de mémoire une carte de la route qu’il avait suivie mais le gouverneur désirait envoyer à Paris une carte plus grande, plus soignée et plus complète. Ainsi, de 1674 à 1693, Franquelin traça des cartes que les gouverneurs et les intendants joignirent aux dépêches qu’ils envoyaient en France. Parmi ces cartes se trouvaient les plus grandes et les plus belles au point de vue artistique qu’on ait faites au Canada au cours du xviie siècle. Franquelin avait sans doute appris cet art durant sa jeunesse car la cartographie était enseignée dans les collèges de France à cette époque. Sa carrière à Québec laisse croire qu’il avait apporté avec lui ses instruments de dessinateur, ses couleurs et ses pinceaux. Grâce à son attirail, il était le seul à Québec en mesure de faire un travail professionnel. Il s’acquit une réputation en coloriant ses cartes et en dessinant des arbres, des castors et des caribous dans les régions inexplorées.
Il termina la carte intitulée « Carte de la descouverte du Sr Jolliet » en 1675. Il y avait indiqué la route à suivre en canot et par portages de Montréal à la pointe ouest du lac Supérieur, au Mississipi et, de là, au golfe du Mexique. C’était une carte de grandes dimensions, mesurant 100 centimètres sur 67. Franquelin a signé ses premières cartes Joannes Ludovicus Franquelin pinxit, ce qui nous permet de supposer qu’il avait reçu une formation classique et qu’il aimait les traditions de l’ancien monde. Ce n’est qu’après dix ans à Québec qu’il adopta la coutume qui avait cours dans les colonies et se mit à signer ses œuvres en langue française.
Franquelin fit preuve de courage et d’indépendance d’esprit en 1681 : il réalisa une carte de l’Amérique du Nord en quatre sections mesurant chacune 100 centimètres sur 68. Quoique Richelieu eût décrété en 1634 que la longitude devait être établie en prenant Hierro (dans les îles Canaries) comme point d’origine, il déclara sur sa carte qu’il calculait la longitude vers l’Est en prenant les Açores comme point d’origine. Cependant, ni le gouverneur, ni l’intendant de la Nouvelle-France, ni les autorités à Paris ne jugèrent que Franquelin avait enfreint la loi française, ce faisant. Comme il situe le cap Race (Terre-Neuve) à 338° de longitude il semble bien que par les « Açores » il veuille dire Corvo, la plus à l’ouest des chaînes d’îles de l’archipel des Açores. Les calculs situaient le cap Race à 22° à l’ouest de Corvo. Les marins lui avaient appris que la route la plus sûre pour se rendre au Canada à partir de la France passait par les Açores. Arrivés devant Corvo, ils changeaient le cap à 22º nord-ouest et, après s’être déplacés de 22° de longitude à l’ouest de Corvo, ils étaient habituellement en vue du cap Race. À l’époque l’on considérait Corvo comme l’extrémité ouest du continent européen, et le cap, Race comme en étant le point de l’Amérique du Nord le plus rapproché.
Le gouverneur Le Febvre* de La Barre fit porter ses dépêches à Paris en novembre 1683 par Pierre Le Moyne d’Iberville, alors âgé de 22 ans, et les cartes servant d’illustration à ces dépêches par leur auteur, Franquelin, voyageant à ses propres frais. Cavelier* de La Salle, qui se rendit en France à la même époque, s’assura l’attention bienveillante de Franquelin et l’année suivante à Paris celui-ci signait sa « Carte de la Louisiane ou des voyages du Sr de La Salle et des pays qu’il a découverts depuis la Nouvelle France jusqu’au Golfe Mexique les années 1679, 80, 81 et 82 ». Cette carte fut par la suite copiée maintes et maintes fois. L’original faisait 180 centimètres sur 140 mais la plupart des copies sont de moindres dimensions. La Salle et Franquelin s’embarquèrent tous deux à La Rochelle en 1684 : le premier partait en expédition au golfe du Mexique tandis que le second retournait à Québec.
En 1685, Brisay de Denonville qui venait juste d’arriver pour succéder à Le Febvre, écrivit au ministre de la Marine qu’il avait grand besoin d’un professeur de navigation à Québec car depuis la mort de Boutet* de Saint-Martin en 1683 personne n’avait enseigné cette discipline. Denonville recommandait soit Franquelin, soit Louis Jolliet. Franquelin fut choisi et c’est Bochart de Champigny, venu remplacer l’intendant de Meulles, qui apporta la nouvelle de la nomination à Québec en 1686. Franquelin ne voulait pas de cette fonction qui ralentirait son activité de cartographe pour un maigre traitement de 400# par an. La seule location d’une maison assez grande pour loger tous les aspirants pilotes aurait coûté, selon lui, 300# par an. Il ne fit pas allusion à une autre complication : il n’était plus célibataire, ayant épousé, le 4 février 1683, Élisabeth Chesne (ou Chesnay), fille du notaire Claude Auber*. Mère de huit enfants, elle avait perdu son premier mari peu de temps auparavant. Franquelin avait appris ce qu’il en coûte pour faire vivre dix personnes, lui qui n’était guère habitué à une vie frugale. En dépit de tous ces obstacles, il accepta le poste sur les ordres du gouverneur qui n’avait pas perdu tout espoir de lui obtenir une augmentation de traitement.
En 1686, Franquelin apposa sa signature sur une carte en y ajoutant le titre de « géographe du roi ». L’année suivante il reçut sa commission d’ « hydrographe du roi à Québec » et dès lors c’est ce titre qui accompagna sa signature. Mais il n’était pas satisfait de sa situation. Denonville et Champigny imaginèrent, pour régler ses difficultés, une solution qui devait faire aussi leur affaire. Comme ils étaient insatisfaits des services de l’ingénieur Villeneuve*, très lent à dresser ses plans, ils proposèrent au ministre de la Marine de verser le traitement de Villeneuve à Franquelin (en plus du sien) et de confier l’enseignement de la navigation aux Jésuites. En 1688, le ministre n’ayant pas encore donné suite à cette proposition, Franquelin fit à ses propres frais un autre voyage en France pour plaider sa cause. Il apportait avec lui une fort belle carte représentant toute l’Amérique du Nord connue à l’époque, pour répondre à une requête de la cour qui désirait une carte où seraient indiquées les frontières entre la Nouvelle-France et la Nouvelle-Angleterre. Il présenta en même temps que sa carte une requête dans laquelle il réitérait ses arguments pour une augmentation de traitement. Il demandait, en plus de son traitement, celui d’un ingénieur au Canada, car, s’il devait continuer son enseignement tout en préparant de nouvelles cartes chaque année, il lui faudrait engager un dessinateur. Louis XIV se laissa toucher et écrivit au gouverneur et à l’intendant qu’il serait prêt à approuver la nomination de Franquelin comme ingénieur si cela convenait à Denonville. Dans l’intervalle, Villeneuve recevrait l’ordre de retourner en France et durant son absence son traitement serait versé à Franquelin. Le roi évitait de parler de la permanence de cet arrangement par lequel Franquelin occuperait deux postes.
Franquelin revint à Québec et Villeneuve fut temporairement suspendu. Mais, à Québec en cet été de 1689, se produisaient des événements plus importants que les nouvelles concernant Franquelin et Villeneuve. À l’arrivée des navires, on avait appris que la France était en guerre avec l’Angleterre, la Hollande et l’Espagne, et que Frontenac, qui venait remplacer Denonville comme gouverneur de la Nouvelle-France, était en route vers le Canada avec ordre d’attaquer Albany par voie de terre et Manhattan par mer. Dès son arrivée à Québec, en octobre, Frontenac trouva la colonie sous l’emprise de la peur à la suite du terrible massacre des habitants de Lachine par les Iroquois au mois d’août. Seuls les Iroquois étaient prêts à faire la guerre. Quand Denonville et Villeneuve s’embarquèrent pour la France en novembre, on envia leur bonne fortune. De retour en France, Denonville demanda encore avec instance que l’on dispensât Franquelin de l’enseignement de la navigation, vu que cette tâche ne l’intéressait pas et que les Jésuites s’en acquitteraient mieux.
Franquelin remplit les fonctions d’ingénieur de novembre 1689 à juin 1691 au moins, puisqu’à cette date il dressa les plans de la batterie de Québec. C’était une époque mouvementée. Sir William Phips* arriva devant Québec avec sa flotte en octobre 1690 et fit le siège de la ville pendant huit jours. On confia alors à Franquelin la tâche d’ériger des défenses de fortune et Frontenac loua la compétence dont il fit preuve à cette occasion.
En 1691, sur les ordres de Frontenac, Franquelin dressa des cartes de la côte de la Nouvelle-Angleterre en vue d’une invasion par mer, mais le navire qui emportait les cartes en France fit naufrage en cours de route. En 1692 (après le retour de Villeneuve à Québec), Frontenac envoya Franquelin en voyage de reconnaissance, à bord de l’Envieux, le long de la côte de la Nouvelle-Angleterre avec ordre de se rendre ensuite à Paris pour y tracer toutes les cartes nécessaires. Il envoya avec lui l’aventurier Laumet dit de Lamothe Cadillac qui connaissait cette côte. Ils arrivèrent en France en novembre 1692 et, l’année suivante, Franquelin terminait une carte de la côte de la Nouvelle-Angleterre. Bien faite, cette carte indiquait « le Chemin par Terre et par Mer de Boston a Manathes ». Il dressa au cours de la même année une carte de la baie de Boston, de la ville et de ses environs, « vérifiée par le Sr de la Motte [alias Cadillac] ».
Franquelin et Cadillac n’étaient à Paris que depuis un mois quand Villeneuve y arriva inopinément après avoir démissionné de ses fonctions à Québec. Pour Franquelin, les choses allèrent très vite. Sans perdre de temps il posa sa candidature au poste que Villeneuve venait de quitter mais, le 1er mars 1693, le roi décréta que Franquelin resterait à Paris cette année-là pour dresser des cartes de la Nouvelle-Angleterre et nomma Levasseur de Neré, un ami de Frontenac, ingénieur à Québec. Franquelin fit appel au roi, déclarant que le traitement d’hydrographe du roi ne lui permettait pas de subvenir aux besoins de sa famille et qu’en outre il avait laissé des dettes considérables à Québec. Il proposa que si, en reconnaissance de ses années de service sans rétribution, on faisait venir sa famille en France il l’installerait sur un domaine qu’il possédait en Touraine et retournerait seul au Canada. Le roi donna ordre que la femme de Franquelin, huit de ses enfants et leurs deux servantes soient ramenés sans frais à bord du premier navire du roi qui quitterait Québec à destination de la France. Champigny rapporta le 4 novembre qu’il avait veillé au nécessaire pour que Mme Franquelin et sa famille ne manquent de rien au cours de leur traversée à bord du Carossol. Quand le dernier navire à quitter Québec arriva en France cette année-là, il apportait la nouvelle que le Carossol avait fait naufrage sur un récif à environ 350 milles en aval de Québec et que seuls quelques membres de l’équipage avaient été sauvés.
Alors qu’il était encore bouleversé par la terrible nouvelle, Franquelin fit appel dans un mémoire à la pitié du ministre de la Marine. Il se trouvait maintenant non seulement en deuil de sa femme et de sa famille mais privé aussi de l’aide financière que sa femme apportait pour rembourser les amis qui lui avaient avancé de l’argent durant son séjour à Paris. On en arriva à une entente et Franquelin se vit offrir le passage gratuit à Québec. Son nom figurait sur la liste des passagers de la Charente en avril et, en mai, le roi avertit Frontenac et Champigny que Franquelin, son hydrographe, retournait à Québec. Mais, en novembre, le gouverneur et l’intendant semblaient quelque peu ennuyés lorsqu’ils écrivirent au ministre de la Marine que Franquelin n’était pas arrivé à Québec, contrairement à ce que leur avait annoncé la dépêche du roi. On se perd en conjectures sur les raisons qui empêchèrent ou décidèrent Franquelin à ne pas retourner au Canada en 1694. Il se peut qu’il fût retenu à Paris à la demande du très puissant Le Prestre de Vauban. La France qui était encore en guerre rêvait de chasser les Anglais de l’Amérique du Nord, et Franquelin était en mesure de dresser les cartes des points stratégiques du continent nord-américain.
De fait, Franquelin ne retourna au Canada ni en 1694, ni les deux années suivantes. Il demeura dans les bonnes grâces du roi et l’on sait qu’en janvier 1697 il travaillait pour le compte de Vauban qui le tenait très occupé. Louis Jolliet, qui avait fait un séjour à Paris entre décembre 1695 et mars 1696, revint à Québec avec la nouvelle qu’il succéderait à Franquelin comme professeur d’hydrographie à Québec. La commission l’instituant hydrographe du roi à Québec portait la date du 30 avril 1697. Il nous reste une carte du fleuve Mississipi faite à Paris cette année-là et portant l’inscription : J. B. Louis Franquelin, Hydr. & Geogr. du Roy, 1697. Franquelin prétend représenter sur cette carte le résultat des explorations que Le Sueur aurait faites au Mississipi en se dirigeant vers le Nord à partir de l’embouchure de la rivière Wisconsin. Or le point le plus au nord que Le Sueur avait atteint en 1695 était Red Wing (Minnesota) et durant l’hiver de 1696–1697 il était à Paris. Dans l’ordre chronologique des cartes qui nous sont connues, en vient ensuite une signée et datée comme suit : Jean Baptiste Louis Franquelin, Geographe du Roy, 1699. Cette carte en quatre sections représente la Nouvelle-France, y compris la vallée du Mississipi et les découvertes faites par La Salle au cours de sa dernière expédition, telles que consignées par Le Clercq*.
Louis Jolliet mourut en 1700 avant que les derniers navires aient quitté Québec à destination de la France. À la demande de Franquelin lui même, le roi le nomma offiiciellement professeur d’hydrographie à Québec le 18 mai 1701. Pourtant, Franquelin ne vint pas au Canada en 1701, ni l’année suivante. On ne sait pas pourquoi. En 1703 Jean Deshayes fut nommé à ce poste et, après sa mort, en décembre 1706, le gouverneur et l’intendant demandèrent que les Jésuites soient priés d’assurer la continuité de l’enseignement. Leur demande ayant été agréée en 1708, les Jésuites assumèrent envers le roi la responsabilité de l’enseignement de l’hydrographie à Québec jusqu’à la fin du régime français.
Franquelin avait demandé en 1701 d’être nommé hydrographe à Québec. Nous n’avons aucune preuve qu’il ait sollicité ou qu’on lui ait offert le poste que la mort de Deshayes avait laissé vacant. Il dressa en 1708 une petite carte de la Nouvelle-France admirablement bien faite qu’il dédia en ces termes à Jérôme Phélypeaux, ministre de la Marine et des Colonies : « Par son tres humble, tres obeissant et tres fidele serviteur Franquelin ». Cette dédicace nous rappelle que Vauban, avec qui Franquelin avait travaillé, était tombe en défaveur auprès du roi en 1707 et qu’il était mort en disgrâce la même année. La petite carte de Franquelin, plus belle qu’utile, était peut-être un gage de fidélité offert au ministre du roi ou peut-être un cadeau d’adieu.
Nous ne connaissons ni le lieu ni la date de la mort de Franquelin. Nous savons qu’il fut déclaré vivant lors de la signature du contrat de mariage de sa fille Élisabeth à Joseph Lemieux en 1712 et qu’une autre de ses filles, Marie-Anne, le déclara mort lorsqu’elle signa son contrat de mariage à Jacques Quesnel en 1730. Il était à Paris en 1708. Il s’est peut-être retiré en Touraine avant de mourir. Il n’avait jamais été une figure éminente dans les milieux brillants où il avait évolué et à un moment donné nous perdons sa trace. Célibataire, il avait été un jeune homme réservé, un rêveur et un artiste voué à la cartographie. Il s’était soudainement aperçu de la nécessité d’obtenir une rétribution suffisante pour son travail, à la suite de son mariage. Après la mort de sa femme il se mit, à Paris, à se nourrir d’illusions : il retournerait au Canada, ferait le relevé de toutes les terres cultivées de la Nouvelle-France et le tracé de routes pour relier Québec à Albany, Boston et l’Acadie ; il rechercherait une route plus courte pour se rendre à la baie d’Hudson par voie de terre. Il n’a jamais manifesté le désir de revoir ses enfants à Québec. Son passage pour le Canada était retenu mais il ne s’est pas embarqué. Il semble que, entre les voyages et son studio, l’attrait de sa boîte de couleurs et de ses pinceaux l’emportait.
BN,
M. W. Burke-Gaffney, « FRANQUELIN, JEAN-BAPTISTE-LOUIS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/franquelin_jean_baptiste_louis_2F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/franquelin_jean_baptiste_louis_2F.html |
Auteur de l'article: | M. W. Burke-Gaffney |
Titre de l'article: | FRANQUELIN, JEAN-BAPTISTE-LOUIS |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1969 |
Année de la révision: | 1991 |
Date de consultation: | 21 nov. 2024 |