WIEBE, GERHARD, fermier, évêque mennonite et auteur, né le 25 juillet 1827 dans la colonie mennonite de Chortitza (près de Zaporojïé, URSS), aîné des enfants de Gerhard Wiebe et d’Agatha Dyck ; le 12 juin 1847, il épousa dans la colonie mennonite de Bergthal, près de Marioupol (Jdanov, URSS), Elizabeth Dyck, et ils eurent deux filles et huit fils ; décédé le 3 mai 1900 à Chortitz (Randolph, Manitoba).
Comme un grand nombre d’Européens qui allèrent s’installer en Russie dans la seconde moitié du xviiie siècle, les ancêtres de Gerhard Wiebe quittèrent en 1789 la région de Gdansk, en Pologne, pour gagner l’établissement mennonite de Chortitza. Wiebe grandit dans cette colonie allemande qui était relativement isolée du reste de la société russe. L’Église mennonite tenait une école dans chaque village, et c’est là que, à l’instar de tous ses petits coreligionnaires, garçons et filles, il apprit à lire, à écrire, à compter et acquit des rudiments de religion. En général, ces études élémentaires duraient six ans. Comme la loi russe interdisait aux chefs des familles mennonites de subdiviser leur concession foncière de base, qui s’étendait sur environ 175 acres, beaucoup de villages ne tardèrent pas à manquer de terres. En conséquence, les membres d’un certain nombre de familles en étaient réduits à se faire embaucher comme ouvriers agricoles, ce qui les plaçait dans une situation économique (et souvent dans une position sociale) inférieure à celle des petits propriétaires paysans. Les parents de Wiebe appartenaient probablement à cette classe car, lorsqu’il eut 12 ans, ils allèrent s’établir avec leurs enfants dans la colonie de Bergthal, au sud-est de Chortitza. Fondé en 1836, Bergthal était le premier établissement que les mennonites avaient mis sur pied dans le but d’accueillir les familles sans terre de Chortitza, et il en vint à comprendre cinq villages. En partie à cause du déménagement de sa famille, Wiebe ne fréquenta aucune des écoles secondaires qui existaient dans les colonies mennonites établies depuis longtemps. Cependant, il poursuivit ses études seul.
On sait peu de chose sur son activité de fermier à Bergthal, sinon qu’il était propriétaire d’une ferme d’environ 175 acres. Ce fut surtout en tant que chef spirituel qu’il se signala. Baptisé à sa profession de foi le 26 mai 1846, il fut élu au diaconat huit ans plus tard, à l’âge de 27 ans. Le 23 décembre 1861, à 34 ans, il fut ordonné ministre et, le 27 mars 1866, il devint le deuxième évêque de l’Église mennonite Bergthal.
Dans les années 1860, la Russie connut d’importants bouleversements sociaux et politiques – émancipation des serfs et montée du nationalisme, par exemple – qui firent perdre bon nombre de leurs privilèges aux mennonites et aux autres colons étrangers. L’usage du russe fut imposé dans les écoles et dans l’administration des colonies ; on parla même de priver les mennonites de l’exemption complète du service militaire. Pour Wiebe, pareilles choses étaient inacceptables. Comme il avait la charge de quelque 3 000 âmes, il se mit bientôt à préconiser l’émigration. Environ un tiers seulement des mennonites de Russie décidèrent de partir, mais sous l’influence de Wiebe toute la colonie de Bergthal immigra au Canada entre 1874 et 1876. Wilhelm Hespeler*, agent spécial d’immigration du gouvernement du Canada, fut l’un de ceux qui convainquirent les mennonites de choisir le Manitoba. Wiebe débarqua à Québec pendant l’été de 1875 avec un groupe de 50 familles et alla rejoindre les mennonites qui s’étaient établis plus tôt dans le sud du Manitoba, à l’est de la rivière Rouge, dans un bloc de huit cantons connu sous le nom de réserve de l’Est.
Wiebe prit immédiatement la direction de l’Église mennonite Bergthal au Canada. Dans les trois premières années qui suivirent son installation, il eut le malheur de perdre sa femme et trois de ses enfants. En outre, il dut décider si les écoles de la colonie s’intégreraient au réseau public du Manitoba. En tant que membre de la section protestante du bureau d’Éducation de la province, Hespeler offrit des subventions aux écoles mennonites. Une trentaine d’écoles de village s’intégrèrent au réseau public en 1878 mais le quitteraient quelques années plus tard, parce que Wiebe commençait à craindre que la secte ne perde son autorité sur elles à cause des subventions gouvernementales.
D’un point de vue économique, les premières années des mennonites au Manitoba furent difficiles. Après plusieurs visites, Wiebe obtint un prêt de la communauté mennonite de l’Ontario, qui était établie depuis plus longtemps. Ce prêt ainsi qu’un autre de 100 000 $ du gouvernement fédéral, négocié au début de 1875 par le mennonite ontarien Jacob Yost Shantz*, furent accordés à l’ensemble de la communauté plutôt qu’à des particuliers. Au début des années 1890, les mennonites du Manitoba seraient si prospères qu’ils auraient remboursé la plus grande partie de leurs dettes.
Wiebe contribua à la fondation de la First Mennonite Church de Mountain Lake, au Minnesota, et en ordonna le premier évêque, Gerhard Neufeld, en 1878. Un an plus tard, il prit pour coadjuteur le révérend David Stoesz, qui lui succéderait à l’épiscopat en 1882 et exercerait ses fonctions dans le même esprit que lui. L’autorité de Wiebe dans l’Église et la communauté connut une fin abrupte lorsque, au début de 1882, en raison d’une faute morale de nature inconnue, il dut démissionner de sa charge d’évêque. Selon un livre qu’il écrivit plusieurs années plus tard, cette période fut profondément traumatisante pour lui.
En général, c’est surtout à partir de son conservatisme en matière d’éducation que l’on évalue le rôle que Wiebe a joué dans la société mennonite et canadienne. Walter Quiring écrit que la secte de Bergthal en Russie était une entité qui craignait tout ce qui était profane et inconnu, et qui s’y fermait. Selon Henry J. Gerbrant, Wiebe était « dépourvu d’instruction, paranoïaque et passablement incapable de comprendre le monde cruel qui s’étendait au delà de la colonie ». Effectivement, il tenta avec beaucoup de conviction de perpétuer le rôle de l’école comme aile enseignante de l’Église. À ses yeux, la fonction principale de l’école était de préparer les enfants à bien jouer leur rôle dans l’Église, et il exigea que le catéchisme et la Bible forment la base du programme. Au Canada, lui-même et ses successeurs parvinrent à garder leurs écoles en dehors du réseau public du Manitoba jusqu’en 1920. Cette année-là, le gouvernement modifia la loi pour imposer, par décret, des écoles publiques aux districts récalcitrants. Plutôt que d’accepter des écoles non confessionnelles, un nombre important des fidèles que Wiebe avait dirigés décidèrent alors d’émigrer au Paraguay.
Indubitablement, on se souvient de Gerhard Wiebe surtout parce qu’il a été le chef de la communauté de Bergthal au cours des dures années d’immigration et d’installation au Canada. Malgré les nombreux obstaclés, il put convaincre toute sa colonie d’émigrer. Les riches vinrent en aide aux pauvres et le remboursement des dettes internes fut différé jusqu’à ce que la situation économique se soit redressée. La plupart des mennonites qui quittèrent la Russie pour l’Amérique du Nord au xixe siècle s’établirent aux États-Unis. Ce fut largement grâce à l’influence de Wiebe et de ses collègues que près de 7 000 d’entre eux choisirent le Canada, convaincus qu’il leur offrait plus de garanties en matière de liberté religieuse (dont l’exemption du service militaire) que la république américaine.
Gerhard Wiebe est l’auteur de : Ursachen und Geschichte der Auswanderung der Mennoniten aus Russland nach Amerika (Winnipeg, 1900), traduit en anglais et publié sous le titre de Causes and history of the émigration of the Mennonites from Russia to America, Helen Janzen, trad. (Winnipeg, 1981).
Mennonite Heritage Centre Arch. (Winnipeg), Chortitzer Mennonite Church reg. (mfm) ; Church reg. of the congrégation at Bergthal, box 2222 ; Diary of David Stoesz, box 1559.— Manitoba, Assemblée législative, Journaux, 1881–1883.— The Mennonite encyclopedia : a comprehensive reference work on the Anabaptist-Mennonite movement (4 vol., Hillsboro, Kans., 1955–1959).— F. H. Epp, The Mennonites in Canada, 1786–1920 ; the history of a separate people (Toronto, 1974).— H. J. Gerbrandt, Adventure in faith ; the background in Europe and the development in Canada of the Bergthaler Mennonite Church of Manitoba (Allone, Manitoba, 1970).— Klaas Peters, Die Bergthaler Mennoniten und deren Auswanderung aus Ruszland und Einwanderung in Manitoba [...] (Hillsboro, 1924).— Walter Quiring, Russlanddeutsche suchen eine Heimat ; die deutsche Einwanderung in den paraguayischen Chaco (Karlsruhe, République fédérale d’Allemagne, 1938).— William Schroeder, The Bergthal colony (Winnipeg, 1974 ; réimpr., 1986).— Adolf Ens et Rita Penner, « Quebec passenger lists of Russian Mennonite immigration », Mennonite Quarterly Rev. (Goshen, Ind.), 48 (1974) : 527–531.
Adolf Ens, « WIEBE, GERHARD », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 22 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/wiebe_gerhard_12F.html.
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Auteur de l'article: | Adolf Ens |
Titre de l'article: | WIEBE, GERHARD |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1990 |
Année de la révision: | 1990 |
Date de consultation: | 22 déc. 2024 |