TROTTIER, MARGUERITE, dite Saint-Joseph, sœur de la Congrégation de Notre-Dame, supérieure de la communauté (supérieure générale), née à Batiscan (Québec) le 21 avril 1678, fille de Jean-Baptiste Trottier et de Geneviève de La Fond, décédée en mer au large de l’île d’Orléans, le 6 octobre 1744.

Marguerite Trottier appartenait à l’une des familles-souches de Batiscan. Lorsque les jésuites avaient ouvert leur seigneurie à la colonisation en 1666, quatre frères du nom de Trottier étaient au nombre des censitaires. Ils venaient de Trois-Rivières, où leur père, Jules, s’était établi en 1646, arrivant de Saint-Martin d’Igé (dép. de l’Orne, France) dans le Perche. Il a été impossible de retrouver l’acte de baptême de Marguerite, Batiscan n’étant qu’une mission desservie par les jésuites en 1678. C’est ce qui explique que Cyprien Tanguay* et les quelques historiens, dont Étienne-Michel Faillon* et Benjamin Sulte*, qui ont parlé de la famille Trottier, soient en désaccord sur la généalogie de Marguerite Trottier. Mais nous croyons pouvoir établir d’après le recensement de 1681, suivi, semble-t-il, par l’Histoire de la Congrégation de Notre-Dame, que Marguerite était la fille de Jean-Baptiste Trottier, le plus jeune des frères Trottier, et de Geneviève de La Fond, fille d’Étienne de La Fond et de Marie Boucher, sœur de Pierre Boucher*.

C’est dans son village natal que Marguerite connut les sœurs de la Congrégation de Notre-Dame. Dès 1679, Marguerite Bourgeoys* établit des missions à Champlain et à Batiscan. Les sœurs durent se retirer en 1685, « manquant des ressources indispensables pour vivre et faire à leur tour la charité ». Mais leur mission, bien que temporaire, amena plusieurs recrues à la congrégation. Marguerite et sa sœur Catherine, de quatre ans son aînée, furent envoyées au pensionnat de Montréal, puis elles demandèrent leur admission dans la communauté. Elles firent profession en 1694.

Sœur Marguerite Trottier partit aussitôt pour Château-Richer où elle mérita, d’après un mémoire de 1698, l’exceptionnelle réputation de « très bonne maîtresse d’école ». En août 1698, elle fut du nombre des sœurs du district de Québec que Mgr de Saint-Vallier [La Croix*] convoqua pour la cérémonie d’approbation des règles de la congrégation. Sœur Trottier fit alors les quatre vœux de pauvreté, chasteté, obéissance et instruction des filles. Plus tard, elle rendit sa profession perpétuelle en émettant le vœu de stabilité dans la communauté. À cette occasion, elle reçut le nom de Saint-Joseph. Rappelée de Château-Richer à Ville-Marie en 1705, elle fut nommée dépositaire de la communauté. Manifestant une grande aptitude aux affaires, elle occupa ce poste pendant 17 ans, jusqu’à son élection, en 1722, à la direction générale de la congrégation.

C’est sous le supériorat de sœur Saint-Joseph que parut la première biographie de la fondatrice, Marguerite Bourgeoys : un petit volume de 123 pages, publié par l’abbé Sylvestre-François-Michel Ransonnet, à Avignon en 1728 et intitulé La vie de la sœur Bourgeois [...]. Comme supérieure de l’institut, sœur Saint-Joseph présida aussi, sans l’approuver cependant, à la fondation de la mission de Louisbourg en 1727 par Marguerite Roy, dite sœur de la Conception.

Après avoir laissé le poste de supérieure, sœur Saint-Joseph fut désignée à la direction de la mission de Louisbourg. La tâche s’annonçait difficile et il fallait une personne qualifiée pour assurer la solidité de cet établissement, compromis par la mauvaise administration de sœur Roy. Mgr Dosquet* avait arrêté son choix sur sœur Trottier, car « elle est, écrit-il, fort entendue dans le temporel, et d’une vertu à toute épreuve ».

À l’automne de 1735, sœur Saint-Joseph partit donc pour Louisbourg avec deux compagnes : sa cousine, Marie-Josephte Lefebvre Belle-Isle, dite Saint-Benoît, et Marie-Marguerite-Daniel Arnaud, dite Saint-Arsène. Ainsi qu’elles l’écrivirent bientôt à leur supérieure, Marie-Élisabeth Guillet, dite Sainte-Barbe, les sœurs ne purent « suffire à l’instruction des pensionnaires et des externes, vu surtout qu’elles étaient chargées de travaux de ménage, ne trouvant pas à Louisbourg les domestiques qui convinssent à leur maison ». L’année suivante, on leur envoya donc du renfort de Ville-Marie : Françoise Boucher de Montbrun, dite Saint-Placide, Marie-Geneviève Hervieux, dite Sainte-Gertrude, et une séculière, Catherine Paré, qui devait faire profession à Louisbourg en 1736, sous le nom de sœur Saint-Louis-des-Anges. Vu les difficultés du voyage, Mgr Dosquet avait autorisé les sœurs à former des novices à Louisbourg ; il avait même accordé aux sœurs la liberté de retourner à Montréal lorsqu’elles jugeraient que l’établissement pourrait se passer d’elles. Il autorisait ainsi un type d’établissement qui était contraire à l’esprit de mère Bourgeoys et à l’usage jusque-là suivi à la congrégation [V. Marguerite Le Moyne, dite sœur du Saint-Esprit].

Les six missionnaires vivaient de la pension annuelle de 1 500# que le roi avait consentie à la sœur Roy. Néanmoins, de 1733 à 1740, sœur Saint-Joseph réussit à diminuer de 8 000 à 2 500# la dette des sœurs à Josué Dubois Berthelot de Beaucours. Une telle diminution supposait beaucoup de sacrifices et des travaux de toutes sortes, même si le gouverneur Saint-Ovide [Monbeton] avait adjugé aux sœurs le fruit de certaines amendes et que le ministre Maurepas leur avait accordé un don de 3 000 en 1739. En 1740, elles furent l’objet de la générosité du gouverneur de l’île Royale (île du Cap-Breton), Isaac-Louis de Forant*, qui appréciait « les services que le pays retirait des travaux des sœurs institutrices » et qui désirait « rendre ferme et solide leur établissement dans cette colonie » ; il fonda en faveur de la communauté à Louisbourg une rente annuelle pour huit places de pensionnaires, destinées à des filles d’officiers de l’île. Pour garantir cette rente, le gouverneur avait hypothéqué tous ses biens. Mais sa sœur et unique héritière, mademoiselle Marguerite de Forant, offrit de remplacer l’hypothèque perpétuelle par une somme de 32 000#. Cet arrangement accepté, l’argent fut « placé sur le clergé de France » qui, par contrat du 1er juin 1742, assura 1 600# de rente annuelle aux sœurs de Louisbourg, ce que le roi confirma par lettres patentes, le 22 août 1742.

Sœur Saint-Joseph ne jouit pas longtemps de la libéralité de monsieur de Forant. Après onze ans passés à Louisbourg, elle était épuisée. À l’automne de 1744, on l’autorisa donc à revenir à Montréal. Mais elle mourut en mer, au large de l’île d’Orléans, le 6 octobre 1744, sans avoir eu la consolation de remettre le pied « en Canada » et de mourir au sein de sa communauté. Elle fut inhumée le 8 octobre dans la chapelle Notre-Dame-de-Piété de l’église Notre-Dame de Québec. Elle avait donné 54 ans de sa vie à la Congrégation de Notre-Dame et à l’Église de la Nouvelle-France.

Andrée Désilets

ACND, La Congrégation de Notre-Dame : son personnel, 1653–1768 ; Fichier général des sœurs de la Congrégation de Notre-Dame ; Plans des lieux de sépulture depuis 1681-CND ; Registre des sépultures des sœurs de la Congrégation de Notre-Dame ; Registre général des sœurs de la Congrégation de Notre-Dame de Montréal.— Recensement du Canada, 1681 (Sulte).— Tanguay, Dictionnaire.— [Prosper Cloutier], Histoire de la paroisse de Champlain (2 vol., Trois-Rivières, 1915–1917).— [É.-M. Faillon], Mémoire pouvant servir à lhistoire religieuse de la Nouvelle-France (2 vol., Paris, 1853).— Albert Jamet, Marguerite Bourgeoys, 1620–1700 (2 vol., Montréal, 1942).— Lemire-Marsolais et Lambert, Histoire de la Congrégation de Notre-Dame, passim.— Raymond Douville, Les lents débuts d’une seigneurie des Jésuites, Cahiers des Dix, XXV (1960) : 249–277.

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Andrée Désilets, « TROTTIER, MARGUERITE, dite Saint-Joseph », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/trottier_marguerite_3F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1974
Année de la révision:    1974
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