TOURIGNY, PAUL (baptisé Napoléon), marchand, spéculateur foncier, fermier, homme politique et industriel, né le 2 novembre 1852 à Saint-Christophe-d’Arthabaska, Bas-Canada, fils de Landry Tourigny, fermier, et de Lucie Poirier ; le 5 mai 1874, il épousa à Saint-Édouard (Bécancour, Québec) Alice Lavigne, puis le 2 septembre 1914, à Montréal, Josephine Laberge, veuve d’Auguste Laberge ; il eut au moins huit enfants, dont quatre fils et trois filles lui survécurent ; décédé le 31 janvier 1926 à Victoriaville, Québec.

Issu d’une famille originaire de la région de Bécancour, Paul Tourigny naquit à une époque qui augurait bien. On était en train de prolonger le chemin de fer du Grand Tronc sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent. Le développement des voies ferrées et des autres moyens de communication qui suivit, la mise en œuvre de la Politique nationale dans les années 1870 et la croissance économique de la fin du xixe siècle et du début du xxe jetèrent les bases de l’industrialisation du Canada français. De 1875 à 1925, une nouvelle classe capitaliste francophone vit le jour dans la province de Québec. En une seule génération, des hommes, qui, comme Tourigny, appartenaient à des familles de la petite bourgeoisie de l’extérieur de la région de Québec et avaient une instruction limitée, devinrent des leaders industriels et des personnalités politiques.

Tourigny fréquenta probablement des écoles locales de Saint-Christophe-d’Arthabaska. En 1899, il serait membre de l’association des anciens élèves du collège commercial du Sacré-Cœur d’Arthabaskaville (Victoriaville), mais il n’étudia probablement jamais dans cet établissement, car son nom ne figure pas sur la liste des élèves. En 1875, il s’installa dans les environs de Victoriaville, qui était alors un centre commercial florissant à proximité du chemin de fer, et s’investit rapidement dans le commerce et l’immobilier. Il acquit un petit magasin général qui connut une croissance rapide. Le somptueux immeuble qu’il construisit sur l’artère commerciale de Victoriaville et qui, en plus de son domicile, abritait un magasin de meubles et un magasin général mesurait sur sa façade 100 pieds de longueur. Vers 1908, son fils Arthur commencerait à travailler dans ces établissements commerciaux, dont le chiffre d’affaires s’élèverait à environ 75 000 $.

De 1875 à 1899, Tourigny conclut 218 transactions notariées qui, pour la plupart, avaient trait à la propriété foncière ; il effectua 199 transactions de même nature entre 1903 et 1926. Spéculateur foncier prospère et ambitieux, il vendit souvent deux, voire trois fois plus cher des biens qu’il venait d’acquérir. Par exemple, il n’eut aucun scrupule à vendre aux Frères du Sacré-Cœur une propriété qu’il avait achetée à peine un an auparavant pour moins de la moitié du montant. Sa dernière grande opération immobilière eut lieu en 1913, lorsqu’il tenta, avec J.-E. Alain, d’établir un vaste complexe résidentiel de 1 600 lots, le Parc Victoria. Il consolida ses acquis dans les années 1920 en effectuant une série de transferts de propriété et de saisies hypothécaires. Tourigny exploita aussi une ferme pendant la majeure partie de sa vie et fut longtemps membre du Conseil d’agriculture de la province de Québec ; il reçut la médaille du Mérite agricole en 1907 et en 1922.

Conseiller municipal à Victoriaville de 1890 à 1892, Tourigny fut élu maire cette dernière année. Il occupa ce poste de 1892 à 1899, de 1900 à 1905 et de 1906 à 1911. Il fut élu sans opposition en 1900 à l’Assemblée législative à titre de représentant libéral pour la circonscription d’Arthabaska. Réélu en 1904, toujours en l’absence de concurrent, il remporta, en 1908, une élection à laquelle participaient trois candidats, avec une majorité de 1 783 voix, majorité qui chuta à 370 voix aux élections de 1912. Il ne se présenta pas comme candidat aux élections générales de 1916. Tourigny prenait rarement la parole à l’Assemblée et ses brèves interventions concernaient habituellement des sujets qui le préoccupaient en tant que maire ou homme d’affaires. En 1912, il devint le premier président du comité permanent sur les industries. En 1921, sa loyauté envers son parti lui valut une nomination au Conseil législatif pour la division de Kennebec.

C’est dans le secteur industriel que Tourigny se démarqua le plus. Jusque vers 1890, la plupart des activités industrielles de Victoriaville avaient eu trait à la transformation des ressources naturelles (scieries, production de potasse, tanneries et fonderies), et avaient été menées par des entrepreneurs anglophones qui avaient des liens dans la ville de Québec. En 1894, Tourigny et un autre marchand francophone, Cyrias Thibault, créèrent la Victoriaville Furniture Company Limited avec une mise de fonds de 10 000 $. L’entreprise fabriquait des commodes, des tables et des buffets. En 1909, la R. G. Dun and Company estimait entre 35 000 $ et 50 000 $ la valeur de l’entreprise. En 1912, cette dernière comptait 150 employés et avait ses propres concessions forestières et scieries. Malgré le fait que son nom était bien en évidence dans la raison sociale Tourigny et Marois, importante manufacture de chaussures qu’il avait fondée à Québec en 1898 avec Alfred-Eugène Marois, Tourigny n’y avait investi que 5 000 $, soit la moitié du capital de départ. Il n’assuma aucun rôle dans l’administration de l’entreprise et vendit ses actions à son partenaire en 1910. La plupart de ses activités commerciales restèrent concentrées dans la région de Victoriaville.

En 1901, lorsque des notables locaux mirent sur pied le Club de Victoriaville, ces derniers se considéraient comme des industriels plutôt que des marchands. Tourigny était membre de plusieurs conseils d’administration à cette époque. Deux années plus tard, lui et de nombreux hommes d’affaires locaux fondèrent la Chambre de commerce du comté d’Arthabaska. Au cours de la première décennie du xxe siècle, Tourigny contribua à la création de plusieurs firmes de la région de Victoriaville, le plus souvent des entreprises de fabrication d’ameublement (chaises, matelas et lits vendus ensuite dans tout le Canada) et de divers biens de consommation (vêtements, chaussures et bijoux), auxquelles il fournit les capitaux de départ. En 1909, la R. G. Dun and Company estimait entre 200 000 $ et 300 000 $ la valeur de l’une des manufactures de chaussures de Tourigny. Environ 90 % des capitaux amassés pour la création de ces entreprises avaient été versés par le conseil municipal, que présidait Tourigny avec d’autres membres appartenant à la même catégorie de marchands que ceux à la tête de ces entreprises. La municipalité obtenait les fonds en émettant des obligations vendues par l’entremise d’institutions financières à Montréal. La pratique, fort répandue à l’époque, de l’octroi d’avantages municipaux se traduisait par des subventions inconditionnelles accordées aux entreprises, des prêts-subventions et des congés fiscaux à long terme (jusqu’à 20 ans) et parfois un approvisionnement en eau et en électricité. Dès les années 1920, une nouvelle génération de leaders industriels, plus ambitieux et plus aventuriers que Tourigny, avait vu le jour. Ce dernier vendit la majeure partie des actions qu’il détenait dans diverses entreprises, ce qui donna lieu à une période de réorganisation et de restructuration.

À sa mort en 1926, Paul Tourigny ne possédait que des biens immobiliers. Ses succès commerciaux ne furent pas reproduits par ses enfants qui, contrairement à leur père, bénéficiaient du niveau d’instruction et du statut social que leur conférait le fait d’être membres de la famille la plus en vue de Victoriaville. Dans son testament, qui fut plus tard contesté, Tourigny légua sa richesse aux membres de sa famille moins fortunés plutôt qu’à ses enfants qui « n’en avaient pas besoin ». Il avait aussi prévu faire chanter plus de 550 messes, signe qu’il n’avait pas oublié la société traditionnelle dont il avait si brillamment émergé. Les marchands et les notables de Victoriaville, que représentait parfaitement Tourigny, avaient amorcé la première vague d’industrialisation dans la région, qui n’allait cependant pas durer. Comme en témoigne la carrière de Tourigny, les capitaux financiers générés par leurs premiers succès se transformèrent en capital politique et social. Les fondements culturels du capitalisme commercial n’étaient pas encore en place.

Gary Caldwell

ANQ-MBF, CE401-S9, 5 mai 1874 ; CE402-S2, 3 nov. 1852.— BCM-G, RBMS, Saint-Louis-de-France (Montréal), 2 sept. 1914.— Bibliothèque de l’Assemblée nationale (Québec), Service de la recherche, dossiers des parlementaires.— L’Événement, 2, 5 févr. 1926.— Le Soleil, 1er févr. 1926.— L’Union des Cantons de l’Est (Arthabaska [Victoriaville], Québec), 4, 11 févr. 1926.— Album historique du centenaire de Victoriaville, 1861–1961 (Victoriaville, [1961 ?]).— Alain Bergeron, « Visages du siècle : Paul Tourigny », l’Union (Victoriaville), 11 août 1999.— Gary Caldwell, « les Industriels francophones : Victoriaville au début du siècle », Recherches sociographiques (Québec), 24 (1983) : 9–31.— Collège commercial du Sacré-Cœur, Palmarès du collège commercial du Sacré-Cœur, Arthabaskaville (Arthabaskaville [Victoriaville], 1898–1899).— CPG.— DPQ.— J.-C. Falardeau, « l’Origine et l’Ascension des hommes d’affaires dans la société canadienne-française », Cahiers internationaux de sociologie (Paris), 38 (1965) : 109–120.— P.-A. Linteau, « Quelques réflexions autour de la bourgeoisie québécoise, 1850–1914 », RHAF, 30 (1976–1977) : 55–66.— Le Patrimoine architectural dans les Bois-Francs, sous la dir. de Gisèle Beaudet (2 vol., Arthabaska, 1984), 1 (Rapport de recherche et Circuits architecturaux et historiques Victoriaville-Arthabaska).— Québec, Assemblée législative, Débats, 1900–1916.— Gustave Turcotte, le Conseil législatif de Québec, 1774–1933 (Beauceville, Québec, 1933).— Victoriaville, Québec, Canada, 1913 ([Victoriaville ?], 1913).

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Gary Caldwell, « TOURIGNY, PAUL (baptisé Napoléon) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/tourigny_paul_15F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
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