TOCQUE, PHILIP, instituteur, auteur, fonctionnaire et ministre de l’Église d’Angleterre, né le 14 janvier 1814 à Carbonear, Terre-Neuve, fils de Philip Tocque et d’Ann Howell ; le 11 décembre 1838, il épousa Eliza Touzou Chauncey, de St John’s, et ils eurent six fils et quatre filles ; décédé le 22 octobre 1899 à Toronto.

Fils d’un marchand et armateur de la firme Tocque and Levi de Carbonear, Philip Tocque grandit dans une relative aisance. Il fréquenta ce qu’on appelait des écoles privées, c’est-à-dire des écoles tenues par des maîtres qui enseignaient chez eux, et y étudia les mathématiques, la navigation et la grammaire anglaise. À l’âge de 16 ans, soit l’année où son père mourut, il quitta l’Église d’Angleterre pour se joindre à la Methodist Society de Carbonear, où il apprit à prêcher et rencontra le naturaliste anglais Philip Henry Gosse*. En 1831, il se rendit à Bristol, en Angleterre, probablement pour la Tocque and Levi, et entendit les sermons de Jonathan Edmondson, ancien président de la conférence wesleyenne. Trois ans plus tard, il s’embarqua clandestinement à bord d’un navire de la Tocque and Levi pour voir de lui-même comment se faisait la chasse au phoque à Terre-Neuve. Il en revint convaincu que ce massacre était immoral et que les pêcheurs qui y prenaient part s’endurcissaient à la longue. Plus tard toutefois, il comprendrait mieux leur point de vue.

Tocque obtint en 1835 un emploi de commis à la Slade, Elson and Company, entreprise de commerce où travaillaient également Gosse et William Charles St John, qui deviendrait comme lui l’un des premiers auteurs connus d’origine terre-neuvienne. Avec John Elson, agent de la compagnie et également président du Carbonear Book Club, les trois commis formèrent un cercle littéraire. En 1836–1837, Tocque publia trois articles dans des journaux de la baie Conception.

En 1840, Tocque écrivit à la Methodist Missionary Society de Londres pour exprimer son désir de devenir ministre, mais sa demande n’eut jamais de suite. En 1841, il devint instituteur à Port de Grave, petit village de pêcheurs de la baie Conception, puis l’année suivante il alla s’établir à Bird Island Cove (Elliston), dans la baie Trinity, où il exploita, dit-on, un comptoir de revendeur. C’est pendant les deux années passées à cet endroit qu’il écrivit son premier livre, Wandering thoughts, or solitary hours, qui parut à Londres en 1846. Par ce recueil d’essais décousus et amusants au travers desquels transparaissaient l’historien amateur, le naturaliste et le patriote, Tocque souhaitait, en partie du moins, intéresser les jeunes aux merveilles de la science. L’écriture est parfois maladroite et fleurie, mais elle émeut.

Après son séjour à Bird Island Cove, Tocque retourna à l’enseignement, cette fois-ci à Broad Cove (St Phillips) près de St John’s, où il demeura un an. Pendant toutes les années 1840, il chercherait un emploi convenable à Terre-Neuve et s’essaierait à toutes sortes de métiers. En 1845, il donna sa première conférence à une réunion de la Natives’ Society de Carbonear. Les difficultés éprouvées par les Terre-Neuviens d’origine qui cherchaient à se tailler une place dans leur propre pays deviendraient d’ailleurs l’un de ses thèmes les plus chers. Tocque s’intéressa aussi à la géologie et on dit qu’il fut le premier Terre-Neuvien à donner des conférences sur des sujets scientifiques. En 1845 également, il publia des textes sur l’astronomie et l’histoire naturelle dans le Public Ledger de St John’s et correspondit avec le British Museum de Londres à propos des spécimens de roches, de minéraux, d’oiseaux et d’insectes dont il souhaitait enrichir la collection de ce musée.

En juillet 1845, Tocque devint greffier de la paix à Harbour Breton, dans la baie Fortune, fonction pour laquelle il touchait le modeste salaire de £35 par an. Tout en exécutant les tâches de cet office, il continua à publier des textes scientifiques et, pour la première fois, se permit des commentaires sur des questions politiques et économiques. Ses articles parus dans le Public Ledger attirèrent l’attention sur la région lointaine et négligée de la côte sud de Terre-Neuve. Il y soulignait le potentiel agricole de la région, sans d’ailleurs être toujours réaliste, critiquait le système d’enseignement de l’île et le pouvoir des marchands, et fit même des comparaisons défavorables entre Terre-Neuve et les colonies de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick, où il s’était rendu pour promouvoir la vente de son livre. Il écrivit également à propos du gouvernement responsable, qu’il semblait appuyer, même s’il déclara : « Je n’ai aucune foi dans les partis. » Ses opinions ne furent pas tout à fait bien accueillies par les autorités de St John’s et, lorsqu’il demanda en 1848 que l’on porte son salaire à £60, le gouvernement lui refusa cette augmentation. En décembre, il écrivit au secrétaire de la colonie qu’il était « sur le point de crever de faim ». Après qu’on lui eut refusé d’autres postes, il décida l’année suivante de quitter Terre-Neuve pour de bon. « Je ne doute pas, écrivit-il, que je serai capable de faire mon chemin dans n’importe quelle autre colonie. » Pendant les années qu’il avait passées à Harbour Breton, il avait aussi publié trois almanachs.

À l’époque, des milliers de Terre-Neuviens quittaient leur île pour aller s’établir aux États-Unis et, entre 1846 et 1859, près de 3 000 d’entre eux débarqueraient à Boston. Tocque, pour sa part, y arriva en décembre 1849. Ébahi par l’activité commerciale et industrielle de la Nouvelle-Angleterre, il entreprit de faire connaître aux Terre-Neuviens le « pays qui [était] destiné à être le plus grand sur lequel le soleil ait jamais brillé » et publia en 1851, à Boston, A peep at Uncle Sam’s farm, workshop, fisheries, &c. Devenu pacifiste, il prononça une conférence contre la guerre ; il assista aussi à ce qui, selon lui, était le premier congrès sur les droits des femmes à avoir lieu en Amérique et s’intéressa au mouvement antiesclavagiste. Toutes les causes progressistes touchaient chez lui une corde sensible. En 1851, il s’inscrivit au département de théologie du Trinity College de Hartford, au Connecticut, pour devenir ministre épiscopalien. L’année suivante, ses études terminées, il fut ordonné diacre par le coadjuteur de l’évêque du Connecticut, John Williams, puis devint assistant de l’évêque Horatio Southgate à la Church of the Advent de Boston. Durant son séjour aux États-Unis, il prononça de nombreux sermons, dont l’un fut publié en 1853. Sa brève introduction à l’océanographie, The mighty deep, avait paru l’année précédente à New York.

Après avoir passé plus de quatre ans aux États-Unis, Tocque, qui avait alors sept enfants, partit pour la Nouvelle-Écosse, où l’évêque Hibbert Binney* l’ordonna prêtre de l’Église d’Angleterre en 1854. Dès lors et jusqu’en 1877, Tocque mènerait la vie d’un prédicateur de brousse dans des paroisses de la Nouvelle-Écosse, du Québec et de l’Ontario. Sa première mission avait pour centre Tusket, en Nouvelle-Écosse, et s’étendait sur 60 milles de littoral, de Barrington au sud-ouest jusqu’à Digby dans la baie de Fundy. D’abord missionnaire itinérant, il obtint en 1856 une charge régulière à la Society for the Propagation of the Gospel in Foreign Parts. En 1858, on publia un autre de ses sermons à Yarmouth, en Nouvelle-Écosse, et le Lawrence College d’Appleton, au Wisconsin, lui décerna une maîtrise ès arts à titre honorifique. En 1862, Tocque quitta la Nouvelle-Écosse pour s’établir à Sydenham, près de Kingston, dans le diocèse d’Ontario. L’année suivante, il partit pour une nouvelle mission à Hope Town, dans le district de Gaspé. À compter de 1869, il desservit diverses paroisses ontariennes, dont celles de Markham et des cantons de Mulmur et de Galway.

Ainsi Tocque passerait sa vie de prêtre dans ces régions rurales, et ses rapports annuels à la Society for the Propagation of the Gospel montrent la nature de son travail : incessantes – et généralement efficaces – campagnes de financement, construction d’églises et de presbytères, et prédication. Fait caractéristique, Tocque, tout en s’acquittant de ses fonctions de pasteur avec un enthousiasme évident, chercherait aussi des emplois ailleurs. En 1861 par exemple, il écrivit à la Society for the Propagation of the Gospel pour demander qu’on le nomme aumônier des émigrants dans un quelconque port irlandais. Si cela s’avérait impossible, ajoutait-il, il était prêt à tenir des assemblées publiques et à recueillir de l’argent « dans l’un ou l’autre des trois royaumes ». Il précisait qu’il était « en bonne santé et capable de supporter n’importe quel travail physique ». Prisonnier des tâches paroissiales, il avait peut-être envie de voyages et d’aventure. Cependant, la société ne retint pas sa suggestion.

Pendant cette période, Tocque rédigea des articles pour le Dominion Churchman de Toronto et d’autres périodiques et il écrivit ce qui est peut-être son livre le plus important, Newfoundland : as it was, and as it is in 1877. Cet ouvrage, qui parut à Londres et à Toronto en 1878, est essentiellement une histoire, un répertoire géographique et un almanach. L’auteur y présente dans les 2 premiers chapitres un aperçu de l’histoire de Terre-Neuve, et dans 11 autres une description des districts de la colonie. L’annuaire statistique couvre 4 chapitres. L’ouvrage comporte aussi un long texte sur l’histoire naturelle et une conclusion sur les Béothuks. Tocque y donne libre cours à tous les sujets qui le passionnent et critique ouvertement le régime gouvernemental de Terre-Neuve de même que sa classe marchande, qu’il qualifie du terme mémorable de « pêchocratie ». Son livre est rempli de renseignements puisés chez d’autres auteurs, mais certains sont personnels. Il écrit dans la préface : « J’ai mis dans ce livre ce que je suis, ma vie. »

Tocque cessa d’exercer son ministère au sein de l’Église d’Angleterre à la fin des années 1870 et s’établit à Toronto, où il toucha une petite pension. Cette retraite prématurée, attribuable peut-être à l’attaque d’apoplexie qu’il avait eue, ne l’empêcha cependant pas d’être aumônier dans divers établissements : asile des malades mentaux, maisons de correction, hôpitaux, prisons et bâtiments de l’immigration. En 1890, Tocque retourna pour la troisième et dernière fois à Terre-Neuve, où il donna une conférence et entra en contact avec l’Evening Telegram de St John’s. Au printemps de 1891, il commença à envoyer de longues lettres à ce journal, qui lui accorda habituellement une place prépondérante dans ses pages. En tout, l’Evening Telegram publierait au cours des années suivantes environ 125 de ses lettres. Dans dix d’entre elles, il raconte ses souvenirs « éveillés » par la lecture de A history of Newfoundland from the English, colonial, and foreign records de Daniel Woodley Prowse*, livre publié à Londres et à New York en 1895. Dans d’autres lettres « retentissantes », il fait en quelque sorte de la réclame et exagère le potentiel de Terre-Neuve, endroit qui, selon lui, serait dans 100 ans « le rendez-vous de tous les bons vivants ». Sa visite chez lui lui inspira également un texte touchant qu’il publia dans Kaleidoscope echoes [...], recueil d’essais quelque peu semblables à ceux de Wandering thoughts, quoique plus poignants et plus stimulants, publié à Toronto en 1895 et où l’on retrouve quelques-unes de ses lettres. Dans l’un de ces essais, il parle de la tristesse qu’il ressent en traversant le cimetière de Carbonear ; dans un autre, intitulé « He is nobody », il médite sur la vanité de la gloire.

On a dit de Philip Tocque qu’il était le premier homme de lettres de Terre-Neuve. Il publia dix ouvrages, dont quatre livres importants, de même que de nombreux articles de journaux et de périodiques. Écrits sur un ton engageant, ses essais portent sur des sujets variés et témoignent de son attitude progressiste. L’indépendance d’esprit et le patriotisme de Tocque tranchent sur la mentalité coloniale de bien d’autres écrivains terre-neuviens du xixe siècle.

Marjorie M. Doyle et Patrick O’Flaherty

Outre les œuvres mentionnées dans le texte, les publications de Philip Tocque comprennent deux sermons : The voice of the sea : a sermon, preached on Sunday evening, Oct. 2, 1853, in St. Mary’s Church, Richmond Street, Boston [...] (Boston, 1853) ; et « If I say the truth, why do ye not believe me ? » A sermon, preached on Sunday afternoon, Nov. 21st, 1858, in St. Stephen’s Church, Tusket, Nova Scotia (Yarmouth, N.-É., 1858) ; et trois numéros du Nfld. almanack, qu’il a compilés pour les années 1848–1850. Une seconde édition de A peep at Uncle Sam’s farm [...] est parue à Boston en 1858. Son volume d’essais, Kaleidoscope echoes : being historical, philosophical, scientific, and theological sketches, from the miscellaneous writings of the Rev. Philip Tocque, A.M. (Toronto, 1895), a été préparé pour l’édition par sa fille, Annie S. W. Tocque.

Tocque a aussi collaboré à des périodiques et surtout à des journaux, notamment au Carbonear Sentinel and Conception Bay Advertiser (Carbonear, T.-N.), 1837 ; au Weekly Herald and Conception-Bay General Advertiser (Harbour Grace, T.-N.), 1845 ; au Morning Courier de St John’s et au Public Ledger, 1845–1851, à l’Evening Telegram, 1890–1899 ; au Dominion Churchman (Toronto), 1875–1889, et à son successeur le Canadian Churchman, 1890–1899.

Des lettres de Tocque au secrétaire de la colorie de Terre-Neuve se trouvent aux PANL, GN 2/2, 1847 : fo 42 ; 1848 : fos 669–672, 746–748, 976 ; janv.–juin 1849 : fos 172–175, 393–394 ; juill.–déc. 1850 : fos 79, 87. Des copies sur microfilm (et quelques transcriptions) de sa correspondance avec la Society for the Propagation of the Gospel in Foreign Parts sont disponibles sur microfilm aux AN, MG 17, B1. Ce fonds comprend notamment des lettres de Tocque en provenance de Tusket, N.-É. (C/N. S., box I/11, folder 134 ; D.27/N.S.), de Hopetown, Québec (D/Que., 1860–1867 : 615–616 (transcriptions), et de quelques paroisses de l’Ontario (D/Ont., 1862–1867 : 828 (transcription) ; D.40/Tor. & Alg. (mfm) ; D.44/Ont. : 114 ; D/Tor., 1879 : 413 ; D.54/Tor. : 131–134 (transcriptions), ainsi que des rapports de mission de Tusket et de Hopetown (E, N. S., 1857–1861 et Que., 1853–1868). Sa lettre du 11 janv. 1840 à la Wesleyan Methodist Missionary Society se trouve dans les registres de celle-ci à la School of Oriental and African Studies Library, Univ. of London, Methodist Missionary Soc. Arch., corr., North America, box 11 : fo 258 (mfm aux AN) ; il existe aussi deux lettres datées du 5 janv. et du 15 nov. 1846, au British Museum (Londres).

Arch. privées, E.-V. Chafe (St John’s), Geneal. file on Tocque.— Carbonear United Church, List of tombstones ; Reg. of burials for the Wesleyan Methodist Church, 1820–1860 (copies aux PANL).— PRO, CO 199/40–45 (mfm aux PANL).— York County Surrogate Court (Toronto), nº 13726 (mfm aux AO).— Canadian Churchman, 2 nov. 1899.— Evening Telegram, 3 nov. 1899.— Globe, 24 oct. 1899.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1898).— E.-V. Chafe, « A new life on Uncle Sam’s farm : Newfoundlanders in Massachusetts, 1846–1859 » (thèse de m.a., Memorial Univ. of Nfld., St John’s, 1984).— Marjorie Doyle, « A biography of Philip Tocque (1814–1899) » (thèse de m.a., Memorial Univ. of Nfld., 1986).— Patrick O’Flaherty, The Rock observed : studies in the literature of Newfoundland (Toronto, 1979).

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Marjorie M. Doyle et Patrick O’Flaherty, « TOCQUE, PHILIP », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/tocque_philip_12F.html.

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Auteur de l'article:    Marjorie M. Doyle et Patrick O’Flaherty
Titre de l'article:    TOCQUE, PHILIP
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1990
Année de la révision:    1990
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