Titre original :  J.W. Spencer - Geological Society of America (GSA) Bulletin (1924) 35 (1).

Provenance : Lien

SPENCER, JOSEPH WILLIAM WINTHROP, géologue, professeur, géomorphologue et auteur, né le 26 mars 1851 à Dundas, Haut-Canada, fils de Joseph Spencer et d’Eliza Elenora Coe ; neveu de James Spencer* ; le 15 avril 1896, il épousa à Toronto Katharine (Kate) Sinclair Thomson, et ils n’eurent pas d’enfants ; décédé le 9 octobre 1921 dans cette ville.

L’arrière-grand-père de Joseph William Spencer, Robert Spencer, était un loyaliste des États du New Jersey et de New York qui avait servi dans les rangs des Butler’s Rangers pendant la guerre de l’Indépendance américaine. Spencer croyait qu’il était apparenté aux Winthrop du Massachusetts et du Connecticut ; après s’être installé aux États-Unis, il ajouta Winthrop à son nom, mais il signait généralement J. W. Spencer. Son père, qui avait mis sur pied les moulins à farine et à papier Gore à Dundas, mourut quand il fit une chute du toit de l’un des bâtiments de l’entreprise, peu après la naissance du jeune Joseph William. Celui-ci fit ses études à Dundas, mais en 1867 sa mère et lui s’installèrent à Hamilton, où il travailla pendant deux ans au service des pharmaciens T. Bickle and Son. À ce moment-là, il s’intéressait déjà à la géologie et à la chimie, intérêt stimulé en partie par ses relations avec des géologues amateurs actifs au sein de la Hamilton Association, qui cherchait à promouvoir la littérature, la science et l’art.

En 1871, Spencer quitta Hamilton pour étudier la géologie au McGill College, à Montréal, où il eut John William Dawson* comme professeur. Trois ans plus tard, il obtint une licence avec mention très bien du nouveau programme de sciences appliquées. Il travailla ensuite pendant un été auprès de la Commission géologique du Canada à titre d’assistant de Robert Bell* au Manitoba. Dawson et Bell demeureraient pour lui des amis intimes. Incapable de trouver un emploi au Canada, Spencer travailla un moment pour Luther G. Emerson, consultant pour les mines de cuivre dans la partie supérieure du Michigan, en 1875. Il retourna à Hamilton, où il accepta un poste de professeur de sciences au Hamilton Collegiate Institute. À l’été de 1877, il se rendit en Allemagne, où il obtint un doctorat de l’université de Göttingen avec sa thèse sur les gisements de cuivre du Michigan. Il fut le deuxième Canadien, après Bernard James Harrington*, à recevoir un doctorat en géologie.

Spencer devint professeur de géologie et de chimie au King’s College de Windsor, en Nouvelle-Écosse, en 1880. Deux ans plus tard, il fut nommé titulaire de la chaire de géologie et de minéralogie et conservateur d’un nouveau musée d’histoire naturelle à la University of Missouri. Il contribua à la conception, à la construction et à la mise en place de l’équipement du musée, mais les projets du recteur Samuel Spahr Laws furent contrecarrés par suite de problèmes politiques et financiers, et Spencer perdit son poste. Il entra au service de la University of Georgia en 1888 et devint géologue de l’État de Géorgie deux ans plus tard. Il commença une étude géologique sur la partie nord-ouest de l’État, mais il buta vite de nouveau sur des obstacles d’ordre politique puisqu’il s’intéressait davantage à la stratigraphie qu’à l’exploitation aurifère. En 1894, il s’installa à Washington, où il travailla comme géologue-conseil jusqu’à son retour au Canada en 1920. Il mourut l’année suivante ; son corps repose dans la sépulture familiale, à Dundas.

La première publication de Spencer, en 1875, portait sur les caractéristiques géologiques de la région de Hamilton. Parmi ses autres premiers travaux parus figurent un texte sur les mines de cuivre du Michigan, qui fut présenté devant la Société d’histoire naturelle de Montréal en 1876, puis publié la même année dans le Canadian Naturalist à Montréal, ainsi que plusieurs articles sur la géologie du paléozoïque et les fossiles à la tête du lac Ontario. Ses travaux de recherche marquants commencèrent par son étude des vallées préglaciaires, y compris la vallée engloutie de Dundas, qu’il considéra d’abord comme une partie d’un ancien réseau hydrographique (qu’il appela Erigan River) qui s’étendait vers l’ouest en traversant le bassin du lac Érié. Ces travaux furent appuyés par J. Peter Lesley, géologue de l’État de Pennsylvanie, qu’il avait rencontré à l’occasion d’une réunion de l’American Association for the Advancement of Science, et furent publiés à Philadelphie dans les Proceedings de l’American Philosophical Society en 1882. Spencer découvrit plus tard des preuves indiquant que le réseau Erigan River s’était déversé, non pas en amont de la rivière Grand en passant par la vallée de Dundas, mais bien à travers la péninsule du Niagara, à l’ouest de St Catharines. Des études plus poussées lui apportèrent la conviction que tous les bassins des Grands Lacs avaient à l’origine été érodés par un important réseau hydrographique se déversant vers l’est dans la vallée du Saint-Laurent. Il croyait que la topographie d’origine remontait à l’époque préglaciaire et qu’elle n’avait été que légèrement modifiée pendant la période glaciaire.

Dans la mesure où le lui permettait sa tâche d’enseignement, Spencer consacra la période de 1881 à 1889 à étudier des plages soulevées en bordure de lacs formés à la fin de l’époque glaciaire (« lacs proglaciaires »). C’est lui qui cartographia pour la première fois bon nombre de ces plages et leur attribua un nom. Il nomma Iroquois celle du bassin du lac Ontario ; elle est décrite dans un article paru dans les Mémoires de la Société royale du Canada en 1890. Grâce à la précision de ses cartes et nivellements, Spencer observa que les plages n’étaient plus de niveau, mais qu’elles se trouvaient plutôt inclinées vers le haut en direction du nord ; en outre, plus les plages étaient hautes (et par conséquent vieilles), plus elles étaient inclinées, constat qui indiqua que le phénomène d’inclinaison s’exerçait déjà à l’époque de la formation des plages. Spencer était d’accord avec les hypothèses de Dawson sur la période glaciaire : il ne croyait pas à l’existence de nappes de glace massives et attribuait des phénomènes tels que le till et les roches striées à l’action de la glace flottante. Il ne considérait donc pas que l’inclinaison des plages avait été produite par « rebond glaciaire » (résultat du retrait de la charge de glace sur la croûte), mais croyait qu’il s’agissait d’une vaste évolution tectonique de fond qui avait agi sur tout l’est de l’Amérique du Nord. Il était convaincu que la région des Grands Lacs s’était trouvée à une altitude beaucoup plus grande avant la période glaciaire, avait été inondée par la mer à une époque plus récente, puis avait commencé à s’élever de nouveau. Ainsi, à l’instar de certains contemporains américains tels que Grove Karl Gilbert et Thomas Chrowder Chamberlin, il croyait que les lacs proglaciaires étaient en fait marins ou saumâtres, qu’ils auraient comporté de la glace flottante et qu’il ne s’agissait pas de lacs d’eau douce retenus par des nappes glaciaires. Ce n’est qu’en 1910 que Spencer admit (en privé) que les lacs proglaciaires avaient été formés par des barrages de nappes glaciaires, comme Gilbert l’avait d’abord avancé en 1871.

Le tout premier article de Spencer sur les chutes du Niagara fut publié en 1887. Ce dernier retourna souvent dans cette région, même après s’être établi aux États-Unis, et en 1905 il persuada Bell, alors directeur par intérim de la Commission géologique du Canada, de parrainer une nouvelle étude sur les chutes. Publiée en 1907, celle-ci comportait une révision détaillée de la ligne de crête dans le but de déterminer le coefficient de recul et de fournir une première évaluation précise de la profondeur de la rivière dans le tourbillon et directement au pied des chutes. Son analyse théorique de la relation entre le taux d’érosion et le débit fluvial fut contestée par Gilbert dans un article publié l’année suivante à New York dans le périodique Science. À cause de son analyse mécanique erronée et de son étude imparfaite sur l’historique des réseaux de drainage, les estimations de l’âge des chutes proposées par Spencer ne pouvaient être prises très au sérieux, même avant l’ère de la datation par le carbone 14. Néanmoins, son ouvrage fut généralement bien reçu à l’époque et ses données géologiques demeurent utiles.

Après s’être installé à Washington en 1894, Spencer effectua de nombreuses observations sur le terrain dans les Caraïbes et en Amérique centrale. Son étude des petites Antilles a également révélé des preuves de grands changements survenus dans l’élévation de terrain ; la découverte de canyons sous-marins sur la pente continentale du secteur occidental de l’Atlantique lui semblait corroborer ses propres théories. Des travaux ultérieurs ont indiqué que tous ces phénomènes peuvent s’expliquer par des facteurs inconnus à son époque, sans l’appui de ses hypothèses sur les immenses changements d’élévation.

Joseph William Winthrop Spencer fut l’un des premiers membres de la Geological Society of America en 1889. Parmi les honneurs qu’il reçut figure aussi la réception, en 1919, d’un doctorat en droit de l’université de Manitoba, établissement qui remet encore au début du xxie siècle la médaille d’or Winthrop Spencer à sa mémoire.

Gerard V. Middleton

Joseph William Winthrop Spencer est l’auteur de plus de 100 publications techniques, mais beaucoup d’entre elles sont des résumés ou des reproductions d’articles parus ailleurs (pratique courante à l’époque). Deux bonnes sources bibliographiques dressent la liste des nombreux ouvrages de Spencer : J. M. Nickles, Geologic literature on North America, 1785–1918 (2 vol., Washington, 1923–1924), et E. W. Shaw, « Memorial of Joseph William Winthrop Spencer », Geological Soc. of America, Bull. (New York), 35 (1924) : 25–36. En 1919, Spencer a fait don de ses collections et de ses papiers aux Univ. of Manitoba Libraries, Dept. of Arch. and Special Coll. (Winnipeg), MSS 30 (Spencer, J. W.), mais ces papiers ne comprennent pas de lettres. Ces dernières se trouvent aux endroits suivants : celles adressées à J. W. Dawson, au SAUM, MG 1022 ; celles à Robert Bell, à BAC, MG 29, B15 ; et celles à J. P. Lesley, à l’American Philosophical Soc. Library (Philadelphie), B L56 (J. Peter Lesley papers).

La publication la mieux connue de Spencer, qui résume son travail non seulement sur la région du Niagara mais aussi sur l’évolution des bassins des Grands Lacs, est The falls of Niagara : their evolution and varying relations to the Great Lakes ; characteristics of the power, and the effects of its diversion, ouvrage publié à Ottawa en 1907. Pour avoir une perspective moderne, on peut consulter K. J. Tinkler, « Déjà vu : the downfall of Niagara as a chronometer, 1845–1941 », dans Niagara’s changing landscapes, H. J. Gayler, édit. (Ottawa, 1994), 81–109, qui contient une courte section sur Spencer et compare son travail à d’autres recherches sur les chutes du Niagara ; on peut aussi consulter K. J. Tinkler et al., « Postglacial recession of Niagara Falls in relation to the Great Lakes », Quaternary Research (Orlando, Floride), 42 (1994) : 20–29 (où Spencer est mentionné brièvement). [g. v. m.]

AO, RG 22-305, nº 44167 ; RG 80-5-0-241, nº 490.— Univ. of Rochester Library, Dept. of Arch. and Special Coll. (Rochester, N.Y.), A.F16 (Herman LeRoy Fairchild papers, 1869–1943).— G. V. Middleton, « J. W. Spencer (1851–1921) : his life in Canada, and his work on preglacial river valleys », Geoscience Canada (St John’s), 31 (2004) : 49–56 ; « J. W. Spencer (1851–1921) : his life in Missouri and Georgia, and work on proglacial lakes », Geoscience Canada (à paraître) ; « The Spencers of Dundas » (discours prononcé devant la Dundas Valley Hist. Soc., Dundas, Ontario, 21 avril 2004 ; texte reproduit à l’adresse www.unityserve.org/dundashistory/articles/0008.shtml).— Morris Zaslow, Reading the rocks : the story of the Geological Survey of Canada, 1842–1972 (Toronto et Ottawa, 1975).

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Gerard V. Middleton, « SPENCER, JOSEPH WILLIAM WINTHROP », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 8 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/spencer_joseph_william_winthrop_15F.html.

Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique


Permalien: https://www.biographi.ca/fr/bio/spencer_joseph_william_winthrop_15F.html
Auteur de l'article:    Gerard V. Middleton
Titre de l'article:    SPENCER, JOSEPH WILLIAM WINTHROP
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
Année de la révision:    2013
Date de consultation:    8 oct. 2024