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RUSSELL, BENJAMIN, avocat, auteur, professeur, homme politique et juge, né en 1849, soit le 4 janvier (date inscrite sur son acte de baptême), soit le 10 janvier (date figurant dans son autobiographie et dans le recensement de 1901), à Dartmouth, Nouvelle-Écosse, quatrième des six enfants de Nathaniel Russell et d’Agnes D. Bissett (Bissete) ; le 4 septembre 1872, il épousa au même endroit Louise E. Coleman (décédée le 7 mars 1934), et ils eurent six fils et deux filles ; décédé le 20 septembre 1935 à Bedford, Nouvelle-Écosse.
Le père de Benjamin Russell, fils d’un loyaliste bostonien, devint un homme d’affaires prospère et un chef de file respecté dans son milieu. Il contribua à la fondation de la première église wesleyenne à Dartmouth et assuma les fonctions de juge de paix pendant de nombreuses années. Le jeune Benjamin fréquenta plusieurs écoles, dont l’une était dirigée par l’historienne Elizabeth Murdoch Frame* ; il passa également trois trimestres à la Halifax Grammar School. Selon l’un de ses souvenirs les plus vivaces, il chanta dans le chœur d’enfants organisé pour divertir le prince de Galles lors de sa visite à Halifax en 1860. Lorsqu’il était étudiant de premier cycle au Mount Allison Wesleyan College (où il obtiendrait un baccalauréat ès arts en 1868 et une maîtrise ès arts en 1871) de Sackville, au Nouveau-Brunswick, Russell fit la connaissance de celui qui serait toute sa vie un ami et un collègue, Richard Chapman Weldon*. Au terme de sa première année d’études, Russell vécut une crise spirituelle qui entraîna une grave dépression. Weldon l’emmena se rétablir dans la ferme de sa famille à Penobsquis. Là-bas, comme se le rappellerait Russell, « la tranquillité, l’amabilité et le charme de la vie familiale effacèrent [s]es idées noires, rétablirent [s]a santé spirituelle et constituèrent une cure contre la mélancolie qui ne fut suivie d’aucune rechute durant le reste de [s]a vie ».
Les conférences de David Allison* sur le droit international et l’histoire constitutionnelle de l’Angleterre initièrent Weldon et Russell à l’étude du droit. Weldon poursuivit ses études et, en 1872, obtint un doctorat en science politique au Yale College de New Haven, au Connecticut, tandis que Russell emprunta la voie plus prosaïque d’apprenti auprès de Henry Oldright, avocat de Halifax. Il fut reçu au barreau le 4 décembre 1872, après quatre années de stage. Pour arrondir ses maigres revenus d’avocat, il transcrivait les débats de l’Assemblée législative et les décisions de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, et travaillait comme journaliste pour le Halifax Citizen.
En 1874, Russell se joignit à des collègues pour constituer en société la Halifax Law School, mais l’établissement n’exista que sur papier en raison d’un manque de fonds. Les efforts du groupe ne portèrent leurs fruits qu’en 1883, lorsque George Munro* dota une chaire de droit constitutionnel et international à la Dalhousie University, permettant ainsi la fondation d’une faculté de droit [V. Robert Sedgewick*]. Weldon fut nommé titulaire de la chaire et doyen fondateur, tandis que Russell donnait des cours sur les contrats, d’abord à titre bénévole. En 1884, il fut engagé comme chargé de cours à mi-temps au salaire annuel de 1 000 $ et on ajouta à sa tâche d’enseignement les instruments négociables, la vente de biens et l’equity. Sur les instruments négociables, il publia son propre manuel en 1909, tandis que sur les contrats, la preuve et la vente de biens, il produisit des éditions canadiennes d’ouvrages de référence anglais. Russell présenta, dans la formation en droit à Dalhousie, une variante de l’étude de cas lancée à l’école de droit de la Harvard University dans les années 1870. Selon cette méthode, le professeur et l’étudiant faisaient, en dialoguant, une analyse rigoureuse et critique des décisions judiciaires, ce qui contrastait avec le cours magistral traditionnel où les étudiants restaient passifs. La carrière d’enseignant de Russell s’étendrait sur presque 40 ans : ce ne fut qu’en 1921, quand l’école de droit aurait enfin obtenu deux postes de professeur à plein temps en plus de celui de doyen, qu’il accepterait de se retirer de l’enseignement.
Russell et Weldon étaient liés par leurs origines méthodistes et leur vision d’une formation professionnelle en droit reposant sur les arts libéraux, mais, à d’autres égards, ils différaient complètement. Selon John Willis, l’espiègle Benny, comme on l’appelait, mesurait « à peine un peu plus de cinq pieds, était excitable et raisonneur. Weldon mesurait six pieds deux pouces, possédait une allure imposante et un fort sens moral. » Russell était libéral et Weldon, conservateur ; Russell écrivait constamment, tandis que Weldon ne publia guère. Avec l’âge et la maladie, Weldon deviendrait de plus en plus distant, alors que le rapport intime de Russell avec les étudiants resterait inchangé.
Russell poursuivit le rôle de chef de file de son père à Dartmouth, où, au cours des dernières décennies des années 1800, il occupa diverses fonctions : conseiller élu, juge municipal et magistrat rémunéré. Les questions liées au transport figuraient toujours au programme. Le piètre service de traversier offert par une entreprise privée pour le transport des passagers entre Dartmouth et Halifax souleva la population de Dartmouth en 1890, révolte qui entraîna la création d’un service public de traversier soumis aux règlements provinciaux. Russell fut au premier plan de cette campagne et trouva un certain plaisir à organiser le boycottage du traversier existant afin d’assurer le succès de l’entreprise publique.
Aux élections fédérales du 23 juin 1896, Russell se porta candidat pour les libéraux dans Halifax. Dans cette circonscription qui comptait deux députés, chaque parti présentait traditionnellement un candidat protestant et un catholique, et l’un des partis obtenait les deux sièges. Pour la deuxième fois seulement depuis la Confédération, les Haligoniens divisèrent leurs voix, envoyant Russell et le conservateur Robert Laird Borden à Ottawa, tandis que leurs opposants catholiques, Thomas Edward Kenny* et Michael Edwin Keefe, furent défaits. Pendant les sessions de la Chambre des communes, Russell prenait le train après son cours du vendredi, arrivait à Ottawa le samedi à minuit, se rendait à l’église méthodiste Dominion le dimanche, s’occupait des affaires des habitants de sa circonscription le lundi et reprenait le train en fin de journée pour arriver à temps à son cours du mercredi à Halifax. Russell trouvait la « plaie du favoritisme » décourageante et son incapacité à gérer les exigences de ses électeurs l’amena à se présenter plutôt dans la circonscription de Hants en 1900. Il remporta la victoire avec une majorité de 16 voix ; à cette occasion, les « enthousiastes étudiants en droit se joignirent aux libéraux locaux dans un défilé aux flambeaux dans Dartmouth jusqu’au [domicile de Russell] où […] ils entonnèrent chansons vibrantes et vivats universitaires en l’honneur de leur cher “Benny” ». Dans sa nouvelle circonscription, Russell eut l’agréable surprise de constater que « presque personne ne semblait avoir quelque chose à demander ».
Le dévouement de Russell pour le droit fut récompensé par plusieurs distinctions honorifiques. Il fut nommé conseiller de la reine en 1890, reçut un doctorat honorifique en droit de son alma mater en 1893 et devint président de la Nova Scotia Barristers’ Society l’année suivante. Son cabinet d’avocat ne prit cependant jamais d’ampleur et l’éducation de ses huit enfants constituait une lourde charge financière. Voilà pourquoi il commença à chercher une nomination judiciaire, gage de sécurité ; presque certain d’en obtenir une, il décida de ne pas se porter candidat aux élections de 1904. Avant même que le juge en chef, James McDonald*, ne se retire de la Cour suprême provinciale en janvier 1904, Russell et ses amis entreprirent une campagne écrite acharnée pour demander au premier ministre, sir Wilfrid Laurier*, et au représentant de la Nouvelle-Écosse dans le cabinet fédéral, William Stevens Fielding*, d’accorder le poste à Russell. Ce dernier dut se contenter du poste de juge puîné, auquel il fut nommé le 3 octobre, tandis que Robert Linton Weatherbe* fut désigné juge en chef en janvier 1905. Les aspirations de Russell furent déçues à deux autres reprises : lorsque Weatherbe prit sa retraite en 1907, Charles James Townshend* le remplaça, puis, en 1917, après la mort du juge en chef sir Wallace Nesbit Graham*, Robert Edward Harris, beaucoup plus jeune, obtint le poste. Comme juge, Russell partirait à la retraite en 1924. Son collègue, Robert Henry Graham, était d’avis que « son caractère impulsif et inconstant » avait gâché sa réputation par ailleurs digne d’estime dans le milieu judiciaire. Russell connut probablement son heure de gloire à la suite de l’explosion qui se produisit à Halifax le 6 décembre 1917. L’opinion publique s’éleva contre l’équipage du bateau de munitions français, le Mont blanc, et son pilote, Francis Mackey, qu’on croyait responsable de la collision avec l’Imo et du désastre qui en résulta. Mackey fut accusé d’homicide involontaire. Lorsqu’on invoqua l’habeas corpus, Russell reconnut qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes contre Mackey et ordonna sa libération.
Lorsque Russell avait accédé à la magistrature en 1904, le Halifax Herald avait loué sa capacité à livrer « une correspondance journalistique astucieuse et des conférences publiques intelligentes sur des sujets d’importance sociale, municipale et nationale, ainsi que […] des allocutions brillantes et spirituelles dans toutes sortes d’événements publics ». Sa sœur, Mary Rebecca Chesley, et lui étaient de solides partisans du suffrage féminin ; Russell aurait d’ailleurs été sollicité par le Halifax Local Council of Women pour préparer le projet de loi sur le droit de vote présenté à l’Assemblée législative en 1917. Tous deux furent également d’ardents défenseurs de la Société des nations pendant l’après-guerre. En 1929, âgé de 80 ans, Russell était toujours engagé sur le plan social et mena une vigoureuse campagne pour la cause de la tempérance à l’occasion du plébiscite provincial. En 1932, la Dalhousie University créa la chaire de droit Russell en son honneur et, le 30 octobre 1933, Russell fit un discours au grand banquet marquant le cinquantenaire de l’école de droit. Après son allocution, ses nombreux étudiants de tout le Canada, dont Leonard Percy de Wolfe Tilley* et Angus Lewis Macdonald*, respectivement premiers ministres du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, de même que les juges de la plupart des cours suprêmes provinciales du pays, lui firent une « ovation nourrie et sincère ». Le premier ministre du Canada, Richard Bedford Bennett*, l’un des diplômés les plus distingués de l’école de droit, rendit hommage au travail de Russell dans sa lettre de félicitations adressée à l’établissement.
Russell mourut de vieillesse à son domicile le 20 septembre 1935 et fut inhumé au cimetière Mount Hermon, dans sa ville natale de Dartmouth. L’ouvrage intitulé Autobiography of Benjamin Russell constitue un compte rendu quelque peu désordonné de sa vie et révèle son intelligence empreinte d’ironie et son goût pour la littérature. Cette dernière qualité inspira une note posthume sur Russell dans le journal intime du premier ministre du pays, William Lyon Mackenzie King*, qui y inscrivit en 1945 une « vision » du regretté juge, « brillant disciple de Matthew Arnold ».
Benjamin Russell fut bien connu à son époque pour sa carrière politique et judiciaire. Son travail dans ces domaines laissa peu de traces, mais il exerça une influence profonde et durable sur la formation juridique au Canada grâce à la « petite école de droit » à laquelle Weldon et lui contribuèrent grandement.
Benjamin Russell n’a laissé aucun papier personnel, mais, fait inhabituel parmi les juges du début du xxe siècle, il a publié une importante autobiographie : Autobiography of Benjamin Russell (Halifax, 1932). Sa principale publication juridique s’intitule A commentary on the Bills of exchange act […] with references to English, Canadian and American cases, and the opinions of eminent jurists (Halifax, 1909). Il a également écrit des notes en bas de page appropriées au Canada pour des textes juridiques standards rédigés par d’éminents juristes anglais. Nous renvoyons les lecteurs qui voudraient en savoir davantage sur le contexte à notre article intitulé « The Supreme Court of Nova Scotia : confederation to the twenty-first century », dans The Supreme Court of Nova Scotia, 1754–2004 : from imperial bastion to provincial oracle, Philip Girard et al., édit. (Toronto, 2004), 140–203. Russell a publié des essais sur des personnages des milieux juridique et politique dans la Dalhousie Rev. (Halifax), dont « The career of Sir John Thompson », 1 (1921–1922) : 188–201 ; « Reminiscences of a legislature », 3 (1923–1924) : 5–16 ; « What we owe to Francis Parkman », 3 : 330–341 ; « Reminiscences of the Nova Scotia judiciary », 5 (1925–1926) : 499–512 ; « John Thomas Bulmer », 9 (1929–1930) : 68–78 ; « Recollections of W. S. Fielding », 9 : 326–340 ; et « A suggestive retrospect », 10 (1930–1931) : 75–82, dans lequel il fait un éloquent plaidoyer contre l’entrée en guerre.
Les contributions de Russell au monde de l’éducation juridique sont bien décrites dans John Willis, A history of Dalhousie law school (Toronto, 1979). Le fonds sir Wilfrid Laurier à BAC contient environ deux douzaines de lettres de Russell à Laurier et de nombreuses réponses (R10811-0-X, 3697-12, 4387-8, 44318-20, 48628-33, 66892-98, 69651-53, 78607-11, 78796-804, 81958-65, 122259-64).
BAC, « Journal personnel de William Lyon Mackenzie King », 25 sept. 1925 : www.bac-lac.gc.ca/fra/decouvrez/politique-gouvernement/premier-ministres/william-lyon-mackenzie-king/Pages/journal-mackenzie-king.aspx (consulté le 9 avril 2014).— NSA, MG 2, vol. 509, no 28 ; MG 100, vol. 216, no 22 ; RG 39, M, 5, no 10.— Dalhousie Gazette (Halifax), 27 oct. 1932, 2 nov. 1933.— Halifax Chronicle, 21 sept. 1935.— Halifax Daily Star, 19 oct. 1929.— Halifax Herald, 3 oct. 1904, 21 sept. 1935.— Morning Chronicle, 4 avril 1913.— C. L. Cleverdon, The woman suffrage movement in Canada, introd. par Ramsay Cook (2e éd., Toronto, 1974).— In re Frank Mackey (1918–1919), Nova Scotia Reports (Halifax), 52 : 165–181.— J. P. Martin, The story of Dartmouth (Dartmouth, N.-É., 1957 ; réimpr. 1981).— J. M. et L. J. Payzant, Like a weaver’s shuttle : a history of the Halifax-Dartmouth ferries (Halifax, 1979).
Philip Girard, « RUSSELL, BENJAMIN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/russell_benjamin_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/russell_benjamin_16F.html |
Auteur de l'article: | Philip Girard |
Titre de l'article: | RUSSELL, BENJAMIN |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2015 |
Année de la révision: | 2015 |
Date de consultation: | 21 nov. 2024 |