PHLEM (Flame, Flemme, Le Fène), dit Yvon, YVES, guérisseur, né à Morlaix, France, fils de Guillaume Phlem et de Marguerite Péroine, décédé à Sainte-Anne-de-la-Pérade (Québec) le 26 septembre 1749.
Yves Phlem passa sa jeunesse à Morlaix, où, selon son témoignage, il aurait appris les rudiments de l’art de guérir, tels qu’on les concevait à l’époque : faire des saignées, panser des blessures et utiliser « Plusieurs Remèdes pour guerir Diferentes maladies ». Nous ignorons en quelle année Phlem arriva au Canada, mais il y était déjà en 1724 puisqu’il épousait le 8 avril de cette année Marie Levreau (L’Heureux) à Sainte-Famille, île d’Orléans. L’année suivante, les deux époux habitaient Saint-Nicolas où naissait leur premier enfant et, en 1727, ils étaient installés à Sainte-Anne-de-la-Pérade. C’est dans cette paroisse que Phlem mit en pratique, et durant plus de 20 ans, ses connaissances de guérisseur.
Il est difficile toutefois de connaître ses activités comme chirurgien, surtout au début de sa carrière. Un grand nombre de documents le désignent comme tel, mais peu nous renseignent sur ses patients et les soins qu’il leur procurait. Il était renommé surtout pour la guérison des chancres et fit, semble-t-il, des « Cures Considerables » dans ce domaine. Les malades venaient parfois d’assez loin pour se faire traiter par lui. Mais les soins de Phlem ne se révélaient pas toujours efficaces, comme le démontre le cas de Michel Desmarais, habitant de Saint-Sulpice, qui mourut en 1729 à Sainte-Anne-de-la-Pérade « en la maison du Sr Yves Phlem chirurgien ».
Cependant rien ne semble avoir altéré la vie paisible du guérisseur avant 1735, alors que débuta ce qu’il conviendrait d’appeler l’« affaire Bilodeau ». Phlem ne pouvait pas se douter des difficultés qui allaient survenir lorsqu’il accepta, en septembre 1735, de soigner Jean Bilodeau, atteint d’une espèce de chancre qui lui avait « Rongé La levre de dessous Et presque tout le menton ». Avant d’avoir recours à Phlem, le malade, domicilié à Saint-François, île d’Orléans, avait déjà reçu les soins du chirurgien Jean Mauvide, de l’île d’Orléans. Ce dernier n’ayant pu arrêter le mal, Bilodeau s’était rendu à Québec consulter Michel Bertier*, chirurgien du roi, et le jésuite Jean-Jard Boispineau, lesquels jugèrent la maladie incurable. Phlem se montra beaucoup plus optimiste : par une convention passée le 16 septembre devant Joseph Voyer, curé de la paroisse Sainte-Anne, il s’engagea à soigner Bilodeau « de son mieux jusqu’à la quantité du tems de six mois conséquutifs [...] à moins que led Bilodo ne soit guéri parfaitement avant led. terme de six mois ». Phlem promettait en outre de loger, nourrir et blanchir son malade, de le panser deux fois par jour et de lui procurer tous les soins nécessaires. De son côté Bilodeau s’engageait à donner au chirurgien « pour ses peines, soins et fournitures » la somme de 500# payable en trois versements.
Malheureusement, les six mois s’écoulèrent sans que le présomptueux Phlem puisse guérir son malade, ni le trop confiant Bilodeau payer son médecin. Le 25 mars 1736, les deux hommes ratifièrent devant le notaire Arnould-Balthazar Pollet leur convention précédente. Bilodeau, qui devait encore la somme de 400# à Phlem, hypothéqua tous ses biens en faveur de ce dernier. Ce fut peine perdue car le malade, de plus en plus affligé par son chancre, succomba le 10 mai suivant, dans la maison de Phlem.
Ce décès allait avoir pour Phlem de fâcheuses conséquences. En effet, Marie Turgeon, veuve de Jean Bilodeau, refusa d’effectuer les paiements que le chirurgien réclamait suivant l’entente qu’il avait conclue avec son malade. Phlem présenta donc une requête à ce sujet devant la Prévôté de Québec le 14 octobre 1736. Mal lui en prit. En effet, le 15 mars 1737, le lieutenant général civil et criminel, Pierre André de Leigne, non seulement déclarait nulle la convention faite entre Yves Phlem et Jean Bilodeau « attendu que led. appelant n’a aucune qualité de chirurgien et qu’il ne peut être reconnu comme tel », mais il lui faisait stricte défense de « prendre à l’avenir la qualité de chirurgien et d’en faire les fonctions », sous peine d’une amende très sévère. Toutefois, la sentence accordait à Phlem la somme de 120# puisqu’il avait logé et nourri le défunt durant huit mois.
Fort mécontent de ce jugement, Phlem se rendit en appel au Conseil supérieur, à qui il présenta un long mémoire, daté du 22 mars, contenant ses griefs. Il y expliquait, avec force détails, que ses dons de guérisseur ne pouvaient pas être mis en doute et qu’il était de son devoir de les faire valoir, « Sans quoy on Pourroit appliquér La Parabole du Sauveur du monde, et Ce qu’il dit Contre cellui qui avoit Caché Ce qu’on Luy avoit donné [...]. Lorsque le maitre Lui en demanda Compte, Il en fut Puni ». Pénétré de ces pieux sentiments, Phlem avait jusqu’alors rempli publiquement les fonctions de chirurgien et s’était mérité l’approbation de ses concitoyens. Il avait même obtenu, disait-il, la protection des autorités : l’intendant Gilles Hocquart*, dont personne ne pouvait douter de la grande « exactitude [...] Pour corrigér Les abus », ne lui avait jamais interdit d’exercer son métier bien qu’il n’ignorât rien de ses activités. Phlem insistait également, dans son mémoire, sur la convention qu’il avait faite avec Bilodeau et dont la Prévôté avait refusé de reconnaître la validité. Cette convention ne pouvait pas être annulée puisqu’elle avait été ratifiée par un acte passé devant un notaire. Il demanda donc au Conseil supérieur de faire respecter les clauses de cet acte et d’obliger la veuve Bilodeau à lui donner son dû. Pour appuyer son plaidoyer, Phlem présenta, en même temps que son mémoire, le procès-verbal d’une assemblée de protestation tenue à Sainte-Anne-de-la-Pérade le 22 mars 1737. Il avait été rédigé par le notaire Pollet et signé par le curé de la paroisse, par le seigneur de l’endroit, Pierre-Thomas Tarieu de La Pérade, et par un grand nombre d’habitants. Tous témoignaient de la bonne réputation du chirurgien et demandaient au Conseil supérieur de passer outre à la sentence de la Prévôté et de permettre à Phlem de continuer à exercer son art.
Le Conseil supérieur soumit le cas au chirurgien Jourdain Lajus qui déclara que Phlem devait absolument se procurer des lettres de qualification s’il voulait pratiquer son métier. Le Conseil tint compte de cet avis lorsqu’il se réunit, le 13 avril 1737, pour rendre son verdict. Il débouta Phlem de son appel et l’obligea à prendre des lettres de chirurgien. Par ailleurs, le tribunal condamna la veuve Bilodeau à payer à l’appelant la somme de 180#, soit 60# de plus que la sentence de la Prévôté n’en avait accordé au guérisseur.
Ce jugement, quoique sévère, ne semble pas avoir impressionné outre mesure Yves Phlem qui ne fit aucune démarche pour obtenir des lettres patentes et continua de soigner les malades. Il est vrai que toute requête lui aurait probablement été refusée, car ses connaissances chirurgicales étaient beaucoup plus empiriques que théoriques, ce dont il était sûrement conscient. De plus, il n’ignorait pas qu’aussi longtemps que personne ne formulerait de nouvelles plaintes contre lui, il pourrait continuer d’exercer en toute quiétude le métier de chirurgien.
Les années qui suivirent l’affaire Bilodeau furent calmes. Il semble que la réputation de Phlem soit demeurée intacte aux yeux de ses concitoyens. Le guérisseur continua, comme par le passé, à recevoir des malades à domicile. Aucune plainte ne fut déposée contre lui, même si l’occasion aurait pu se présenter à quelques reprises. En effet, d’après les registres de la paroisse Sainte-Anne-de-la-Pérade, trois de ses patients moururent chez lui : Nicolas Marion, en 1738, Paul Desmarais, de Verchères, atteint d’hydropisie, en 1739, et Gabriel Desmaisons, employé aux forges du Saint-Maurice, également hydropique, en 1742. Peut-être y eut-il d’autres malades qui moururent à cause ou en dépit des soins de Phlem, mais il y en eut certainement plusieurs qui furent soulagés grâce à lui.
Yves Phlem mourut à Sainte-Anne-de-la-Pérade le 26 septembre 1749 et fut inhumé le lendemain « en présence de la partie majeure de la dite paroise ». L’inventaire des biens du défunt fut dressé le 3 octobre suivant par le notaire Pollet. Chose étonnante, il ne mentionne ni remèdes ni instruments de chirurgie !
AJTR, Greffe d’A.-B. Pollet, 25 mars 1736, 3 oct. 1749.— ANQ, NF, Coll. de pièces jud. et not., 1 145, 2 406.— Archives paroissiales de Sainte-Anne-de-la-Pérade, Québec, Registres des baptêmes, mariages et sépultures, 10 mai 1736, 22 juill. 1738, 12 déc. 1739, 22 févr. 1742, 27 sept. 1749.— P.-G. Roy, Inv. coll. pièces jud. et not., I : 217 ; Inv. jug. et délib., 1717–1760, III : 170, 172.— Tanguay, Dictionnaire.— Ahern, Notes pour l’histoire de la médecine.— Raymond Douville, Chirurgiens, barbiers-chirurgiens et charlatans de la région trifluvienne sous le régime français, Cahiers des Dix, XV (1950) : 114–118.— Sylvio Leblond, La médecine dans la province de Québec avant 1847, Cahiers des Dix, XXXV (1970) : 69–74.— Victor Morin, L’évolution de la médecine au Canada français, Cahiers des Dix, XXV (1960) : 64–71.
Marie-Céline Blais, « PHLEM (Flame, Flemme, Le Fène), dit Yvon, YVES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 17 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/phlem_yves_3F.html.
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Auteur de l'article: | Marie-Céline Blais |
Titre de l'article: | PHLEM (Flame, Flemme, Le Fène), dit Yvon, YVES |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1974 |
Année de la révision: | 1974 |
Date de consultation: | 17 déc. 2024 |