LIVINGSTON, JOHN, journaliste et éditeur de journaux, né le 1er février 1837 à Richibucto, Nouveau-Brunswick, fils de Henry Livingston, fonctionnaire local, et d’Isabella Wheten ; le 17 mai 1866, il épousa à Saint-Jean, Nouveau-Brunswick, Anna Maria B. Armstrong, et ils eurent quatre fils et quatre filles ; décédé le 10 février 1894 à Montréal.

La famille de John Livingston s’installa à Shédiac quand il était encore jeune, et c’est là qu’il apprit la télégraphie. Muté à Saint-Jean par la New Brunswick Telegraph Company, il amorça bientôt sa carrière de journaliste au Colonial Presbyterian and Protestant Journal de William Elder*. En octobre 1859, il demanda au secrétaire de la province, Samuel Leonard Tilley, d’appuyer sa candidature au poste de « messager de la chambre d’Assemblée » en lui faisant valoir qu’ils avaient « les mêmes opinions politiques ». Pas plus en cette occasion que par la suite, il ne décrocha de poste dans l’administration.

En juillet 1860, Livingston informa Tilley de son intention de fonder « un journal du matin pour [servir] les intérêts du gouv[ernement] ». La parution ne commença qu’en 1862 mais, entre-temps, il fut rédacteur en chef de l’éphémère Temperance Banner durant environ un an et travailla aussi pour le Morning News de George Edward Fenety. Des indices laissent voir que sa dépendance financière à l’égard de Tilley s’accentuait ; ainsi, en 1862, il lui demanda de cosigner un billet à ordre de 150 $. En septembre 1862, grâce à ses propres économies et à l’aide de son père, il put lancer le premier numéro du trihebdomadaire Morning Telegraph, dont il était à la fois propriétaire et rédacteur en chef.

Sa compétence et son esprit imaginatif allaient valoir à Livingston le titre de père du journalisme moderne à Saint-Jean. Délaissant les nouvelles britanniques et américaines qui formaient la substance des journaux néo-brunswickois, il privilégiait les nouvelles locales, recueillies à Saint-Jean même ou communiquées par le télégraphe et par un reporter itinérant. Il augmenta la diffusion de son journal en menant des campagnes de promotion dans les trois colonies de l’Atlantique et en offrant, aux personnes qui organisaient « un club » de 20 abonnés, un abonnement gratuit d’un an à un magazine. Livingston ne tarda pas à se faire une réputation de commentateur bien informé et direct. Son journal allait prendre position notamment sur le Western Extension Railway, la Confédération, le chemin de fer Intercolonial, le canal de Baie-Verte et, surtout, l’avenir de Saint-Jean en tant que centre manufacturier et métropole du Nouveau-Brunswick.

Au milieu des années 1860, aucune question n’occupait davantage les esprits que la Confédération, et la controverse qu’elle suscitait faillit bien provoquer une rupture entre Livingston et Tilley. Le Morning Telegraph devint un quotidien à l’été de 1864 et, en général, on le range parmi les journaux entièrement favorables à la Confédération. Pourtant, Livingston se méfiait des propositions du Canada, et après la conférence de Charlottetown, il dit à Tilley : « J’espère seulement que, dans cette question canadienne, vous-même et les autres délégués des Maritimes ne finirez pas par être bernés. Pour ma part, je ne crois nullement aux « bonnes intentions » du Canada envers nous. » Son journal appuya prudemment la position des anticonfédéraux sur certaines questions et alla jusqu’à accuser les délégués des Maritimes d’« avoir vendu [leurs concitoyens] aux Canadiens ». La situation de Livingston n’était pas aisée : passer à la publication quotidienne avait coûté cher, et ses principaux bailleurs de fonds étaient partisans de la Confédération. Au début de 1865, soit au moment où Tilley fit – et perdit – sa première campagne électorale sur l’union avec la province du Canada, le journal le soutint résolument. Il fit de même durant la seconde campagne, celle de 1866, qui s’acheva par une victoire. Entre-temps, les problèmes financiers de Livingston s’étaient aggravés, en partie, écrivait-il à Tilley, à cause de son excès de zèle en faveur de la Confédération ; en effet, il avait emprunté de l’argent à John Boyd, l’agent de Tilley, pour promouvoir la cause dans son journal. La R. G. Dun and Company avait évalué ses difficultés avec plus de précision en juin 1865 : « [il] se débrouille assez bien, disait-elle, mais ne comprend rien aux finances et néglige son cr[édit] ». Après avoir été un quotidien durant un an, le Morning Telegraph redevint trihebdomadaire et, en juillet 1869, il fusionna avec le Morning Journal de William Elder pour former le StJohn Daily Telegraph and Morning Journal. Livingston demeura propriétaire et Elder devint rédacteur en chef. Cependant, il dut vendre le journal à Elder pour 30 000 $ en 1871. Cette somme lui permit de lancer le Daily Tribune, mais il en abandonna la direction, et déclara faillite le 18 septembre 1872.

Pour échapper à sa disgrâce, Livingston se réfugia à Moncton, où il refit surface en 1873 à la direction du Times. Dès 1875, il était de retour à Saint-Jean et avait fondé un hebdomadaire, le Watchman. Le Telegraph d’Elder avait adopté une position éditoriale franchement libérale. De son côté, Livingston entreprit, avec sir John Alexander Macdonald, une correspondance où il était souvent question de la nécessité de doter Saint-Jean d’un quotidien conservateur. Toutefois, en juin 1877, l’incendie qui ravagea la ville détruisit les bureaux du Watchman et tous les biens de Livingston. Encore une fois, il trouva temporairement refuge à Moncton, où il partagea la direction du Times avec Henry Thaddeus Stevens. Tout en reconnaissant que ce journal portait « assez bien « la bannière » [des conservateurs] », il ne pouvait s’empêcher, étant donné la pauvreté dans laquelle il se trouvait, de souligner : « bien sûr, nous ne pouvons avoir ici l’influence qu’un quotidien aurait à Saint-Jean ». Redonner un journal conservateur à cette ville et en confier la rédaction à Livingston serait un moyen de dédommager ce dernier des énormes pertes qu’il avait subies en défendant le parti. Le moment était propice : les élections approchaient, et Tilley avait besoin de tous les appuis possibles. Le Daily Sun fut lancé en 1878 ; dès septembre, Livingston en était le rédacteur en chef.

Livingston applaudit au triomphe des conservateurs cette année-là puis à l’adoption de la Politique nationale en 1879. Après tant de déboires, allait-il enfin connaître la prospérité ? On aurait pu le penser. Pourtant, les difficultés financières continuaient de l’assaillir et sa santé se détériorait. Il mendia donc un poste au gouvernement. Le parti ne put rien lui offrir de mieux, en 1883, que la direction du Montreal Herald and Daily Commercial Gazette. Au cours des quatre années où il exerça cette fonction, il perdit sa femme et se retrouva seul avec ses huit enfants. Sa situation devenant de plus en plus « ingrate », il laissa clairement entendre à Macdonald qu’il voulait quitter le journal dès que possible.

Livingston demeurait un journaliste réputé, comme en témoigne le fait que, dans les derniers mois de 1887, on le nomma rédacteur en chef de l’Empire de Toronto, journal qui devait devenir le principal organe national du parti conservateur. Il se mit au travail avec enthousiasme mais fut congédié un peu plus d’un an après, soi-disant pour raisons de santé. En mars 1889, après être allé se faire soigner à Boston, il refit appel à Macdonald pour obtenir un poste dans la fonction publique. Le même mois, il écrivit à Tilley, le suppliant d’intervenir. Finalement, ses démarches portèrent fruit : en décembre 1889, on le nomma administrateur du Calgary Herald. Mais sa santé et sa situation financière laissaient encore à désirer et, en janvier 1892, il sollicita à nouveau, mais sans succès, un poste de fonctionnaire de l’immigration à Calgary. Tout en reconnaissant que son salaire était modeste, il ne craignait pas d’avouer : « la charge de travail est légère en hiver, et je peux m’organiser de manière à poursuivre un certain travail littéraire que j’ai en tête ». À la fin d’août, son nom disparut du cartouche administratif du Calgary Herald. Vers la fin de 1893, Livingstone réapparut à Montréal avec un projet d’hebdomadaire financier – idée plutôt amusante étant donné ses antécédents dans ce domaine. Il obtint une certaine aide de la part du fidèle Tilley, mais le journal ne parut jamais ; Livingston mourut le 10 février 1894, peu de temps après avoir contracté une pneumonie.

L’historien Paul Rutherford, en classant par catégories les journalistes de l’époque, a placé tout en bas « une troupe d’éditeurs marginaux et d’auteurs besogneux que le destin [...] a traité durement ». On pourrait aisément ranger John Livingston parmi eux. Lui-même a écrit au sujet de la triste « situation des collaborateurs des journaux de parti au Canada. Les hommes de lettres qui consacrent le meilleur de leur existence aux partis canadiens ont un avenir sombre devant eux. Ils n’ont que de rares occasions de gagner ou d’économiser de l’argent. Les salaires sont modestes, les à-côtés inexistants. Ils doivent soit demeurer dans le monde de la presse, avec ses hauts et ses bas, soit finir par accepter du gouv[ernement] quelque petite fonction qui peut bien ne pas leur convenir. » Livingston connut bien plus de « bas » que de « hauts », et ses faiblesses en matière financière étaient plus qu’évidentes. Néanmoins, en raison de ses talents de journaliste – surtout tels qu’ils se manifestèrent à l’époque du Morning Telegraph de Saint-Jean – il acquit une réputation provinciale, voire nationale. En outre, sa carrière montre combien, dans le Canada de la fin du xixe siècle, la pratique du journalisme de parti était précaire et ingrate pour certains.

William G. Godfrey et Connie L. Holland

AN, MG 26, A, 265 ; 276 ; 347 ; 349 ; 360 ; 381 ; 441 ; 444 ; 446 ; 448 ; 459 ; 471 ; 474 ; 477–478 ; 528 ; MG 27, I, D15, 7–9 ; 11–13 ; 15 ; 17–20 ; RG 31, C1, 1861, Richibucto (mfm aux APNB).— APNB, RG3, RS551, bond 5314.— Baker Library, R. G. Dun & Co. credit ledger, Canada, 9 : 295 (mfm aux AN).— Musée du N.-B., Tilley family papers, boxes 4, 7, 9, 12.— Saint John Regional Library (Saint-Jean, N.-B.), « O » scrapbook, vol. 6 ; W. O Raymond scrapbook, vol. 5 ; 11.— Calgary Herald, 1889–1892.— Daily Sun (Saint-Jean), 1878–1883.— Daily Telegraph (Saint-Jean), 1864–1865.— Daily Tribune (Saint-Jean), 1871–1872.— Empire (Toronto), 1887–1888.— Moncton Times (Moncton, N.-B.), 1877–1878.— Montreal Daily Star, 12 févr. 1894.— Morning Telegraph (Saint-Jean), 1862–1869, plus tard le St. John Daily Telegraph and Morning Journal, 1869.— Watchman (Saint-Jean), 1875–1877.— Baker, Timothy Warren Anglin.— C. L. Holland, « John Livingston : a biography of a journalist » (thèse de b.a., Mount Allison Univ., Sackville, N.-B., 1988).— Paul Rutherford, The making of the Canadian media (Toronto, 1978) ; Victorian authority.— C. M. Wallace, « Sir Leonard Tilley, a political biography » (thèse de ph.d., Univ. of Alta., Edmonton, 1972).— B. P. N. Beaven, « Partisanship, patronage, and the press in Ontario, 1880–1914 : myths and realities », CHR, 64 (1983) : 317–351.— C. M. Wallace, « Saint John boosters and the railroads in mid-nineteenth century », Acadiensis (Fredericton), 6 (1976–1977), no 1 : 71–91.

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William G. Godfrey et Connie L. Holland, « LIVINGSTON, JOHN (1837-1894) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/livingston_john_1837_1894_12F.html.

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Auteur de l'article:    William G. Godfrey et Connie L. Holland
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1990
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Date de consultation:    20 nov. 2024