LAURE, PIERRE-MICHEL, prêtre, jésuite, missionnaire au Saguenay, né à Orléans le 17 septembre 1688, décédé aux Éboulements le 22 novembre 1738.

Entré chez les Jésuites, à Paris, le 29 octobre 1707, Pierre-Michel Laure fut destiné aux missions du Canada. Il arriva à Québec le 29 octobre 1711 et y fut occupé pendant quatre ans comme instructeur au collège des Jésuites. On voit qu’en 1716 il avait charge de la bibliothèque ; cette fonction est mentionnée pour la première fois dans les annales de la maison. De plus, on signale qu’il s’appliquait à faire de la peinture. Le 27 août 1713, il avait reçu la tonsure et les ordres mineurs dans la chapelle de l’Hôpital Général. C’est là que, ses études théologiques terminées, il fut ordonné sous-diacre, diacre et prêtre par Mgr de Saint-Vallier [La Croix], en juin 1719. L’année suivante, on lui confiait le rétablissement des missions chez les Montagnais du Saguenay, pratiquement abandonnées depuis 18 ans, à la suite de la mort du père François de Crespieul. Le 1er juin 1720 il partait pour Chicoutimi.

Il y fut accueilli par des manifestations de joie, mais il fut bientôt navré du triste état des choses et des gens : « une vieille chapelle toute délabrée [...], aucun Sauvage avoit il d’autre teinture de notre Ste Religion qu’un grand desir d’en apprendre les principes. Les jeunes gens n’en avoient jamais entendu discourir les plus agez marmottoient quelques restes confus du pater seulement et de l’Ave de leurs ancetres. La licence souveraine[me]nt dominante entre eux, la poligamie, plus encore l’yvrognerie, en un mot tous les desordres qu’enfante le plus grossier libertinage etoient les idoles qu’adoroient uniquement ces pauvres aveugles ». Devant ce spectacle, où il pouvait voir la mesure de la tâche qui l’attendait, il souffrait cruellement de se trouver seul, sans logis, sans secours et surtout incapable de remédier tout de suite au mal ; la langue algonquine, qu’il avait apprise au collège de Québec, ne lui permettait pas de s’expliquer suffisamment avec les Montagnais.

Il eut la chance de trouver sur place une indienne remarquablement intelligente et cultivée, parlant bien le français, Marie Outchiouanish, femme de Nicolas Pelletier (Peltier). Il se mit à son école et fit de rapides progrès. « En maître elle conduisait mes etudes, écrit-il, et des le premier mot qu’elle m’entendit prononcer, c’en est fait, dit-elle aux autres, notre père a parlé notre langue, je ne lui parlerai plus françois. malgré mes instances, elle garda sa parole ; et a force de le faire deviner elle mit son écolier en etat de prescher a Noël le mystère sans papier ». Il ajoute plus loin : « petit discours d’environ 3 quarts dheure à l’Evangile ».

Entre-temps on lui avait construit une maison logeable. À Noël, il eut la satisfaction de voir sa pauvre chapelle remplie de fidèles bien disposés dont quelques-uns avaient fait un trajet de plus de 100 lieues pour venir ; « presque tous » s’étaient confessés et avaient reçu la communion à la grande édification des Français employés au poste.

Ce premier hiver, dans une maison hâtivement construite et sans aucun confort, fut dur pour le père Laure. « Indisposé il se fit mener des le petit printems à Quebec, ou il avoit dessein de passer quelque teins ». Mais il n’y put tenir longtemps. Avant même le retour des chasseurs indiens, il était revenu à Chicoutimi. Le bruit avait couru que, par découragement, il avait abandonné sa mission ; la fausseté de cette rumeur provoqua chez les Montagnais une manifestation de leurs bons sentiments. Il acheva de les gagner pendant une épidémie qui sévit parmi eux en ce printemps de 1721. Le mal éclata soudainement et on crut qu’il provenait de la peste de Marseille apportée par des ballots de couvertures infectées. Le village de tentes était à peine installé qu’il prit l’aspect d’un camp de pestiférés. En trois semaines, la mort emporta 25 adultes et nombre d’enfants. Le missionnaire fut sans répit, jour et nuit, au secours de ses pauvres gens. Il fut réconforté par plusieurs conversions et par des morts très édifiantes ; mais il devint tellement épuisé que, « dans l’intervalle de repos » qui suivit, il lui fut « comme impossible de parler juste quatre mots » en langue montagnaise.

Par la suite, il se rendit visiter les Indiens de Tadoussac, qui l’attendaient depuis longtemps. « Je vis ces gens si bien disposez au christianisme, écrit-il, que je ne pus me dispenser de passer l’hyver avec eux ». Ils s’installèrent à huit lieues de là, à l’anse de Bon-Désir, où s’étaient réunis pour le service religieux 120 adultes, dont un certain nombre s’employaient à la chasse aux loups marins. Il y passa quatre hivers de suite, et y construisit, en 1723, une chapelle et une maison pour le missionnaire. De là, au cours de l’été, il exerçait son ministère à la mission de Chicoutimi et chez les Papinachois, au poste des Îlets Jérémie, sur la côte du Saint-Laurent.

Des dispositions hostiles de la part des commis de la traite amenèrent le père Laure à abandonner, en 1725, cette mission bien organisée et prometteuse et à installer sa résidence à Chicoutimi, ce qui répondait au désir des Indiens de l’intérieur du Saguenay. On fit des réparations à la maison qu’il devait habiter et on commença à l’automne la construction d’une nouvelle chapelle, dans laquelle il célébra la première messe le 15 août 1726. Il y travailla lui-même, donna « le premier coup de hache » et fit de ses mains l’autel, les accessoires et l’ornementation de l’intérieur (sculpture et peinture), car il était très habile en ces travaux. Cette petite église, soigneusement bâtie en bois de cèdre, devait durer exactement 130 ans. Le père fit de même pour sa nouvelle maison commencée en 1728.

C’est à Chicoutimi qu’habituellement il passa les hivers, excepté celui de 1733 et probablement celui de 1736, qu’il alla passer à Québec. De là, comme précédemment à Bon-Désir, il allait, à l’ordinaire deux fois par année, visiter les groupes dispersés dans son immense domaine qui s’étendait de Sept-Îles jusqu’au grand lac Mistassini. À part ses missions régulières, il se rendait partout où le besoin l’appelait.

Il suggéra de faire près des postes de traite un peu de culture du blé d’Inde et d’organiser de petites industries indiennes, comme celle de la fabrication des canots d’écorce, pour occuper les hommes et les femmes pendant l’été et leur procurer plus de moyens de vivre. Il proposa de plus, affirmant « en avoir fait heureusement l’expérience », « d’avoir un petit fond capable d’entretenir modiquement et a la sauvage quelques enfans les quels gardez durant un hyver par de bonnes vieilles [...] et successivement instruits iroient au printems faire part a leurs parens de leur doctrine ». En outre, ajoute-t-il, ces gardiennes catéchistes « passeroient des peaux, feroient des robes, des capots de castor des souliers sauvages les raquettes et rendroient a la maison les autres services dont il est difficile de se passer en hyver ».

Il aurait voulu se rendre au Labrador fonder une mission et il fit des démarches dans ce but, mais sans succès. En 1737, après 18 années d’apostolat dans le Domaine du roi, le père Laure était nommé missionnaire résidant aux Éboulements. Il revint exercer son ministère à Tadoussac en juillet 1738 ; ce fut sa dernière visite au Saguenay. Il mourut aux Éboulements le 22 novembre suivant.

En mars 1730, dans une longue relation datée de Chicoutimi, le père Laure décrit le pays, les nations qui l’habitaient et les dix premières années de son activité missionnaire. Ce texte contient des données géographiques et ethnologiques importantes ; il mentionne aussi deux lieux qui n’ont jamais été identifiés : une « rivière industrieuse » au lac Saint-Jean et un « antre de marbre » de type singulier à l’est du lac Mistassini. L’auteur y fait allusion à des relations antérieures qui n’ont pas été conservées, à l’exception d’une lettre écrite de Tadoussac en 1724, dans laquelle il juge sévèrement les Montagnais.

De plus, le père Laure nous a laissé un « Apparat français-montagnais », des cartes du « Domaine du Roy en Canada », toutes dédiées à Mgr le Dauphin, et une dernière carte du « Cours de Pitchitaouitchetz ou du Saguenay », dédiée au marquis de Beauharnois*, gouverneur du Canada, et datée de 1731.

Victor Tremblay, p.d.

Deux manuscrits du père Laure sont conservés à l’archevêché de Québec : l’un contient un petit catéchisme en algonquin, les interrogations à faire au baptême et des formules de prières ; l’autre contient des prières et des chants en montagnais, un catéchisme également en montagnais, des avis aux missionnaires et autres petites choses et, à la fin, le texte de sa lettre écrite de Tadoussac en 1724, suivi de quelques brèves indications. Au scolasticat des pères Oblats à Ottawa, on possède la copie de son « Apparat français-montagnais », son manuscrit de « Prières et Catéchisme », de 1728, un exemplaire de son Alphabet et Prières en langue montagnaise, imprimé plus tard, en 1767, et un petit lexique manuscrit des termes montagnais, « Les parties du corps .]

AAQ, Registres des missions des Postes du Roy, Miscellaneorum Liber.— ASJCF, 554 ; Cahier des vœux, f.33v. ; Lettres de l’intendant Hocquart relatives aux missions du Saguenay.— JR (Thwaites), passim.— Bibliothèque de la Compagnie de Jésus. Première partie : bibliographie par les Pères Augustin et Aloys de Backer. Seconde partie : histoire par le Père Auguste Carayon, Carlos Sommervogel, édit. (8 vol., Bruxelles et Paris, 1890–1898), IV : 1 561.— Le clergé de la Nouvelle-France, BRH, LIV (1948) : 82.— Rochemonteix, Les Jésuites et la N.–F. au XVIIe siècle, III : 432.

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Victor Tremblay, p.d., « LAURE, PIERRE-MICHEL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 18 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/laure_pierre_michel_2F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1969
Année de la révision:    1991
Date de consultation:    18 déc. 2024