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LAMOTHE, MARGUERITE (baptisée Marie-Josephte-Marguerite-Mathilde) (Thibaudeau), réformatrice sociale et philanthrope, née le 6 mai 1853 à Montréal, fille de Guillaume Lamothe et de Marguerite de Savoye, et petite-fille de Joseph-Maurice Lamothe* ; le 9 décembre 1873, elle épousa au même endroit Joseph-Rosaire Thibaudeau (1837–1909), et ils eurent deux filles ; décédée le 4 octobre 1939 à Montréal, et inhumée au cimetière Notre-Dame-des-Neiges, dans la même ville.
Marguerite, surnommée Loulou par ses proches, connut une enfance privilégiée dans un Montréal en rapide expansion. Son père, milicien, devint chef de police de la ville en 1861, puis maître de poste en 1874. Durant l’été, comme maintes autres familles aisées, les Lamothe laissaient la chaleur étouffante du centre urbain derrière eux pour profiter de la fraîcheur de la campagne. Ils séjournaient fréquemment à Arthabaska (Victoriaville).
Marguerite reçut une éducation catholique traditionnelle chez les dames du Sacré-Cœur. Pendant ses années de formation, elle se lia avec sa camarade de classe Caroline Dessaulles*, qui épouserait le futur sénateur libéral Frédéric-Ligori Béïque ; leur amitié durerait toute leur vie.
La demeure des Lamothe comptait incontestablement parmi les plus raffinées de la ville et constituait un lieu de socialisation pour l’élite montréalaise ; les membres des cercles libéraux la prisaient particulièrement. Dans ses mémoires, Caroline Béïque évoque un séjour à la résidence familiale d’été, où elle rencontra Wilfrid Laurier* pour la première fois, au cours d’une soirée organisée par leur ami Édouard-Louis Pacaud*. De telles occasions d’assister à des conversations politiques – et même d’y participer – influencèrent indubitablement la jeune et brillante Marguerite.
En 1873, Marguerite se maria avec Joseph-Rosaire Thibaudeau à la cathédrale Saint-Jacques-le-Majeur de Montréal. Frère d’Isidore* et de Joseph-Élie* Thibaudeau, Joseph-Rosaire avait quitté Cap-Santé pour s’installer à Montréal afin d’administrer la branche florissante de leur lucrative maison de gros. Il était veuf ; Marguerite devint donc la belle-mère de son fils de deux ans, prénommé De Blois.
Les frères Thibaudeau possédaient un don pour les affaires et, à l’instar de tant d’autres entrepreneurs montréalais, avaient très tôt diversifié leur portefeuille. Vers la fin du siècle, Joseph-Rosaire occupait un rôle éminent dans les milieux de l’électricité (avec la Compagnie royale d’électricité), du coton (avec la Compagnie des cotons de Montréal), de l’assurance (avec la Compagnie d’assurance royale canadienne) et de la banque (avec la Banque nationale), ainsi qu’au sein de la Compagnie canadienne de téléphone Bell, alors émergente. Libéral engagé, il fut un important conseiller durant les premières années de la Confédération ; en 1878, Alexander Mackenzie* le nomma au Sénat. Il servit également à titre de shérif de Montréal à partir de 1890.
Le couple Thibaudeau s’établit à Longue-Pointe, à l’extrémité est de l’île de Montréal. Le quotidien de Marguerite, comparable à celui de bien des femmes aisées de l’époque, consistait à gérer la maison et les domestiques, dont certains vivaient sur place. En plus de son beau-fils, elle éleva ses deux filles, Rita et Alice. On lui demandait aussi de s’occuper d’affaires sociales et administratives, tout en organisant un horaire d’activités sociales chargé. En sa qualité de sénateur, Joseph-Rosaire allait régulièrement à Ottawa ; tel que le voulait la coutume, Marguerite l’accompagnait à certains événements, comme l’ouverture annuelle du Sénat. Rita épousa l’avocat Aimé Geoffrion* et donna naissance à quatre enfants. Alice se maria au médecin protestant Robert Douglass Gurd ; elle mourut en couches en 1908, au terme de sa deuxième grossesse. Joseph-Rosaire disparut à son tour l’année suivante ; Marguerite emménagea alors chez son gendre veuf pour l’aider à s’occuper de ses enfants.
Mme Thibaudeau ne se contenta pas de ses obligations matrimoniales et maternelles : elle voua une part considérable de sa vie aux œuvres de bienfaisance et au militantisme social. Elle consacra beaucoup de son temps, de son énergie et de ses ressources financières au soutien d’organisations caritatives de sa ville, et s’associa à une grande variété de causes. De la fin des années 1880 jusqu’aux années 1930 environ, elle occupa le poste de vice-présidente de l’Orphelinat catholique de Montréal, fondé par une tante de son grand-père paternel, Angélique Cotté (femme de Gabriel Cotté*). Elle dirigea la Parks and Playgrounds Association of Montreal. Membre de la Needlework Guild of Canada, créée par Charlotte Learmont [Smithers], et du comité des dames du Victorian Order of Nurses for Canada, elle patronna également l’hôpital pour enfants Sainte-Justine et le Royal Edward Institute [V. Jeffrey Hale Burland*]. Active dans divers clubs culturels, dont la section féminine de la Société de numismatique et d’archéologie de Montréal et la Women’s Historical Society of Montreal, elle appartenait aussi au Montreal Central Women’s Liberal Club.
Parmi les bonnes œuvres de Mme Thibaudeau, l’hôpital Notre-Dame [V. Emmanuel-Persillier Lachapelle*], fondé en 1880, occupait la place principale. Premier hôpital laïque francophone de Montréal, il donnait accès à un centre de formation clinique au campus local de la faculté de médecine de l’université Laval, et constituait un lieu important pour l’enseignement des sciences infirmières [V. Élodie Mailloux]. Un conseil de gestion dirigeait l’établissement, des professeurs prenaient en charge les services médicaux, et les Sœurs de la charité de l’Hôpital Général de Montréal (dites sœurs grises) assumaient la responsabilité des soins infirmiers et de l’administration. Joseph-Rosaire Thibaudeau avait joué un rôle déterminant dans la création de l’hôpital, qu’il présida de 1882 à 1895. En 1881, Mme Thibaudeau avait cofondé une association de bienfaitrices, qui se heurta à l’opposition du clergé catholique en raison de sa laïcité. Elle y servit à titre de trésorière de 1881 à 1886, de présidente de 1887 à 1905, et de présidente d’honneur de 1911 à 1913 et de 1918 à 1924.
Comme le faisaient habituellement les femmes membres d’organismes auxiliaires d’établissements de soins médicaux ou sociaux, les dames patronnesses concentraient leurs efforts sur les collectes de fonds et le bénévolat au sein même de l’hôpital (dont la visite de patients et l’organisation de fêtes en des occasions spéciales). Les spectaculaires kermesses (ou foires) se révélèrent leurs plus grandes réalisations. La première se tint en juin 1884 à la place d’Armes. Durant huit jours, le public profita d’une atmosphère festive dans de larges tentes blanches où, au milieu de fleurs et de musique, elles se rassemblèrent avec leurs proches le long de comptoirs garnis de nourriture et de cadeaux. Des concerts, des pièces de théâtre, des ventes d’artisanat et des gymkhanas (compétitions équestres) figuraient aussi parmi les activités de financement. Au cours des 40 premières années d’existence de l’hôpital, l’association collecta plus de 160 000 $.
À Montréal, les œuvres de bienfaisance, tout comme la santé et l’éducation, relevaient traditionnellement d’une confession religieuse, catholiques, protestants et Juifs servant leur communauté respective. Déjà séduite par la vision laïque de l’hôpital Notre-Dame, Mme Thibaudeau faisait partie d’un groupe de femmes pour qui la coopération œcuménique s’avérait nécessaire. De plus, ces dernières partageaient la même vision de la maternité et du rôle social important des femmes en tant que mères. Cette manière de concevoir les choses (que l’on peut désigner comme un type de « maternalisme ») établissait des ponts qui permettaient de franchir les frontières linguistiques et religieuses. Par ailleurs, les réformateurs sociaux étaient préoccupés par le fait que la charité, considérée comme une réaction spontanée aux problèmes immédiats, ait créé une tendance cyclique à traiter les symptômes de la pauvreté plutôt que ses causes. La solution à ce problème, soutenaient-ils, résidait dans une approche systémique et scientifique de la bienfaisance.
Guidées par la vision et l’enthousiasme de lady Aberdeen [Marjoribanks], femme de lord Aberdeen [Hamilton-Gordon] (nouvellement nommé gouverneur général du Canada), les grandes figures féminines de Montréal passèrent des idées aux actes : en 1893, elles formèrent le Local Council of Women de la ville, section du National Council of Women of Canada. Élue première présidente du conseil local, Grace Julia Drummond [Parker*], fortement encouragée par lady Aberdeen, s’engagea à ouvrir les portes de l’organisme à toutes les convictions religieuses et à toutes les langues, et sollicita le soutien des femmes francophones et anglophones de Montréal. Mme Thibaudeau – qui agit à titre de vice-présidente en quatre occasions entre 1893 et 1907, et de vice-présidente d’honneur de 1915 à 1921 – compta parmi les premières partisanes de cette vision, et les dames patronnesses de l’hôpital de Notre-Dame constituèrent le premier groupe francophone à se joindre, en 1896, au conseil montréalais. Les rencontres privées de Mme Thibaudeau avec des membres du clergé catholique, dont Paul Bruchési, apaisèrent la hiérarchie de l’Église, vivement préoccupée par la coopération œcuménique. L’engouement précoce de Mme Thibaudeau pour le conseil encouragea d’autres femmes catholiques à suivre son exemple : plusieurs d’entre elles y adhérèrent bientôt (notamment Joséphine Dandurand [Marchand*], Alphonsine Drolet, Margaret Josephine Hingston et Marie-Louise Lacoste).
Parallèlement à son engagement dans le conseil local et l’hôpital Notre-Dame, Mme Thibaudeau s’impliquait dans la section féminine de l’Association Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Créée en 1902, cette division devint, en 1907, la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste. Mme Thibaudeau, Mme Dandurand, Mme Lacoste et sa fille Marie Gérin-Lajoie [Lacoste*], tout comme Mme Béïque, jouèrent un rôle capital dans la constitution de l’organisme, dont l’adhésion à un féminisme chrétien recueillit l’approbation de l’Église catholique. Le financement d’un programme de formation provincial pour les jeunes femmes destinées au mariage et à la maternité figura parmi ses principaux projets ; l’initiative mena à la création, en 1906, des Écoles ménagères provinciales de Montréal [V. Jeanne Anctil*].
Au déclenchement de la Première Guerre mondiale, en 1914, Mme Thibaudeau organisa un sous-comité féminin du comité France-Amérique de Montréal, nommé Aide à la France, afin de soutenir les victimes françaises de la guerre et leur famille ; elle en assuma la présidence durant tout le conflit. Le sous-comité déploya des efforts monumentaux à Montréal et dans tout le pays pour récolter les fonds nécessaires à l’envoi d’aide matérielle à la France et à la Belgique (notamment des voitures, des maisons mobiles et des fournitures médicales). Mme Thibaudeau mit elle-même sur pied une campagne dédiée à l’expédition de montres aux troupes françaises. Un bon nombre de soldats lui écriraient des lettres personnelles de remerciement dans les années qui suivirent l’armistice. Elle affirma aussi son soutien à la Croix-Rouge et présida sa section canadienne-française en janvier 1915. Plus tard, elle travailla assidûment au nom du Fonds patriotique canadien. Ses efforts durant la guerre lui valurent plusieurs honneurs, dont le titre de dame de grâce de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem en Angleterre (1915) et la médaille de la Reconnaissance française (1920).
Même si elle ne se trouva jamais sous le feu des projecteurs pendant la quête des femmes pour le droit de vote, Mme Thibaudeau s’impliqua dans le Comité provincial pour le suffrage féminin, qui se forma au Québec en 1922, à l’initiative de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste. Elle participa, à titre de vice-présidente du comité, aux réunions de planification d’une délégation dépêchée auprès du premier ministre Louis-Alexandre Taschereau* : le 9 février 1922, 500 femmes manifestèrent ainsi leur appui au projet de loi du député Henry Miles, qui proposait d’étendre le suffrage provincial aux femmes. Le comité fit face à une résistance puissante et coordonnée du clergé catholique. De plus, il devint évident que le soutien des femmes francophones au suffrage féminin, à ce moment-là, provenait largement de la seule ville de Montréal. Le comité subit une défaite : le projet de loi ne franchit jamais l’étape de la première lecture. Une nouvelle génération de féministes, dont Idola Saint-Jean* et Thérèse Casgrain [Forget*], réorganiseraient le mouvement et joueraient un rôle déterminant dans l’accès des femmes au droit de vote en 1940, l’année qui suivit la mort de Mme Thibaudeau.
Marguerite Thibaudeau mourut en 1939 à l’Institut des petites filles de Saint-Joseph. Elle laissa le souvenir d’une femme inlassablement et gracieusement dévouée à sa communauté. Dans ses mémoires, Mme Béïque la décrivit ainsi : « Madame Thibaudeau fut aussi une beauté. Elle avait une expression de distinction et de bonté qui lui prêtait un grand charme. Malgré ces dons, elle restait simple et sans prétention, ce qui n’était pas un mince mérite. Elle fit preuve toute sa vie de grandes qualités, et d’un excellent jugement. Malgré les difficultés nombreuses, elle trouva moyen d’aider d’une façon remarquable à une grande œuvre, l’organisation de l’hôpital Notre-Dame, dont elle fut vraiment une des fondatrices. » Dans les multiples occasions de rendre service, Mme Thibaudeau découvrit une manière de vivre pleinement une foi catholique qui, au lieu de laisser dominer le sectarisme, brisait les clivages linguistiques, religieux et politiques. Elle chercha toujours à éviter les écueils entre l’autorité de l’Église catholique et son désir de voir les femmes jouer un rôle plus actif en société ; pour ses pairs, elle se révéla souvent une formidable cheffe de file.
Ancestry.com, « Registres d’état civil et registres paroissiaux (Collection Drouin), Québec, Canada, 1621 à 1968 », Notre-Dame (Montréal), 6 mai 1853, 6 oct. 1939 ; Saint-Jacques-le-Majeur, cathédrale [Saint Jacques] (Montréal), 9 déc. 1873 : www.ancestry.ca (consulté le 14 avril 2023).— BAnQ-CAM, P120 ; P653.— Univ. de Montréal, Div. des arch., P0076.— VM-SA, BM001-13-D218 (Mémoires de Guillaume Lamothe).— Le Devoir, 9 févr. 1940.— « Décès de Mme M.-L. Thibaudeau », le Canada (Montréal), 5 oct. 1939 : 6.— Le Réveil (Montréal), 11 sept. 1898.— Mme F.-L. Béïque [Caroline Dessaulles], Quatre-vingts ans de souvenirs (Montréal, [1939]).— E.-P. Benoît, Histoire de l’hôpital Notre-Dame, 1800–1923 (Montréal, 1923).— J. D. Borthwick, History and biographical gazetteer of Montreal to the year 1892 (Montréal, 1892).— Maryse Darsigny, « Du Comité provincial du suffrage féminin à la Ligue des droits de la femme (1922–1940) : le second souffle du mouvement féministe au Québec de la première moitié du XXe siècle » (mémoire de m.a., univ. du Québec à Montréal, 1994).— M.-C. Daveluy, l’Orphelinat catholique de Montréal (1832–1932) (Montréal, 1933).— Les Femmes dans la société québécoise, sous la dir. de Marie Lavigne et Yolande Pinard (Montréal, 1977).— Karine Hébert, « Une organisation maternaliste au Québec, la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste (1900–1940) » (mémoire de m.a., univ. de Montréal, 1997).— Elizabeth Kirkland, « Mothering citizens : elite women in Montreal, 1890–1914 » (thèse de ph.d., McGill Univ., Montréal, 2011).— « Petite galerie canadienne », la Rev. nationale (Montréal), 2 (1896) : 593–594.— A.-M. Sicotte, Marie Gérin-Lajoie, conquérante de la liberté (Montréal, 2005).— Types of Canadian women […], H. J. Morgan, édit. (Toronto, 1903).
Elizabeth Kirkland, « LAMOTHE, MARGUERITE (baptisée Marie-Josephte-Marguerite-Mathilde) (Thibaudeau) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/lamothe_marguerite_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/lamothe_marguerite_16F.html |
Auteur de l'article: | Elizabeth Kirkland |
Titre de l'article: | LAMOTHE, MARGUERITE (baptisée Marie-Josephte-Marguerite-Mathilde) (Thibaudeau) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2023 |
Année de la révision: | 2023 |
Date de consultation: | 21 déc. 2024 |