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LA ROCQUE DE ROBERVAL, JEAN-FRANÇOIS DE, lieutenant général au Canada, né vers 1500 probablement à Carcassonne dont son père fut gouverneur, et décédé à Paris en 1560.
Il était fils de Bernard de La Roque, dit Couillaud, seigneur de Châtelrein, et d’Isabeau de Poitiers. Sa grand-mère maternelle était Alix de Popincourt, dame de Roberval en Picardie. Les La Roque appartenaient à une très ancienne famille noble du Sud de la France. Bernard de La Roque fut gentilhomme de la Maison du roi, ambassadeur, officier du comte d’Armagnac ; il fut mêlé au procès du maréchal de Gié. La Rocque de Roberval vivait à la cour auprès du prince François d’Angoulême qui, devenu roi de France, le protégea toujours. C’est ce qui le sauva en 1535. Converti à la religion réformée, il fut proscrit avec d’autres protestants dont Clément Marot. Il rentra bientôt en France et vécut à la cour. Le portrait de La Rocque de Roberval par Clouet se trouve dans la collection des 310 portraits de la cour de France, au château de Chantilly.
Mais il avait compromis sa fortune. Il empruntait à ses cousins les La Roque de Blaizins en Languedoc, La Roque en Armagnac et les Popincourt en Picardie. L’idée de refaire sa fortune au Canada semble lui être venue alors. En 1540, il est tout à fait rentré en grâce auprès de François Ier. Est-il alors revenu au culte catholique ? François Ier le nomme son « Lieutenant-général au pays de Canada » où il le charge de « répandre la sainte foi catholique ». Les termes de sa commission sont formels : sa mission est de fonder une colonie où il devra construire des églises, des villes fortifiées. Il reçoit un subside de 45 000# et il a frété trois navires : la Valentine, l’Anne et la Lèchefraye. Des gentilshommes l’accompagneront et le roi lui donne le droit de tirer des criminels des prisons pour commencer sa colonie. « Le 15 janvier 1541, dit l’historien Gustave Lanctot, François Ier signait la commission qui marque la naissance de la colonisation française. » Jacques Cartier servira de guide à Roberval. Mais Cartier part dès mai 1541 avec ses navires alors que Roberval ne partira que l’année suivante. Ils se rencontrèrent à Saint Jean de Terre-Neuve et Cartier retourna en France malgré les ordres de Roberval.
Roberval avait eu des difficultés pour organiser son expédition : il avait été obligé de vendre des propriétés et d’emprunter. Il fut à ce moment associé avec Bidoux de Lartigue et courut la mer en pirate. L’ambassadeur d’Angleterre se plaignit à François Ier à cause de navires marchands anglais pris par Roberval. Le roi feignit de se fâcher contre La Rocque. Ses préparatifs de voyage avaient inquiété les Espagnols et un espion de Charles Quint lui apprit que le but du voyage était le Canada. Les trois navires quittèrent La Rochelle, pilotés par Jean Fonteneau. La traversée dura du 16 avril au 8 juin 1542, date où Roberval rencontra Cartier à Terre-Neuve.
La navigation dans le golfe et le fleuve Saint-Laurent se fit sans autre incident que la romanesque aventure de « la parente » de Roberval, la demoiselle Marguerite de La Roque, qui fut abandonnée dans une île avec son amant. Roberval établit sa colonie à Charlesbourg-Royal, au Cap-Rouge, où Cartier avait déjà construit un fort. Le courtisan qu’était La Rocque de Roberval donna à sa colonie canadienne le nom de France-Roy et au fleuve celui de France-Prime en l’honneur de François Ier. Un fort fut érigé et André Thevet à écrit dans sa Cosmographie que l’on construisit « une forte maison » et qu’une autre « fut commencée au bord d’une rivière nommée en langue des barbares le pays Sinagua ». Le pays Sinagua, c’était probablement le Saguenay.
Roberval entreprit des explorations, remonta le fleuve, essaya de franchir les rapides de Lachine. Il tenta une exploration du Saguenay où il croyait trouver des pierres précieuses et de l’or. Ses barques montées par 70 hommes et commandées par Lespinay, La Brosse, Longueval, Frotté revinrent sans avoir trouvé ni royaume du Saguenay ni pierres précieuses. Une embarcation avait sombré avec Noirefontaine et Le Vasseur. Mais l’épreuve la plus dure fut l’hiver dans les forts. La petite colonie fut éprouvée par le froid, la famine et la maladie. La situation devint tragique. Il semble que Roberval eut à réprimer des révoltes. Un passage de Thevet le montre d’une sévérité toute calviniste : « Le capitaine Roberval était fort cruel à l’endroit des siens, les contraignant à travailler, autrement étaient privés de boire et de manger. Si quelqu’un défaillait, il le faisait punir. Un jour, il en fit pendre six et quelques uns qu’il fit exiler en une île, les fers aux pieds pour avoir été trouvés en larcins qui n’excédaient pas cinq sous. D’autres furent fustigés pour le même fait, tant hommes que femmes. » Si Roberval se montrait d’une sévérité terrible, c’est que sa colonie était composée surtout de repris de justice. Il exerça cependant son droit de grâce, en faveur il est vrai d’un homme qui l’avait accompagné de plein gré : Aussillon de Sauveterre. Ayant tué un matelot récalcitrant, Sauveterre reçut une lettre de rémission. Ce document, daté du Canada le 9 septembre 1542 et portant la signature autographe « J. F. de La Rocque », est la plus ancienne et la première pièce officielle canadienne.
Roberval paraît avoir douté rapidement du succès de son entreprise et il envoya un navire en France, avec Sauveterre et Guignecourt, demander au roi de le secourir. Et il s’embarqua avec tout son monde sur les vaisseaux envoyés par François Ier. Sa colonie n’avait guère duré que quelques mois. Certains historiens ont dit que Jacques Cartier dirigeait cette expédition de secours, mais ce quatrième voyage de Cartier au Canada est fort douteux. Dans l’ordre du roi du 26 janvier 1543 à Aussillon de Sauveterre envoyé au secours de Roberval, il n’est pas parlé de Cartier. Charlevoix* à prétendu que Roberval fit un second voyage en Amérique avec « son frère Pierre de La Roque » et qu’ils périrent dans un naufrage en 1549. Mais Roberval ne périt certainement pas en 1549 puisqu’en 1554 il soutient un procès contre Jean de Boutillac. Et son frère, qui ne se nommait pas Pierre mais Jean de La Roque, ne courait pas les mers car il était moine et prieur de son ordre en Normandie.
La tentative coloniale de Roberval fut désastreuse pour lui-même, pour le Canada et même pour Jacques Cartier. Les « pierres précieuses » ramassées sur le sol canadien et l’or n’étaient ni des pierres précieuses ni de l’or « À l’épreuve par les chimistes, à dit Gustave Lanctot, l’or se révéla pyrite de fer et les diamants du mica. Devant le creuset, les espoirs du royaume avaient croulé en cataclysme. On ne pardonne pas au rêve qui déçoit. Du grand œuvre de Cartier, de ses trois expéditions, il ne survécut en France qu’un proverbe : Faux comme diamants du Canada. Cartier cessa d’être le capitaine émérite, le grand explorateur vers qui se tournaient les yeux de tout un peuple. » Et le Canada n’intéressa plus personne en France pendant 50 ans, jusqu’à Champlain.
Cet insuccès eut plusieurs causes. D’abord le caractère de l’homme et le personnage qu’était Roberval. Nullement marin, mais soldat de carrière, il était surtout courtisan comme le prouvent sa présence dans les troupes du maréchal de La Marck et son portrait parmi les effigies des membres de la cour de France. Qu’allait-il chercher en Amérique ? Probablement le moyen de faire fortune, comme les conquistadores. Mais son humeur difficile, sa rudesse lui avaient aliéné ses compagnons d’aventures. Et cette troupe était fort mal composée : des gentilshommes, des courtisans comme lui et même des femmes du monde et surtout un troupeau de criminels tirés des prisons. Il était chargé de fonder une colonie catholique et il était protestant. On l’a cru ingénieur parce qu’il se fit donner plus tard l’exploitation des mines de France, mais il n’était nullement besoin d’être ingénieur pour cela. Enfin, son voyage avait été très mal préparé. La mauvaise administration de ses biens montre d’ailleurs qu’il n’avait aucune des qualités nécessaires à un grand colonial.
Ruiné par sa colonie canadienne, il se débattit dans de terribles difficultés. En 1544, il comparaît devant la commission formée pour examiner ses comptes et ceux de Jacques Cartier et ce dernier eut gain de cause. En 1555, les biens de Roberval sont hypothéqués et son château menacé de saisie. Les lettres patentes que le roi Henri II lui avait données pour l’exploitation des mines de France ne paraissent pas l’avoir enrichi.
Demeuré fidèle à sa foi protestante, Jean-François La Rocque de Roberval fut une des premières victimes des guerres de Religion. Au sortir d’une réunion calviniste, une nuit de l’année 1560, il fut attaqué avec ses coreligionnaires et tué au coin du cimetière des Innocents, à Paris. Les débris de sa fortune passèrent à ses créanciers, son château de Roberval fut racheté par son neveu Louis de Madaillan, fils de Charlotte de La Rocque. Au xviiie siècle ce château appartenait au prince de Soubise. En 1817, le château de Roberval était devenu la propriété de M. Davène de Fontaine. Complètement transformé, le château de Roberval ne conserve plus rien de l’aspect qu’il avait au temps de Jean-François de La Rocque. Mais ses papiers personnels y sont conservés. Publiés par H. P. Biggar, ces documents ont révélé une partie de la vie de l’homme qui, au xvie siècle, tenta de coloniser le Canada.
Ce qui est curieux dans le cas de Roberval est que sa personnalité et son aventure canadienne ont laissé des traces dans la littérature française du xvie siècle. Rabelais parle de lui et l’appelle Robert Valbringue, la reine de Navarre a raconté l’histoire romanesque de sa parente Marguerite de La Roque, André Thevet donne de précieux renseignements sur lui et sur sa colonie, les poètes de cour Clément Marot et Michel d’Amboise lui ont dédié des œuvres. Enfin, un poème en latin, d’inspiration protestante, appelé Robervalensis Epitaphium, fait partie d’un recueil anonyme de poésies conservé à la Bibliothèque nationale, à Paris. Cette œuvre rappelle le voyage de Roberval au Canada et son assassinat en 1560.
On a pu identifier quelques compagnons de Roberval, parmi lesquels, toutefois, il faut distinguer ceux qui allèrent librement au Canada et les criminels tirés des prisons et forcés de s’embarquer.
Parmi les gentilshommes qui furent du voyage, on peut identifier à coup sûr Paul d’Aussillon de Sauveterre grâce à un document où son prénom, son patronyme et son nom de terre sont inscrits : la lettre de rémission du 9 septembre 1542. Aussillon de Sauveterre était un marin et commandait l’Anne, l’un des trois vaisseaux de Roberval. C’est lui que son chef enverra avec Guignecourt demander des secours au roi. Il appartenait à la famille d’Aussillon, seigneuresse de Sauveterre et de La Cabarède, en Languedoc, évêché de Castres.
Longueval, également, peut être identifié : Robert de Longueval, seigneur de Thenelle, était parent de Roberval car il avait épousé la fille de Catherine de La Roque et de Robert de Hangard. Il était gentilhomme de la Chambre du roi. Longueval fut de l’expédition du Saguenay ou Noirefontaine et Le Vasseur se noyèrent.
Les autres compagnons de Roberval ne peuvent être d’identification assurée. Pourtant, on peut croire que Nicolas de Lespinay est le même que ce Nicolas de Lespinay qui, fils de Hutin de Lespinay, seigneur de La Neuville, rend hommage pour cette seigneurie au duc d’Orléans, comte de Clermont, en Beauvaisis le 28 avril 1545. Nicolas de Lespinay épousa Marie de Caulincourt en 1550. – Noirefontaine pourrait être des Noirefontaine, seigneurs Du Buisson en Champagne. — Guignecourt (Guignicourt) est peut-être de la famille de Guignicourt, seigneur de La Motte près de Laon. Le Beauvaisis, la Champagne, la ville de Laon sont proches du château de Roberval. — Quant à Jean de La Salle, serait-il Jean de Lartigue, seigneur de La Salle, qui fut gentilhomme de la reine Marguerite de Navarre ? Les Lartigue étaient une famille de Gascogne, région où Jean-François de La Rocque a eu des terres et des parents.
H. P. Biggar a identifié une quinzaine des criminels tirés des prisons par Roberval en vertu de lettres royales en 1541. M. Robert Marichal a ajouté sept noms à la liste. Ces personnages de réputation déplorable sont tous morts au Canada ou revenus en France. Parmi eux, le seul qui mérite une mention est Pierre Ronsard à cause du rôle qu’il à pu jouer au cours de l’expédition. Car, si Blarye, dit Titailt, meurtrier, Jacques Le Gall, voleur, Louis de Villaine, assassin, Le Page, dit Chaudron, cuisinier de la duchesse de Nevers et assassin, n’ont pas eu d’influence sur le destin de la colonie de Roberval, Pierre Ronsard semble avoir tenu un emploi tout au moins curieux dans l’expédition.
Ce Pierre Ronsard, né vers 1480, avait une soixantaine d’années lorsque Roberval le sortit de prison. Maître des monnaies de Bourges, il était condamné pour falsification de pièces et « altération des monnaies ». Mais c’était un technicien et Roberval avait besoin de lui, attendu, dit la lettre royale du 31 mars 1541, « que le dit Ronsard pourrait grandement servir le dit de La Roque au voyage à faire par luy es pays trans-marins ». Ce qui démontre que le but de Roberval en allant au Canada fut surtout d’y trouver des métaux précieux. C’est peut-être Ronsard qui « essaya » les pierres ramassées au Saguenay et qui les déclara de l’or. Et ainsi, écrit R. Marichal, Ronsard serait le véritable responsable de l’immense désillusion qui allait enrayer pendant un demi-siècle la colonisation du Canada.
AN, E, 191, 193 ; N.X 2 A91 ; Z1b, 32.— Archives du Vatican, 57.— Archivo de Indias (Sevilla), 2.— Archivo General en Simancas, Estado, 53,— BN, mss, Fr. 15 452–53 (« Le grand insulaire et pilotage d’André Thevet, Angoumoisin, cosmographe du Roy, dans lequel sont contenus plusieurs plants d’isles habitées et deshabitées et description d’icelles ») ; 20 291 ; 29 007 (P.O. 2 523) ; 30 612 (Carré d’Hozier 383) ; 31 096 (Cabinet d’Hozier 215).— Biggar, Documents relating to Cartier and Roberval.— Charlevoix, Histoire de la N.-F.— Hakluyt, Principal navigations (1903–05), VIII : 283–289 (la seule relation rédigée en anglais du voyage de Roberval de 1542, publiée pour la première fois en 1600).— Marguerite de Navarre, L’Heptameron des nouvelles (Paris, 1559).— Mémoires des commissaires, I : 149 ; Memorials of the English and French commissaries, I :205.— Thevet, Cosmographie universelle.— Emmanuel Cathelineau, D’une épitaphe sur Roberval, NF, VI (1931) :302–312.— Hoffman, Cabot to Cartier.— Lanctot, Histoire du Canada, I : 98s., 101–107, 116, 413, Jacques Cartier devant l’histoire (Montréal, 1947).— A.-J.-M. Lefranc, Les navigations de Pantagruel (Paris, 1905).— R. Marichal, Les Compagnons de Roberval, Humanisme et Renaissance, I (1934) : 51–122.— Robert La Roque de Roquebrune, Roberval, sa généalogie, son père et le procès du maréchal de Gié, le portrait de Chantilly, RHAF, IX (1955–56) : 157–175.
R. La Roque de Roquebrune, « LA ROCQUE DE ROBERVAL, JEAN-FRANÇOIS DE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/la_rocque_de_roberval_jean_francois_de_1F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/la_rocque_de_roberval_jean_francois_de_1F.html |
Auteur de l'article: | R. La Roque de Roquebrune |
Titre de l'article: | LA ROCQUE DE ROBERVAL, JEAN-FRANÇOIS DE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1966 |
Année de la révision: | 1986 |
Date de consultation: | 21 déc. 2024 |