KEATS, sir RICHARD GOODWIN, officier de marine et gouverneur de Terre-Neuve, né le 16 janvier 1757 à Chalton, Hampshire, Angleterre, fils de Richard Keats, ministre anglican, et d’une prénommée Elizabeth ; en 1820, il épousa Mary Hurt, d’Alderwasley, Angleterre ; décédé le 5 avril 1834 et inhumé au Greenwich Hospital (à Londres).

Entré dans la marine royale en 1770, Richard Goodwin Keats servait en 1776 à Terre-Neuve sur le Romney, vaisseau amiral du gouverneur John Montagu. Il fut promu lieutenant l’année suivante et obtint son premier commandement en 1789. Pendant les deux décennies suivantes, il joua un rôle marquant dans l’histoire navale de l’Angleterre, et l’amiral Horatio Nelson dit de lui qu’il valait « un trésor pour la marine ». En 1807, il fut promu contre-amiral ; en 1808, après une série de brillants exploits dans les eaux danoises, il fut fait chevalier de l’ordre du Bain. On le promut vice-amiral en 1811 mais, l’année suivante, des problèmes de santé l’obligèrent à abandonner son commandement et à rentrer en Angleterre. Le 18 mars 1813, il devenait gouverneur et commandant en chef de l’île de Terre-Neuve « et des îles adjacentes, y compris les îles Saint-Pierre et Miquelon et toute la côte du Labrador à partir de la rivière Saint Jean jusqu’aux détroits d’Hudson, l’île d’Anticosti et toutes les autres îles adjacentes, sauf les îles de la Madeleine ». Son assermentation eut lieu à St John’s le 1er juin.

Keats était nommé pour trois ans mais, comme le voulait la tradition, il n’allait habiter l’île que durant l’été et l’automne. Cependant, les problèmes devenaient trop complexes et la population, qui comptait alors au moins 70 000 âmes, croissait trop rapidement pour que Terre-Neuve continue d’être administrée comme une simple pêcherie saisonnière. « Si Terre-Neuve n’est pas une colonie en droit, elle en est une en fait », affirma le shérif en chef John Bland à Keats. Les instructions que ce dernier avait reçues montraient que le gouvernement britannique reconnaissait enfin la nécessité de modifier sa politique dans au moins un domaine, l’agriculture. Keats était autorisé à « louer de petites parcelles de terre à des personnes industrieuses afin qu’elles les cultivent » ; il devait exiger un loyer annuel, soit nominal, soit réel, selon la situation du locataire. Quand il voulut appliquer cette directive, Keats constata que la plus grande partie des terres cultivables étaient déjà occupées dans les faits. « Je n’ai trouvé dans le voisinage de St John’s que peu de terres dont je puisse disposer », signalait-il au secrétaire d’État aux Colonies. Néanmoins, dès l’automne de 1813, il avait octroyé 110 baux pour des terres de quatre acres ou moins, toutes situées dans les environs de St John’s. Dans les petits villages de pêcheurs éloignés de l’autorité administrative, les habitants avaient déjà clôturé les terres dont ils avaient besoin. Par ailleurs, Keats recommanda que tous ceux qui occupaient sans autorisation des terres autour de St John’s aient la permission de les louer aux mêmes conditions que les nouveaux locataires ; le ministère des Colonies, désireux de n’« adopter aucune mesure trop rigoureuse », accepta.

Cette initiative ne mit pas pour autant fin à la controverse que le régime foncier suscitait à Terre-Neuve. En effet, le droit de posséder des terres n’était pas encore reconnu et il fallait toujours la permission du gouverneur pour clôturer une parcelle ou construire un bâtiment si cela ne devait pas servir à la pêche. En août 1814, l’Irlandais James Sweeney qui d’après Bland savait « à peine cinq mots d’anglais » et dont le langage était « tout à fait incompréhensible » vit sa maison et ses autres bâtiments de l’île Bell, dans la baie Conception, rasés complètement par le shérif adjoint John Mayne parce qu’on avait découvert que, même si on l’avait prévenu de se contenter d’un espace plus petit, il avait clôturé une terre d’« environ quarante ou cinquante acres » pour la cultiver. Mayne avait agi sur l’ordre de Keats et du surrogate David Buchan*. De même, on démolit la maison d’Owen Kelly, qui avait défriché une terre cultivable de 10 ou 12 acres dans la même île. C’étaient là des incidents frappants qui montrent que les griefs rapportés par des réformistes comme William Carson* n’avaient rien d’imaginaire. La légalité de l’hégémonie que le gouverneur exerçait sur la propriété commençait d’ailleurs à être contestée même par les légistes de la couronne, qui déclaraient en 1814 : « Terre-Neuve étant une colonie peuplée, les sujets anglais y bénéficient des droits découlant de la common law [...] sauf dans la mesure où [ceux-ci] ont été modifiés ou restreints par quelque loi ou règlement applicable à Terre-Neuve. » II faut dire, à la décharge de Keats, qu’à la fin de son mandat il recommanda que les restrictions sur la construction, « sujet perpétuel d’agitation à St John’s », soient levées à l’intérieur de certaines limites dans la capitale et exprima des doutes quant au droit d’interdire la construction même sur les terres usurpées où « il n’y avait pas de pêcheries ». En outre, il était plus enclin que son pointilleux prédécesseur, sir John Thomas Duckworth*, à autoriser les habitants à se construire des maisons. Pourtant, en définitive, il se prononça contre tout changement fondamental dans le régime de gouvernement de Terre-Neuve.

Keats se plaignait de la difficulté de gouverner Terre-Neuve, et surtout « des clameurs d’un parti » qui voulait qu’on donne à l’île un statut de colonie, mais en fait, pendant son mandat, l’île vivait les dernières heures d’une période de prospérité sans précédent. Nombre de problèmes auxquels le gouverneur faisait face, ou qu’il imaginait, étaient dus à cet essor. Par exemple, les terres étaient très en demande, et Keats était ennuyé par des visiteurs venant de villages éloignés de St John’s pour revendiquer des droits sur des graves ou contester ceux de leurs voisins. Des milliers d’Irlandais, attirés par les salaires élevés du secteur de la pêche, venaient s’ajouter au groupe de leurs compatriotes, déjà remuant. À mesure que les petits villages de pêcheurs prenaient de l’expansion, il devenait évident qu’il fallait plus de missionnaires anglicans. « Non-conformistes et catholiques ont tiré profit de notre indifférence », avertissait Keats, qui avait noté que l’évêque catholique, Patrick Lambert*, avait « de nombreux prêtres » qui parvenaient « trop bien à faire des conversions ». Des signes de l’effervescence qui régnait transparaissent dans la correspondance de Keats : on construisait des églises et demandait des missionnaires, on présentait une requête pour fonder un deuxième journal à St John’s (chose que Keats essaya en vain d’empêcher), des hommes de métier abandonnaient leurs « occupations mécaniques » pour prendre la mer au cours de l’été de 1814 qui s’annonçait prometteur, l’hôpital général ouvrait ses portes, les ports étaient fréquentés par des centaines de navires, des projets s’échafaudaient au sujet des grandes ressources forestières de la rivière des Exploits et de la rivière Gander.

Comme les marchands le savaient bien, cette prospérité découlait en grande partie de ce que deux concurrents traditionnels, les Français et, après le début de la guerre de 1812, les Américains, étaient exclus des pêcheries terre-neuviennes. En 1813, Keats appuya une requête dans laquelle les marchands demandaient que ni les Français ni les Américains ne recouvrent leurs droits de pêche une fois la paix restaurée et, l’année suivante, il écrivit lui-même un long plaidoyer contre le retour des Américains. Ces représentations furent inutiles : peu après la signature des traités avec la France en 1814 et 1815 et le traité conclu avec les États-Unis en 1814, les pêcheries de Terre-Neuve redevenaient internationales. À la fin de 1814, on pouvait percevoir à certains signes que le boom tirait à sa fin. Au printemps de 1815, les salaires offerts étaient bien moindres que ceux de l’année précédente ; peut-être à cause de cela, il y eut parmi les Irlandais de St John’s des remous qui ne se calmèrent qu’en mai. Dès la fin de 1815, l’économie se trouvait plus mal en point ; les créanciers nerveux exigeant le paiement des dettes, il y eut 40 déclarations d’insolvabilité entre octobre et la mi-décembre. Selon Keats, qui écrivait en novembre en rentrant de son dernier été à Terre-Neuve, l’arrivée de 6 000 immigrants irlandais pendant l’été de 1815 avait « créé quelque inquiétude dans l’esprit des habitants paisibles » et pourrait être « source de quelque misère et de dépenses supplémentaires pour le district ». Autre signe funeste de ce qui allait venir : le 12 février 1816, un incendie détruisit 120 maisons à St John’s et en endommagea de nombreuses autres. Comme le découvriraient Francis Pickmore* et sir Charles Hamilton*, successeurs de Keats, Terre-Neuve glissait vers une dépression d’après-guerre. Le mandat de Keats prit fin le 18 mai 1816. Il devint plus tard gouverneur du Greenwich Hospital, établissement pour marins, et fut promu amiral en 1825.

Les incidents de l’île Bell révèlent peut-être en sir Richard Goodwin Keats une certaine tendance à la tyrannie, mais dans l’ensemble c’était un homme modéré et conciliant qui reconnut que la société terre-neuvienne changeait et qu’il fallait en tenir compte.

Patrick O’Flaherty

PANL, GN 2/1/A, 24–27.— PRO, CO 194/54–57 ; 195/16–17.— Royal Gazette and Newfoundland Advertiser, 1810–1818.— DNB.— James Ralfe, The naval biography of Great Britain [...] (4 vol., Londres, 1828), 2 : 487–516.— Prowse, Hist. of Nfld. (1895).

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Patrick O’Flaherty, « KEATS, sir RICHARD GOODWIN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 16 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/keats_richard_goodwin_6F.html.

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Auteur de l'article:    Patrick O’Flaherty
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
Année de la révision:    1987
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