JONES, HENRY, fondateur d’une communauté owénienne, né le 21 ou le 22 mai 1776 dans la paroisse de Plympton St Maurice, Angleterre, fils de Richard Jones et de Julia Maria Collier ; il épousa une prénommée Elizabeth, et ils eurent quatre fils et cinq filles, puis en secondes noces une prénommée Susan ; décédé le 31 octobre 1852 à Maxwell (près de Brights Grove, Ontario) et inhumé dans le canton de Plympton, Haut-Canada.

Henry Jones, qui fonda l’unique communauté owénienne au Canada et qui fut peut-être le premier socialiste avoué de l’Amérique du Nord britannique, venait d’une vieille famille galloise de propriétaires terriens établie depuis plusieurs générations à Exeter et dans la campagne environnante du Devon. Il devint commissaire de bord dans la marine royale en 1794 et servit dans la flotte de la Manche au cours des guerres napoléoniennes ; en 1815, il était à la demi-solde. Par la suite, il vécut à Bovey Tracey avec sa femme Elizabeth, profitant peut-être des bénéfices de ce que son frère, le révérend John Collier Jones, qualifia en 1818 d’« entreprise profitable d’il y a quelques années ». Au début des années 1820, à l’instar de plusieurs autres officiers plutôt oisifs de l’armée et de la marine, Henry Jones s’intéressa aux idées du socialiste gallois Robert Owen et particulièrement aux « villages d’unité et de coopération » qu’il proposait de fonder – des communautés autosuffisantes qui résoudraient le problème aigu du chômage parmi les tisserands, victimes du machinisme.

Au moment où la British and Foreign Philanthropie Society for the Permanent Relief of the Labouring Classes fut fondée à Londres, en 1822, pour établir des communautés coopératives, Jones était déjà assez engagé dans le mouvement owénien pour devenir membre du comité de cette société. Peu après, quand elle parraina la création d’une communauté à Motherwell, en Écosse, il contribua au financement de celle-ci par un prêt de £5 000 (environ le tiers de ses avoirs et comprenant, apparemment, les bénéfices de son « entreprise » antérieure). Cette somme fut remise à Archibald James Hamilton, ancien officier et principal organisateur de la communauté avec Abram Combe. Plus tard, ce prêt allait faire l’objet d’un litige qui coûterait beaucoup de temps et d’énergie à Jones.

La communauté de Motherwell ne vit jamais le jour. Avec Combe, Hamilton en fonda plutôt une dans le domaine de son père, appelé Orbiston, près de Glasgow, en 1825. La même année, Jones se rendit en Écosse, contribua aux fonds de la communauté et en devint l’un des vérificateurs. Quand Combe, malade dut quitter temporairement Orbiston à l’été de 1826, Jones prit la communauté en charge. Mais, dès 1827, les problèmes causés par la mauvaise sélection des membres le firent douter de l’avenir. Dans une lettre écrite à Hamilton le 23 mars, il aborda la question du remboursement de son prêt à la communauté de Motherwell et accusa son correspondant d’être « autoritaire dans ses décisions » concernant le « choix des amis des idées nouvelles et la bonne compréhension (les principes du système ». Néanmoins, il ajouta : « Nous pouvons continuer, séparément, à nous consacrer à ce qui, selon nous, contribuera le plus à l’avancement du dessein que nous affirmons avoir et, dans la mesure du possible, nous pouvons [le faire] conjointement. » Mais ses inquiétudes se confirmèrent : la communauté se démantela après la mort de Combe, survenue en août.

Dès avril 1827, Jones avait envisagé de fonder une nouvelle communauté agricole dans l’Amérique du Nord britannique, influencé peut-être par Owen qui, deux ans plus tôt, avait acheté la communauté de New Harmony dans l’Indiana. À l’automne de 1827, Jones s’embarqua pour les Canadas avec son valet de chambre, Alexander Hamilton, afin de trouver un endroit propice. Après avoir débarqué à New York et voyagé, par bateau surtout, jusqu’au lac Huron, il trouva de bonnes terres près de l’embouchure du ruisseau Perch, à dix milles environ au nord-est de l’emplacement actuel de Sarnia. Il retourna en Grande-Bretagne plus tard dans l’année. En 1828, il rassembla un groupe de colons de la région de Glasgow et obtint de William Huskisson, secrétaire d’État aux Colonies, l’autorisation d’acheter une vaste étendue de terre. Grâce à la nomination de sir John Colborne* comme lieutenant-gouverneur du Haut-Canada, en août, il put réaliser son projet d’acheter des terres dans cette province. Le frère de Jones, John Collier, qui était devenu recteur de l’ Exeter College à Oxford, avait épousé la sœur de lady Colborne, originaire du Devon.

Jones investit une grande part du reste de son capital dans la communauté, qu’il baptisa Maxwell, apparemment d’après le nom de la résidence de Robert Owen à New Lanark, en Écosse. Il espérait y établir éventuellement de 50 à 100 familles. Le premier contingent de 20 personnes, qui arriva au début de 1829 en compagnie d’un chirurgien, comptait surtout d’anciens membres de la communauté d’Orbiston, qui étaient presque tous des Écossais des Lowlands et des tisserands en chômage. En juin, Charles Rankin fut chargé d’arpenter le territoire que Jones avait choisi dans le canton de Sarnia et, en novembre, celui-ci obtint des lettres patentes sur sept lots, dont l’emplacement de Maxwell. La même année, on construisit un bâtiment en bois rond qui, comme celui d’Orbiston, comprenait des logements pour chaque famille, des cuisines et des réfectoires communs. Un dessin de l’époque montre l’édifice encore inachevé : il occupe trois côtés d’un rectangle de verdure ; le centre a deux étages, tandis que les ailes n’en ont qu’un seul. Jones ouvrit aussi un magasin et une école inspirés des principes d’Owen. En août 1830, sa femme et cinq de ses enfants le rejoignirent à Maxwell, ce qui montre combien il était personnellement engagé dans l’entreprise. Son fils aîné, Henry John (dont le journal personnel parle beaucoup des années ultérieures de la communauté), devint agent des Terres de la couronne à York (Toronto), puis à Chatham, mais le reste de la famille, tout comme d’autres proches arrivés plus tard, demeura à Maxwell.

On ne sait pas grand-chose de la vie quotidienne de la communauté. Une cinquantaine d’acres furent cultivées pendant la première saison et, dès 1830, Jones avait établi à Point Edward une entreprise de pêche lucrative qui, comme l’arpenteur Roswell Mount* le nota en mars, était exploitée par des « gens » de Jones. Les quais et les entrepôts qu’il construisit à peu près à la même époque dans le village voisin de Port Sarnia (Sarnia) étaient peut-être reliés à cette entreprise. Toutefois, Maxwell souffrit à ses débuts de l’inexpérience de ses membres en matière de techniques de colonisation et de la présence, dans le voisinage, de grandes terres qui pouvaient être achetées à bas prix et cultivées par des particuliers. Le missionnaire méthodiste Peter Jones rapporte que déjà, avant la fin de 1829, des colons commençaient à partir, même si, quatre ans plus tard, Henry Jones affirmait en avoir attiré en tout de 70 à 80.

C’est en 1834, après que Jones fut parti pour l’Angleterre et l’Écosse, notamment pour obtenir une confirmation de l’autorisation d’achat accordée six ans auparavant par le ministère des Colonies, que la communauté connut sa période la plus difficile. Le 17 mai, un incendie se déclara dans la maison communautaire : « En moins d’une heure, nota Henry John Jones, Maxwell avait disparu – la plupart des livres et des meubles légers furent sauvés. » Les quelques personnes demeurées sur place après le sinistre vécurent dans la grange et au-dessus des étables jusqu’à ce qu’un nouvel édifice ait été construit. Une fois revenu dans le Haut-Canada, en juin, Jones s’occupa de questions foncières et, lors des élections générales de l’automne, il se présenta sans succès dans la circonscription de Kent. À ce moment, il s’était de toute évidence résigné à ne jamais obtenir les terres du canton de Sarnia, qui furent achetées un an plus tard à la couronne par Samuel Street*. Jones conserva cependant les lots sur lesquels il détenait des lettres patentes, plus le droit d’obtenir des terres supplémentaires en raison de son grade dans la marine.

En 1835, Jones repartit pour l’Angleterre et passa au moins huit ans dans ce pays et en Écosse. Pendant plusieurs années, il fut mêlé à des poursuites judiciaires complexes afin de récupérer de la succession de Hamilton, mort en 1834, l’argent qu’il avait avancé à la communauté de Motherwell. Mais il ne passa pas tout son temps devant les tribunaux. Comme Henry John Jones le signala en 1839, il devint « plus que jamais engagé dans le socialisme ». Il écrivit sans relâche à ses proches du Haut-Canada, leur suggérant de former une espèce de « communauté familiale » avec les quelques colons demeurés à Maxwell. Toujours selon son fils, il émit l’idée saugrenue « d’amener un autre régiment de miséreux pour former une communauté si sa propre famille n’y parvenait pas ». Le peu d’empressement que celle-ci montra à réaliser ses souhaits fut certainement l’un des motifs qui lui firent retarder constamment son retour.

Parallèlement à cela, Jones participa en Grande-Bretagne à une série de projets destinés à améliorer le sort des gens de là-bas. En 1837, il proposa un « projet collégial » (une espèce de société de secours mutuel) pour les officiers de marine. Deux ans plus tard, tout en cherchant à se faire nommer agent d’émigration pour le Canada, il entra dans une « association [de promotion] de l’impôt foncier » qui préconisait avant l’heure les thèses de l’Américain Henry George, théoricien de l’économie, en proposant d’abolir tous les impôts existants et de les remplacer par un impôt foncier unique. En 1840, Jones fit des plans pour la fondation d’une « société d’enseignement de la musique » et, en 1841, d’une « société nationale de secours mutuel ». Quelque temps avant 1840, il avait pris connaissance des enseignements de François-Marie-Charles Fourier, grand rival français d’Owen et concepteur des phalanstères. Il semble en avoir considéré certains aspects d’un œil critique dès le début, comme il en était venu à contester quelques-unes des théories d’Owen, si l’on en juge par son poème Collegiate life, publié dans l’Era de Londres en 1840. Œuvre didactique à la manière de Byron (mais dépourvue de l’éclat byronien), Collegiate life ridiculise nommément Owen et Fourier à cause des plus grandes excentricités de leurs théories et, tout en saluant l’« État social », en voit la réalisation dans des associations volontaires où les gens aisés mettraient leurs ressources en commun. Jones semble prôner ici la formation de groupes librement organisés, inspirés des collèges ou des « clubs » et rappelant quelque peu l’abbaye de Thélème imaginée par Rabelais. Il réclame l’application des principes chrétiens mais, comme il décrie la charité et remplace la pitié par la justice, on doit le considérer comme un hétérodoxe.

Ainsi, quand Jones revint dans le Haut-Canada quelque temps après juillet 1843, peut-être avait-il abandonné en partie l’owénisme et était-il demeuré largement réfractaire au fouriérisme. Après que la présentation d’Owen à la reine Victoria eut suscité une critique vigoureuse de ses principes, en 1840, Henry John Jones avait noté que son père paraissait « avoir un peu honte du « socialisme ». Néanmoins, il semble qu’il ait conservé ses idées et ses projets utopistes, et que, dans la mesure où il souhaitait changer la société par des associations volontaires réunies en dehors de l’État, il soit demeuré une espèce de socialiste libertaire. Un portrait peint par Field Talfourd, probablement à cette époque, montre un homme âgé, presque chauve, au profil maigre et aquilin, qui a une bouche mince et droite, un menton ferme et le regard d’un marin habitué aux grands espaces. Bref, c’est à la fois le visage d’un homme obstiné et d’un visionnaire.

En fait, la vie active de Henry Jones avait pris fin. Les quelques membres restants de la communauté initiale de Maxwell s’étaient établis seuls avec leur famille et n’étaient pas intéressés à fonder une nouvelle communauté. Jones finit ses jours dans la maison familiale de Maxwell, reconstruite en 1842 après avoir été rasée par les flammes en 1839. Personne au Canada ne reprit ses idées utopistes, mais il entretint avec ceux qui partageaient ses idéaux une importante correspondance dans laquelle il commentait les problèmes mondiaux et faisait parfois revivre son passé dans la marine. Sa mort, le 31 octobre 1852, semble être survenue subitement ou à la suite d’une brève maladie, car ses lettres écrites ce mois-là ne laissent deviner aucun malaise : elles sont plutôt celles d’un homme à l’esprit vif et au moral solide qui manifeste sa sensibilité au monde extérieur en célébrant la beauté de l’automne et en parlant de ses récoltes.

George Woodcock

Henry Jones est l’auteur de Collegiate life, poème publié anonymement dans l’Era (Londres), 23 févr., 1er, 8, 15 mars 1840.

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Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

George Woodcock, « JONES, HENRY (1776-1852) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/jones_henry_1776_1852_8F.html.

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Auteur de l'article:    George Woodcock
Titre de l'article:    JONES, HENRY (1776-1852)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1985
Année de la révision:    1985
Date de consultation:    20 déc. 2024